Critique : Je veux juste en finir

Cela faisait cinq ans que l’on ne voyait plus Charlie Kaufman attaché à un projet cinématographique, que ce soit comme scénariste ou réalisateur. Le voici de retour avec la double casquette pour Je veux juste en finir, adaptation du roman I’m thinking of ending things de Iain Reid. Nouvelle œuvre inclassable, entre le road-movie existentialiste et le drame surréaliste, ce long métrage où brille Jessie Buckley broie du noir d’une façon stimulante et étrangement divertissante.

Limbes existentielles

On pourrait croire dans un premier temps que Charlie Kaufman a juste trouvé chaussure à son pied avec le roman de Iain Reid : quand on découvre la jeune femme jouée par Jessie Buckley – dont le prénom du personnage est incertain –, qui accepte de dîner chez les parents de son copain Jack (Jesse Plemons) alors qu’elle pense rompre prochainement et peut-être même se suicider, on a la sensation de voir le scénariste derrière Eternal sunshine of the spotless mind ou le plus récent Anomalisa tomber dans la redite. Pourtant, la voix-off étrange de cette jeune femme, qui semble parfois captée par son petit ami, ainsi que ce montage qui se montre très dynamique autour de l’habitacle du véhicule, provoquent un troublant effet. S’il est bien question de crise existentielle, de l’individu au couple, et même de dépression, Je veux juste en finir joue brillamment sur plusieurs registres et thématiques : il y a aussi la maladie, le souvenir, et une multitude de questionnements qui en font un film foisonnant sur le plan intellectuel. Surtout, ce qui semble commencer comme un drame marqué par les couleurs hivernales va flirter avec le film d’épouvante. La ferme où l’on découvre les parents, campés avec une étrangeté géniale par Toni Collette et David Thewlis, joue d’ailleurs avec les codes du film d’horreur, tout en travaillant sur l’isolation physique et mentale du personnage de Jessie Buckley.

Avec sa photographie feutrée, ses ruptures de tons aussi inattendues qu’une poignée de séquences où Kaufman appelle d’autres styles de cinéma, ce long métrage à la fois ésotérique et touchant prend les atours d’un poème et d’une comédie musicale. Le fond et la forme se répondent et jouent ensemble jusqu’à ce que l’on perde pied dans le récit, sans que cela soit déceptif, bien au contraire : les stimulus de ces conversations et pensées composent une toile de réflexions noires mais étincelantes, mélancolie à l’éclat singulier. L’expérience peut probablement rebutée certains, mais grâce au talent de Jessie Buckley – qu’on avait remarqué au cinéma dans Wild Rose –, les éléments qui auraient pu devenir pathétiques ou irritants trouvent une saveur délicate. Une œuvre mentale, qui développe son récit dans le paradoxe du mouvement et de l’immobilité – on penserait presque à logique de Tenet qui combine des temporalités opposées, mais bien entendu ici dans un cadre purement dramatique et intimiste. On peut également prendre ce film à partir du second sens du titre original. I’m thinking of ending things, c’est penser à en finir mais peut-être penser aux choses qui se terminent : une histoire d’amour, les années du bahut, et, au bout du chemin, la vie elle-même, inéluctablement. Si Kaufman n’est pas toujours au sommet de sa prose existentialiste ici, il nous offre une nouveau film particulièrement original et captivant. Dans une interview accordée au New-York Times, l’artiste américain a avoué qu’un film si étrange ne pourrait rien provoquer de bon pour la suite de sa carrière comme réalisateur, ce qui pourrait être alors son troisième et dernier film : on espère que les magnats du cinéma permettront à ce cinéaste rare de nous surprendre encore dans les années à venir.

4 étoiles

 

Je veux juste en finir

Film américain
Réalisateur : Charlie Kaufman
Avec : Jessie Buckley, Jesse Plemons, Toni Colette, David Thewlis, Guy Boys, Hadley Robinson, Gus Birney, Colby Minifie, Abby Quinn
Titre original : I’m thinking of ending things
Scénario de : Charlie Kaufman
Durée : 134 min
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie en France : 4 septembre 2020
Distributeur : Netflix France

 

Article rédigé par Dom

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Un commentaire

  1. Belle chronique. C’est toujours une aventure de s’immerger dans une proposition de cinéma inédite, insolite, imprévisible et aux nombreux niveaux de lecture. Du fantastique et de l’horreur jusqu’au récit d’une maladie mentale ranimant les spectres de traumas enfouis …

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