Critique : Tenet

Premier blockbuster à gagner les salles de cinéma suite à leur réouverture au mois de juin, Tenet est autant attendu par les fans de Christopher Nolan que les exploitants, les entrées s’étant réduites au quart du quota habituel au cours des dernières semaines. Faussement titanesque et alambiqué à outrance, ce film d’action et de science-fiction à la croisée d’un Mission Impossible et d’un James Bond déçoit fortement. Un article qui évoque une mécanique du film sans tomber dans les spoilers, ce n’est pas dans les habitudes de la maison !

Le temps fêlé

A l’issue de ses deux heures et demie, le nouveau film de Christopher Nolan laisse un étrange goût amer. Il y a certes une démonstration de force technique, dans la photographie contrastée de Hoyte Van Hoytema, assez caractéristique du cinéaste britannique, ainsi que dans le montage image tendu, sans oublier l’attrait de la bande originale électronique tantôt minimaliste, tantôt tapageuse à la Hans Zimmer de Ludwig Göransson. Une technique rodée, maîtrisée, au service d’un récit profondément décevant, non seulement par ses aboutissants, longuement masqués, mais aussi par son organisation, son architecture, manipulant à l’aveugle le spectateur comme le protagoniste, cet agent spécial américain campé par John David Washington, armé de quelques convictions, phrases codées, et un sens du devoir hors-pair. Le temps ainsi que ses marques sont des éléments obsessionnels dans le cinéma de Christopher Nolan : même lorsqu’il touche au film historique comme avec son précédent long métrage Dunkerque, son approche du sujet passe par une gestion singulière du temps. Dans Tenet, Nolan impose une grammaire de la physique plutôt inédite au cinéma, un contrôle du mouvement et de l’écoulement du temps qui n’ont jamais été abordés ainsi, pas avec cette envergure du moins. Peut-être parce que celle-ci soulève trop de paradoxes – comme le film le souligne lui-même –, mais qu’importe après tout dans le cadre de la science-fiction où l’imaginaire définit les limites. Seulement, contrairement à une œuvre captivante et grisante comme Inception, où le procédé, expliqué au spectateur, permet de jouer sur l’attention et la tension, Tenet prêche le mystère derrière une flopée de défaillances systémiques. Arrogance de l’auteur démiurge qui a perdu une part de son essence en ne collaborant plus avec son frère Jonathan Nolan ou bien réitération inattendue des faiblesses scénaristiques d’un The Dark Knight Rises ? Quoi qu’il en soit, le triste résultat est là.

Compilant son savoir-faire, Nolan exacerbe surtout tous les défauts de son cinéma dans Tenet. Si d’aucuns détestent Interstellar pour son dernier acte hasardeux en terme d’exploitation de physique quantique, ces derniers ne pourront que rejeter en bloc ce film qui se complaît dans ses concepts fumeux du début à la fin. Et si d’aucuns reprochent le manque de rigueur de certaines séquences d’action, ces mêmes personnes seront stupéfaites par l’inefficacité d’une ultime scène reposant uniquement sur la puissance d’un montage alterné et une bande originale frappant le spectateur par sa dimension tonitruante : dans le cadre, c’est la défaite d’une opération armée par un manque de vision qui touche au ridicule. Une séquence qui donne d’ailleurs envie de revoir un divertissement plus humble et efficace, Edge of Tomorrow de Doug Liman. Revisitant des séquences clés du cinéma de Nolan, notamment certaines acrobaties sans gravité d’Inception ou bien encore une intervention musclée sur le bitume de The Dark Knight, Tenet séduit rarement sur le versant de l’action et de l’infiltration : on peut saluer la séquence d’introduction dans un opéra, une baston dans les cuisines d’un restaurant ou encore le détournement d’un avion de ligne. Le film peut d’ailleurs se découper en épisodes de cinéma d’espionnage et de contre-terrorisme comme des modules interconnectés, mais passé un certain cap, Nolan espère atteindre des sommets dans lesquels il montre au contraire ses limites comme metteur en scène d’action.

Le procédé physique qui guide le film jusque dans ses racines ne conduit pas au grand spectacle que l’on pourrait attendre. D’abord surprenant, il devient ensuite révélateur d’une incapacité à exploiter des moyens techniques et humains conséquents pour impressionner. Si John David Washington et Robert Pattinson forment un bon duo ici, Kenneth Branagh se montre terriblement atone, et le personnage d’Elizabeth Debicki, primordial dans le déroulement du film, s’avère purement fonctionnel alors qu’il devrait aussi jouer sur un terrain émotionnel. Et sans susciter d’émotion ni d’empathie, Nolan se détourne d’un élément fondamental et même indispensable pour qu’une œuvre « complexe » implique pleinement le spectateur. S’il est difficile d’assimiler Mulholland Drive de David Lynch en un seul visionnage, il n’en délivrera pas moins une multitude d’émotions à celles et ceux qui le découvrent. Ici, cette partie cérébrale prépondérante, volontairement alambiquée à outrance et non stimulante, tient plutôt de la supercherie que du tour de magie qui aboutirait au prestige pour évoquer l’un de ses plus beaux films. D’ailleurs, Tenet s’inscrit probablement comme la plus mauvaise œuvre dans la filmographie de son auteur – ce qui reste plus appréciable que les navets estivaux qu’on ne compte plus ces dernières années, mais cela ne constitue en aucun cas un motif de réjouissance. Quant à savoir si cette déception de taille assurera une rentrée satisfaisante pour le box-office ici et là, seul le temps nous le dira.

2.5 étoiles

 

Tenet

Film américain
Réalisateur : Christopher Nolan
Avec : John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki, Kenneth Branagh, Himesh Patel, Dimple Kapadia, Clémence Poésy, Michael Caine
Scénario de : Christopher Nolan
Durée : 150 min
Genre : Action, Science-fiction
Date de sortie en France : 26 août 2020
Distributeur : Warner Bros. France

 

Article rédigé par Dom

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