Critique : La Bête

Léa Seydoux retrouve Bertrand Bonello, presque dix ans après Saint Laurent. Sans la tragique disparition de Gaspard Ulliel, auquel le film est dédié, La Bête, qui s’appuie sur le roman La Bête dans la jungle d’Henry James, aurait marqué les retrouvailles d’un joli trio. C’est George Mackay qui hérite du premier rôle masculin de ce film aussi troublant qu’imparfait, évoquant dans sa science-fiction feutrée l’œuvre d’autres grands cinéastes.

Inhiber la passion

La Bête se déploie sur trois époques, 1910, 2014 et 2044. On peut s’amuser du fait qu’en 2014, Léa Seydoux était à l’affiche de La Belle et la bête de Christophe Gans. Désormais, il n’y a plus que la bête, pas tout à fait une créature redoutable mais un sentiment d’échec dans l’épanouissement des sentiments, quelque chose de profondément douloureux, et qu’il est impératif de dompter dans une société où l’IA régule tout – en 2044. Ainsi, Gabrielle Monnier (Léa Seydoux) concède à suivre un programme qui lui ôtera les affects de ses démons passés, de ses vies antérieures, où elle rencontrera toujours un certain Louis Lewanski (George Mackay), dans des circonstances différentes, bien que liées par des élans du cœur difficiles à harmoniser. D’emblée, le nouveau long-métrage de Bertrand Bonello convoque des cinéastes comme David Cronenberg – avec lequel Léa Seydoux a travaillé récemment, dans Les Crimes du futur en 2022 –, Leos Carax – cette première scène dans un studio sous fond vert, totalement dans l’esprit Holy Motors (2012) – ou encore David Lynch, la structure du film évoquant Inland Empire mais ce sont aussi des éléments filmiques encore plus précis qui font écho au cinéaste américain. Mais toutefois, le geste cinématographique reste bel et bien celui de Bertrand Bonello, par sa mise en scène et sa direction d’acteurs.

Léa Seydoux regarde George Mackay dans  La Bête

Captivant dans sa première partie, véritable labyrinthe dans lequel on suit Léa Seydoux, dans l’un de ses plus beaux rôles, La Bête trouve une délicieuse forme de vertige, par sa temporalité, ses éléments technologiques et futuristes discrets, se mariant avec une appétence pour l’occulte, la voyance. Et ce sujet, cette idée qu’une nouvelle société fera le tri parmi nos sentiments. En découlent toutes les questions qui font de nous des êtres humains, sensibles aux joies comme aux peines. Le film est également doté de scènes sublimes et parfois stupéfiantes, un Paris déserté aux abords de la Bibliothèque nationale de France, une scène sous l’eau lors de la terrible crue de la Seine à Paris, ou encore la simple imitation d’un visage de poupée, représentation typique d’une expression neutre. Par sa palette de jeu et ses multiples transformations, Léa Seydoux impressionne dans un monde où elle affronte tout, l’eau, l’ennui, un potentiel tueur (inspiré du tragique cas d’Elliot Rodger) ainsi que des attaques de pigeon. C’est une ode à la comédienne française, évoluant dans plusieurs nappes de tragédie, mais malgré tout, le charme du film finit par se dissiper à l’approche de sa conclusion, en entrant dans la dernière heure. Il manque, dans le montage du film, une certaine confiance accordée à l’attention du spectateur, qui peut se priver de certaines analepses, qui peut retracer certains liens sans que l’image ne lui impose – n’y a-t-il pas dans ce procédé une diminution de l’impact émotionnel, justement ? Alors, soudain, le film adopte une logique claire, et la partie américaine de 2014, qui s’impose dans le temps, élimine une grande partie de l’éclat de cette bête. Restent les qualités d’un film atypique et non dénué d’une aura, mais c’est l’essence du cinéma de Bertrand Bonello.

3 étoiles

 

Affiche La Bête

La Bête

Film français, canadien
Réalisateur : Bertrand Bonello
Avec : Léa Seydoux, George Mackay, Martin Scali, Guslagie Malanda, Elina Löwensohn
Scénario de : Bertrand Bonello, Guillaume Bréaud et Benjamin Charbit d’après d’une œuvre d’Henry James
Durée : 146 min
Genre : Science-fiction, Drame, Romance
Date de sortie en France : 7 février 2024
Distributeur : Ad Vitam

 

Photos du film Copyright Carole Bethuel

Article rédigé par Dom

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