[Critique] Deep End (Jerzy Skolimowski)

L’été n’est pas seulement propice aux comédies légères et aux mastodontes d’action en provenance d’Hollywood, certains films ont la chance de retrouver quelques salles obscures. Alors qu’il était l’invité d’honneur du Festival Paris Cinéma 2011, Jerzy Skolimowski se voit gratifié d’une restauration numérique et d’une reprise en salles d’un long-métrage méconnu de sa filmographie : Deep End. Une véritable perle oubliée des années 1970.

Les affres de l’amour

Premier job, véritable plongeon dans la (piscine de la) vie adulte. A tout juste quinze ans, Mickael (John Moulder-Brown) quitte l’école pour travailler dans des bains publics de l’Est londonien. Alors que son patron le reprend pour qu’il l’appelle « monsieur », Mike n’a pas idée que sa candeur va se heurter à la perversion du monde adulte, à une sexualité plus ou moins déviante et surtout, à un amour fou et unilatéral pour sa collègue Susan (superbe Jane Asher, à l’époque compagne de John McCartney), une rousse aussi vénéneuse que vénale. Deep End est autant la représentation de la tourmente d’un amour impossible et cruel que celui de la perte de l’innocence juvénile. A aucun moment nous ne nous découvrirons le foyer de Mike qui n’évoluera que sur son lieu de travail ainsi que dans les rues de Soho où la vie nocturne fait rimer les plaisirs avec la livre sterling ; ses parents ne seront aperçus que lors d’une courte visite des bains qui provoquera le premier conflit avec Susan.

Ce film, qui s’ouvre sur une perle de sang et des paroles alarmantes de Cat Stevens, « But I might die tonight » (Mais je pourrais mourir ce soir), magnétise par ses cadrages affichant une myriade de couleurs séduisantes, même lorsque la peinture a été attaquée par le temps comme aux bains publics ; toutefois, elles ne sont jamais agencées de façon psychédélique comme le suggérerait l’époque bénie des hippies. Skolimowski se positionne en peintre, il projette ses acteurs au sein de toiles, construit le symbolisme du film à partir des arrières-plans, magnifie chaque geste, chaque parole, par ses talents de metteur en scène et de directeur d’acteur. La naïveté que dégage John Moulder-Brown face à la sensualité corrosive de Jane Asher crée un cocktail enivrant qui gagne en intensité au fur et à mesure que le personnage de Mickael suffoque dans l’impasse où l’a menée Susan.

Outre sa beauté formelle, Deep End manifeste une spontanéité exceptionnelle entre ses acteurs qui, associée à la grande liberté du montage, brouillant parfois la temporalité, lui insuffle une vitalité et une fraicheur capable de traverser les décennies au même titre que Le Lauréat de Mike Nichols, pierre angulaire du Nouvel Hollywood qui aborde les mêmes thèmes de la découverte de la sexualité et du premier amour, bien que sur un autre mode. Le long-métrage de Jerzy Skolimowski souligne la corruption du monde adulte, gouverné par le sexe et l’argent : un cinéma X qui laisse entrer un jeune homme mineur, une prostituée qui offre ses services sans vergogne, des policiers prêts à fermer les yeux sur un incident contre un verre, un amateur de jeunes filles sans expérience sexuelle. Des éléments qui ne sont jamais traités avec lourdeur ni gravité, le film étant parcouru par d’excellentes notes d’humour et de scènes exaltantes, d’un baiser volé au cinéma à la perte d’un diamant dans la neige, mais qui aboutissent inéluctablement à cette mutation, à ce cheminent de l’ingénuité vers la fatalité. La magie de Deep End, c’est d’atteindre, en douceur, une profondeur insoupçonnée sur l’adolescence avec tant d’habileté. Du grand cinéma.

5 étoiles

 

Deep End

Film britannique, allemand
Réalisateur : Jerzy Skolimowski
Avec : John Moulder-Brown, Jane Asher, Karl Michael Vogler, Christopher Sandford, Diana Dors
Scénario de : Jerzy Skolimowski
Durée : 91 min
Genre : Drame
Date de reprise en France : 13 juillet 2011 (sortie initialement en décembre 1971)
Distributeur : Carlotta Films


Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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3 commentaires

  1. T’as chronique ma vraiment donnée envie de voir ce film , j’espère qu’il est distribué dans beaucoup de salles !!

  2. Il y en a peu malheureusement, mais la bonne nouvelle, c’est que cette édition restaurée trouvera le chemin de la vente en vidéo prochainement !

  3. Après la lecture de votre article, j’ai bien envie de voir ce film même après plus de 10 ans !

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