Critique : Rocketman

Après avoir sauvé du naufrage le mensonger Bohemian Rhapsody, Dexter Fletcher livre un biopic sur une icône de la musique sous un angle bien plus satisfaisant. Rocketman, biographie fantasmée d’Elton John, raconte le destin du musicien britannique en réorchestrant son passé ainsi que ses tubes.

La solitude d’une étoile brillante

Elton John ne partage pas la même image que certains artistes britanniques ayant participé à la popularisation du rock et sa pérennité. Il est certain qu’être assis derrière cet instrument classique qu’est le piano permet moins d’excentricité gestuelle que pour les guitaristes du milieu, ou bien des chanteurs, puisque Elton John est aussi une voix unique en plus de ses talents de compositeur. Il y a pourtant un geste rock incroyable lors de son premier concert à Los Angeles, au Troubadour : ce décollage incroyable avec les mains plaquées sur les touches du piano. Moment spectaculaire rejoué ici comme un ralentissement du temps, alors que les premiers rangs de la salle décollent avec celui que l’on connaît pour des morceaux tels que Tiny Dancers, Mona Lisas and mad haters, Saturday Night’s alright for fighting ou encore le fameux Rocket man qui sert non seulement de titre au film mais aussi d’axe à cette trajectoire vers les hauteurs de la célébrité, fuite ascensionnelle de certains démons pour en trouver d’autres encore plus pernicieux, comme l’héroïne et l’alcool. D’ailleurs, pour lancer ce long métrage, c’est à une réunion d’alcooliques anonymes que débarque Elton John, joué par Taron Egerton, accoutré comme un diable pour se détacher de ses démons par la parole.

Cette thérapie biographique part de l’enfance du futur prodige, et Rocket man déploie sa destinée à la façon d’une comédie musicale, où chaque morceau permet non seulement d’exprimer les états d’âme du musicien mais aussi d’exposer un pan de sa vie. La beauté de ces numéros et parties scéniques bénéficient de toute la fluidité de la mise en scène propre à Dexter Fletcher, favorisant le mouvement et les raccords numériques qui permettent quelques effets fantastiques, ainsi qu’une direction artistique soignée, des décors aux costumes. Contrairement à Bohemian Rhapsody, ce film musical ne trahit pas une figure disparue qui n’a donc plus son droit de regard. Le film a été produit par Elton John, qui n’a pas le désir de raconter sa vie avec exactitude mais plutôt de raconter les souvenirs de ses maux, des partenaires de son parcours, mais aussi témoigner de cet état ahurissant d’abolissement de toutes notions spatio-temporelles pour les rockstar prises dans ce tourbillon de concerts, d’alcool et de drogues, dont beaucoup ont pu témoigner, comme Jimmy Page de Led Zeppelin pour ne citer qu’un célèbre guitariste. Tourbillon mis en image avec brio lors d’un plan tournoyant où les tenues et morceaux s’enchaînent jusqu’à une ivresse qui souligne la solitude d’Elton John. C’est grâce au parolier et ami Bernie Taupin (Jamie Bell) que celui né sous le nom de Reginald Dwight a pu catalyser et amplifier son talent de musicien, car son génie au piano et sa voix superbe masquent un véritable manque de talent pour écrire des paroles entêtantes. Bernie est donc ce parolier magnifique qui n’aura jamais eu à souffrir de l’exposition médiatique, de la joie et de la dureté des tournées sans fin, vivant le succès à distance, dans une ombre protectrice.

L’une des belles idées de cette réorchestration de la vie d’Elton John est qu’elle se prolonge dans le travail musical : aucun morceau dans sa version originale n’est employé ici. Aron Egerton, absolument parfait dans le rôle, interprète tous les morceaux – dès l’âge adulte du personnage – et le compositeur Giles Martin a revisité les compositions pour livrer uniquement des visions alternatives de certains hits de la première partie de la carrière d’Elton John. Car ce film où il est question de rejet parental, de coming out et de quête d’un amour véritable s’arrête en milieu de carrière, il y a près de 30 ans, quand Elton John est enfin parvenu à trouver une forme de paix intérieure. Ce film musical qui, bien que ne trouvant jamais de sommets d’intensité, se montre tantôt grisant, tantôt touchant, valorise en premier lieu son jeune interprète principal. Il est dommage que le film s’achève avec certains travers du biopic, avec un épilogue un brin inepte et surtout ce besoin de comparer ce qui a été recréé pour la fiction avec la réalité. Pas de quoi gâcher l’expérience musicale proposée évidemment, aventure au plus près de la solitude d’une brillante étoile du rock.

3.5 étoiles

 

Rocketman

Film britannique
Réalisateur : Dexter Fletcher
Avec : Taron Egerton, Jamie Bell, Richard Madden, Bryce Dallas Howard, Gemma Jones, Steven Mackintosh, Matthew Illesley, Kit Connor, Tom Bennett
Scénario de : Lee Hall
Durée : 121 min
Genre : Biopic, Comédie dramatique, Musique
Date de sortie en France : 29 mai 2019
Distributeur : Paramount Pictures France

 

Article rédigé par Dom

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Un commentaire

  1. Beaucoup aimé, notamment et aussi parce que c’est l’anti-thèse idéale à l’hagiographie « Bohemian Thapsody »

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