Critique : Ad Astra

Après s’être enfoncé dans la chaleur humide de la jungle dans The Lost City of Z, James Gray met le cap sur des horizons étoilés. Avec Ad Astra, le cinéaste américain livre une œuvre de science-fiction remarquable, connectant l’universel à l’intime dans un voyage unique, qui évoque le cheminement sinueux d’Apocalypse Now.

Quête d’humanité

Voici l’histoire d’un homme sur la trace de son fantomatique père, un homme brillant dans son domaine, qu’il partage avec son éminent paternel : l’astronomie. Roy McBride (Brad Pitt, dans une année fantastique avec son rôle de cascadeur dans Once upon a time… in Hollywood) a pourtant passé une grande partie de sa vie sans rien partager avec H. Clifford McBride (Tommy Lee Jones), parti il y a 30 ans pour une mission de recherche de vie extraterrestre aux abords de Neptune, pour ne plus donner le moindre signe de vie depuis une quinzaine d’années. Ad Astra est un film puissant sur la solitude, à deux échelles, celle individuelle, d’un homme qui se montre incapable de ressentir des émotions, ce qui fait paradoxalement de lui un astronaute exceptionnel, maîtrisant son rythme cardiaque avec un flegme hors norme, et c’est aussi un film sur la solitude humaine : y-a-t-il une forme de vie intelligente quelque part autour de notre planète ? Dans le futur proche qui sert de décor à James Gray, l’homme a colonisé la Lune, et une vaste partie de l’astre lunaire se présente comme un nouveau Far West tandis que Mars abrite les stations spatiales les plus éloignées de notre berceau originel. L’espace a tant été filmé, montré et ré-imaginé au cinéma qu’il semble difficile d’innover en matière d’imagerie et même d’atmosphère plus généralement. Pourtant, dès ses premières minutes, Ad Astra propose un regard singulier, dans le prolongement du mythe 2001 : l’odyssée de l’espace sans lui rendre hommage, sans s’arc-bouter sur ses éléments clés pour trouver un nouvel essor qui tient ici purement du travail d’un auteur avec des astronautes de la NASA. Un rythme placide s’installe, comme si nous épousions les battements de cœur de Roy McBride, une mise au diapason qui passe aussi par la musique aérienne de Max Richter, qui trouve l’incarnation dans sa sobriété, son minimalisme, et complétée par des morceaux densifiant un peu plus cet univers marqué par la noirceur abyssale de l’espace.

Ad Astra dépeint un monde où l’être humain a perdu, insidieusement, une part de son humanité. Il y a quelque chose de profondément déprimant à suivre les évaluations psychologiques enregistrées par une machine ne laissant traverser aucune émotion dans sa voix pourtant fidèle à la notre. Une émotion devenue purement codifiée, interprétée selon certains critères effaçant tout ce qui fait de nous des êtres différents les uns des autres, avec des failles. Roy McBride semble infaillible, et même lorsqu’une mission de routine tourne à la catastrophe au début du film, l’astronaute conserve son plus grand sang-froid. Un détachement absolu, empêchant toute relation de couple saine. Le dangereux phénomène électrique ouvrant le film va conduire Roy McBride vers une mission qu’il n’aurait même pas pu imaginer. SpaceCom, société leader dans la conquête de nouveaux mondes, pense que les surcharges électriques qui ont frappé Mars, la Lune et la Terre proviennent du Projet Lima, l’ultime mission menée par le père de Roy. Ce dernier pourrait être toujours vivant et à l’origine de ces mortelles vagues de surcharges électriques. Il sera demandé à Roy de rejoindre Mars afin d’envoyer un message capable de raisonner H. Clifford pour qu’il cesse de mettre en péril la race humaine.

Par son caractère introspectif – la voix en off de Brad Pitt mais aussi ses nombreuses scènes de solitude spatiale –, son rythme ainsi que ses univers sonores et visuels, Ad Astra donne l’incroyable sensation d’assister à un spectacle en étant, nous-mêmes, en apesanteur l’espace de deux heures. Nous n’avions pas vu d’images aussi saisissantes de notre galaxie et de voyages spatiaux depuis Interstellar. Le septième long métrage de James Gray constitue une expérience qui ne peut se vivre pleinement que grâce à l’immensité des salles de cinéma, dont l’écran n’est autre qu’une fenêtre panoramique ouverte sur l’inconnu. Parsemé de quelques séquences d’action dont le déroulement tient aussi de l’inédit, Ad Astra amplifie ses enjeux psychologiques et émotionnels au fil de sa dangereuse aventure, rappelant la quête du capitaine Willard pour trouver et éliminer le colonel Kurtz dans Apocalypse Now. Certains facteurs sont d’ailleurs communs, et cette quête ici trouve pour émotion supplémentaire la relation de parenté entre les deux hommes alors que l’hostile jungle vietnamienne laisse place à un monde infini, merveilleux mais aussi terriblement périlleux. On ressort soufflé d’Ad Astra comme on descendrait groggy d’une navette au bout d’un long voyage aux confins de notre univers. Du cinéma grandiose.

4.5 étoiles

 

Ad Astra

Film américain
Réalisateur : James Gray
Avec : Brad Pitt, Donald Sutherland, Ruth Negga, Tommy Lee Jones, Liv Tyler, Jamie Kennedy, Kimberly Elise
Scénario de : James Gray, Ethan Gross
Durée : 124 min
Genre : Science-fiction, Drame
Date de sortie en France : 18 septembre 2019
Distributeur : Twentieth Century Fox France

 

Article rédigé par Dom

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