[Critique] Looper (Rian Johnson)

Rian Johnson, réalisateur talentueux mais encore méconnu, s’attaque à la science-fiction pour son troisième long-métrage. Fidèle à sa marque de fabrique, les genres se confondent au cœur d’une intrigue dense, s’enrichissant tout au long du film. Peut-être ce que la science-fiction a de meilleur à nous offrir au cinéma cette année, avec en prime, un casting épatant.

Sale boulot

La machine à remonter le temps existe. Enfin, il faut attendre 2070, date de sa création et de son bannissement. Pour la mafia, son exploitation illégale donne un stratagème parfait pour faire disparaître ses victimes : elles sont envoyées trente ans plus tôt pour être exécutées par des bourreaux baptisés loopers (de l’anglais « boucle »). Calcinés en 2044, les corps disparaissent littéralement de la nature. Pas de corps, pas de trace, pas d’inquiétude. Simples hommes de main, armés d’un tromblon aussi puissant qu’imprécis au-delà de quelques mètres, les loopers attendent leur cible à un lieu donné, à une heure donnée. Un pauvre bougre apparaît cagoulé, reçoit sa décharge, et la prime se récupère directement dans le dos de la victime. Ce sale job lucratif occupe Joe (Joseph Gordon-Levitt) ainsi que son camarade Seth (Paul Dano) depuis quelques années, mais il possède un désavantage lourd. La rupture de contrat, à l’initiative de l’employeur, est assez effroyable : tout looper arrivera au jour où il doit « boucler sa boucle », c’est à dire abattre le lui du futur, reconnaissable à la prime exceptionnelle portées. Suite à cela, pour le looper concerné, c’est environ trente années de vie garantie, une retraite à se la couler douce jusqu’au terrible jour où il sera envoyé dans le passé pour y mourir. Ce pacte avec le diable, les loopers l’acceptent, mais pour Joe, son entité du futur, interprétée, par Bruce Willis, ne va pas se laisser tuer si facilement.

Dans ce triste monde futuriste, des mutations génétiques ont permit à certains de développer un pouvoir télékinésique, peu utile dans la jungle sans merci que sont devenues les villes, pestiférées par la misère et la radicalisation de l’usage des armes à feu. L’univers visuel rappelle Blade Runner et consorts, mais Johnson n’abandonne pas le cadre champêtre pour autant, une grande partie du film se déroulant dans une ferme isolée. D’aucuns pourraient critiquer cette scission, ou plutôt, cette cohabitation de l’intimisme familial à l’éclat du grand spectacle, impliquant des variations de rythme conséquentes. C’est pourtant là où réside une des grandes forces de Looper, et par extension du cinéma de Rian Johnson, mêler des extrêmes avec un style personnel. Une arnaque presque parfaite, son premier film, unissait le film de truands à la romance, en maintenant un équilibre entre ressorts comique et dramatique. Brick, également avec Joseph Gordon-Levitt, transformait une bande de lycéens en protagonistes de polar des plus singuliers. Avec Looper, Johnson salue autant L’Armée des 12 singes que Akira, concoctant une efficace double chasse à l’homme riche en niveaux de lecture, ménageant suspense, violence et humour. Se confronter à son moi futur, c’est se confronter au présent à ses actions sur le long terme, un principe assez jouissif avec le personnage de Joe, incarnation parfaite de l’égocentrisme dominant aujourd’hui. Dans sa quête pour récupérer sa vie, il rencontre Sara, excellente Emily Blunt en fermière recluse avec son fils Cid (Pierce Gagnon), des personnages aussi travaillés et qui conduiront à une véritable réflexion sur l’éducation. Dommage toutefois que du côté de la mafia, les personnages présentent moins de relief, constituant alors une menace peu prégnante.

En plus d’être passionnant, Looper est particulièrement réussi formellement. La mise en scène, fluide et dynamique, non sans rappeler les mouvements de caméra chers à Martin Scorsese, rend les affrontements et déplacements jouissifs. Le montage privilégie toujours la lisibilité de l’action, sans se priver de jouer sur le tempo quand la séquence le permet – enchaînement des assassinats, prise de drogue, chute dans un escalier. Les plus pointilleux en terme d’effets numériques ne trouveront pas toujours leur bonheur, mais le modeste budget du film – estimé à 30 millions de dollars – ne le destine pas à concurrencer les grosses écuries du milieu. Appuyé par une intéressante bande originale électronique, avec des relents de Hans Zimmer période Inception, une photographie raccord avec la bipolarité spatiale, froide en milieu urbain et chaude en dehors, frappée par un léger abus de lens flare, la seule véritable tare artistique du long métrage se niche dans le maquillage de notre protagoniste. A renfort de quelques effets numériques, le visage de Joseph Gordon-Levitt a été retravaillé afin de poser des similitudes avec celui de Bruce Willis. Grâce au mimétisme des tics appliqués par Gordon-Levitt, le résultat est souvent séduisant, mais la sensation d’être face à un visage de cire prend régulièrement le dessus. Mais qu’importe ce détail plastique dans cette machine bien huilée, dense et captivante, Looper est de la trempe de ces grands divertissements stylés et intelligents, un vrai bonheur dans le genre de la science-fiction, plombé par des remakes puants et suites opportunistes. Il faut apprendre à briser la boucle, ce que réalise Rian Johnson avec brio.

4.5 étoiles

 

Looper

Film chinois, américain
Réalisateur : Rian Johnson
Avec : Joseph Gordon-Levitt, Bruce Willis, Emily Blunt, Paul Dano, Noah Segan, Jeff Daniels, Pierce Gagnon
Scénario de : Rian Johnson
Durée : 118 min
Genre : Science-fiction, Thriller, Action
Date de sortie en France : 31 octobre 2012
Distributeur : SND


Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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5 commentaires

  1. Un film que j’attends avec impatience, sachant que je ne suis généralement pas friand du genre auquel il appartient. A l’image de ton papier, les avis sont unanimes.

  2. J’espère que tous ces avis ne vont pas gonfler tes attentes. Je connais quelques personnes qui n’ont pas apprécié le film, pour des raisons scénaristiques avant tout – de longs débats sur les voyages temporels vont suivre.

  3. salutations maître Dom !!

    Je reviens d’une longue séance de méditation (qui a duré des mois!!) et du coup je me sens obligé de parler de Looper (que je dois voir bientôt). Personne n’a réellement le même avis mais j’ai sentie que tu partais un peu dans le même sens que Mad Movies (c’est à dire le bon normalement!) et j’espère que vous avez tapé juste car sinon je reviendrais cracher ma bile ici même….sur Mad Movies ça ne sert à rien ils s’en foutent…quoi? Toi aussi? Mince….

  4. @Bruce : Salutations mister Kraft, ce « maître » me fait autant rougir qu’il me dérange ! Y a pas de raison que « Looper » ne te botte pas aussi. Les seules choses négatives que j’ai pu lire jusqu’à présent sont des avis de personnes qui n’ont pas compris (ou ont rejeté) la logique du film. Mais que tu aimes ou non, tu es le bienvenue pour cracher louanges, bile, ou même du champagne ici même.

  5. @Dom: et bien tu avais raison: ce film est jouissif, pas un brin prétentieux et il y a un côté Verhoeven qui me plaît énormément…du coup je ne me suis même pas sentit obligé de lui mettre un 6 sur 7!!

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