Cannes 2022 la croisière déraille

Le retour du cinéaste suédois Ruben Östlund après sa palme pour The Square en 2017 est un petit événement. Avec Triangle of sadness, en compétition, il tire encore une fois à boulets rouges sur la bourgeoisie et le patriarcat dans un film parfois hilarant. Mais le samedi 21 mai a aussi été marqué par la découverte d’un cinéaste ukrainien, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, qui livre un premier long métrage saisissant avec Pamfir. Nous avons aussi eu la joie de découvrir le nouveau film de George Miller, Trois mille an à t’attendre et le premier long métrage de Céline Devaux, Tout le monde aime Jeanne.
Ci-dessus, Céline Devaux reçoit de beaux applaudissements avec son équipe au Miramar.

Déphasés. Nous sommes le tous, sous le coup des fêtes ou non, car conserver en tête son emploi du temps pour les projections relève de l’exploit avec cette billetterie en ligne, toujours aussi critiquée malgré des améliorations d’accès pour tous les festivaliers. En effet, il faut toujours prévoir les séances auxquelles on veut assister dans quatre jours, et arrivant déjà à la moitié du festival, difficile de ne pas être perdu pour les salles où il faut se rendre réellement le lendemain, voire parfois le jour même. Mais les primo-festivaliers nous aident aussi à rester enthousiastes, ils voient le festival et ses nuits avec un regard neuf et enchanté.

Un regard neuf est probablement nécessaire pour plonger dans Trois mille an à t’attendre de George Miller, qui n’a en aucun cas l’ambition de son monumental Mad Max : Fury Road. Il s’agit d’un conte, centré sur une narratologue campée par Tilda Swinton. Lors d’un voyage pour une conférence sur l’étude des mythes, un collègue lui offre une mystérieuse bouteille qui contient un Djinn – Idris Elba. Libéré, il va lui accorder trois souhaits, chose qu’elle refuse car elle sait que ces souhaits peuvent être détournés ou provoquer le malheur. Alors, le Djinn lui raconte son histoire, ses multiples enfermements au fil des siècles. Ce récit gigogne à la mise en scène inspirée traite évidemment du danger des désirs, mais aussi d’égoïsme, de manque d’empathie pour cette créature fantastique. Miller troque la violence de son précédent long métrage pour une tendresse réjouissante, notamment grâce aux messages véhiculés par la dernière partie du film.

En sortant de la salle Agnès Varda, je tombe sur un duo de Vincent, Lacoste et Macaigne, sortant du photocall. Je ne savais pas encore à cet instant que j’allais recevoir une claque face à Pamfir à la Quinzaine des réalisateurs. Situé dans le sud-ouest de l’Ukraine, dans des paysages encore sauvages, avec un village qui semble d’un autre temps, nous suivons Léonid (Oleksandr Yatsentyuk), dit Pamfir, de retour parmi les siens après une longue période de travail en Pologne. Ce qui frappe, c’est l’assurance de la mise en scène de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, qui compose son film uniquement de plans-séquences parfaitement chorégraphiés. Des plans sublimes par la photographie mais aussi prenant grâce à la carrure et au charisme de son comédien principal – mais l’ensemble du casting est à saluer ici. Ce père d’un fils unique va devoir reprendre une activité illégale pour réparer une erreur de son adolescent, qui a mis le feu à l’Eglise – il voulait juste brûler les papiers de son père pour qu’il reste jusqu’au carnaval. Reprise de la contrebande vers la Roumanie. Seulement, toute la zone est sous le joug d’un trafiquant vénéré par la communauté locale, M. Oreste. Cette chronique familiale qui lorgne du côté du thriller criminel joue brillamment avec plusieurs tonalités, car même si la trajectoire est tragique, on se surprend à rire de certaines situations et la dimension socio-politique ajoute de la densité à l’ensemble. On touche aussi au récit initiatique avec le fils, Nazar. La relation entre les divers personnages, mêmes secondaires, se développe naturellement au fil de cette mauvaise passe dans laquelle tombe Pamfir. Un scénario juste brillant. Et toujours, on reste bluffé par les choix de mise en scène du cinéaste, avec une caméra quasiment toujours en mouvement, comme ses personnages. Un premier film qui peut sérieusement prétendre à la Caméra d’Or.

Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, au micro, était présent avec son équipe au Théâtre Croisette pour nous en dire un peu plus sur la conception de ce film percutant.

L’après-midi, la presse a le plaisir de découvrir Triangle of sadness en salle Debussy. Ruben Östlund a ses fans et ses détracteurs, et il est difficile de jauger l’atmosphère générale ici tant le film nous a plongé dans l’hilarité par moment, mais avec une partie de la salle restant de marbre face à un spectacle parfois… nauséabond ! Il faut avouer qu’il se montre parfois puéril et excessif, mais cela nourrit son cinéma qui porte un regard perspicace sur notre société. Dans The Square, c’était le milieu de l’art contemporain qui lui servait de cadre pour critiquer la bourgeoisie et la bassesse d’un père de famille. Cette fois, c’est le milieu de la mode et des influenceurs – ces mêmes influenceurs qui débarquent en force sur la croisette cette année. La séquence d’ouverture, dans les coulisses d’un casting de mannequins hommes se montre brillante, avant de resserrer son premier véritable chapitre sur Carl et Yaya, un couple de mannequins où, contrairement à la plupart des milieux, c’est la femme qui ramène le plus d’argent à la maison – et qui refuse de payer la note du restaurant, et là encore, la situation comique irrigue le propos général du film, à la fois sur la superficialité et la masculinité. Le deuxième chapitre, sur un yacht, permet d’inclure ce couple parmi d’autres personnages de la haute société, comme un oligarque russe qui a fait fortune dans les engrais – il se plait à dire qu’il a fait fortune en vendant de la merde –, un génie de l’informatique finlandais, etc. Une croisière qui met en exergue deux mondes, ceux des nantis qui doivent pouvoir jouir de tout, ce celui d’un personnel qui doit répondre à toutes leurs exigences, avec aussi les petites mains qui font tourner la machine, comme les femmes de ménage. Parfois sarcastique, Östlund s’amuse à faire dérailler le manège des vanités, et quel plaisir. Avec mes camarades, face à une scène d’anthologie, nous avons pleuré de rire, et ce, jusqu’à rire jaune. Là aussi réside le talent de Ruben Östlund, lorsque que la punition d’abord amusante tourne au châtiment qui nous questionne. J’aurais aimé assister à cette séance au Grand Théâtre Lumière pour saisir la réaction des 2000 spectateurs, car dans le public, il y a toute une caste, ainsi que les hommes, qui se retrouvent confrontés à leurs pires travers. Moins fin que The Square dans ses rouages, cette nouvelle comédie noire se montre des plus réussies.

En matière de réussite, il y a aussi le passage au long métrage de Céline Devaux, multi-récompensée avec son court métrage d’animation Le Repas dominical. Bien que Tout le monde aime Jeanne met en scène des acteurs en chair et en os répondant aux noms de Blanche Gardin et Laurent Laffite, présents avec la cinéaste au Miramar, elle n’abandonne pas l’animation. Les pensées et réflexions de Jeanne – Gardin donc – sont illustrées par de brèves séquences animées, avec son style si particulier, et cette petite voix intérieure, ironique ou blessante – et qui pourraient irriter certains qui n’adhéreraient pas à ce concept. Jeanne est une écologiste qui allait peut-être sauver la planète du plastique dans les océans avec son projet Nausicaa, mais son lancement catastrophique la met dans la pire situation financière, au point de penser au suicide. Il faudra se rendre au Portugal pour vendre l’appartement que sa mère, qui s’est donnée la mort, lui a laissé à elle et à son frère. Lors de son départ, elle tombe sur Jean – Laffite –, un ancien camarade de classe dont elle ne se souvient pas et qui semble des plus amoureux. Un personnage fantasque, toujours en décalage, et qui apporte les situations les plus drôles de cette comédie dramatique qui parvient à aborder la dépression sous un angle original – et le soleil enchanteur du Portugal. La plus belle façon de conclure le programme des projections ce samedi, malgré une séance de minuit avec Quentin Dupieux (Fumer fait tousser).

Le soir, retrouvailles avec des camarades des Arcs Film Festival à la soirée organisée par la Croatie sur la plage Mademoiselle Gray. L’occasion de découvrir certains mets de ce pays, comme le fromage Pegula ainsi que la liqueur Antique Pelinkovac – qui se rapproche du Jaggermeister. Sur un écran géant dans la salle de danse se succèdent des images de films et séries tournées en Croatie, comme Games of Throne, mais sur un air de « La Felicita » – il faut avouer à la fin de la soirée que le DJ était aussi original que ceux que l’on trouve dans certaines réunions familiales ou mariages, quand la mauvaise personne s’empare des platines ! Ce fut aussi l’occasion de parler de films et tournages avec un groupe de productrices suédoises et norvégiennes : à Cannes, il ne faut jamais perdre le nord.

Article rédigé par Dom

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