[Critique] 40 ans : mode d’emploi (Judd Apatow)

Après avoir ausculté l’univers des comiques dans le bipolaire Funny People, Judd Apatow se lance dans une comédie inspirée par sa propre vie de père de famille. Avec 40 ans : mode d’emploi, le cinéaste ne livre pas tout à fait un manuel de la quarantaine, mais une œuvre aussi amusante que vaine.

Petites crises en famille

Judd Apatow est incontestablement un producteur de comédie indispensable. De la série Freaks & Geeks à la récente Girls de Lena Dunham, sans oublier des films comme SuperGrave ou Frangins malgré eux, Apatow est à la tête d’un clan jouant avec un humour potache et grivois, n’oubliant jamais un doux regard analytique sur leurs personnages et leur condition. Mais il semblerait que les talents de scénariste et réalisateur de celui souvent qualifié de Roi de la comédie américaine ne soient victimes d’une érosion engagée par le tragico-comique Funny People. 40 ans : mode d’emploi est résolument fun, Apatow reste un grand pourvoyeur de vannes hilarantes et référencées mais, au-delà de l’exposition des problèmes de ses protagonistes, il se montre incapable de creuser les crises, d’engager une évolution sentimentale ou narrative. En résulte une comédie douloureusement statique malgré les rires qu’elle peut décrocher aisément. Ici, Pete (Paul Rudd) et Debbie (Leslie Mann) voient leur couple entrer en crise lors des fatidiques quarante bougies plantées sur le gâteau d’anniversaire. Leur deux filles, plus ou moins livrées à un monde technologique – un point qui, comme d’autres, témoigne toutefois d’une certaine finesse de regard sur la société –, sont pris dans le feu des disputes parentales. Si la trop rare Leslie Mann excelle toujours dans ce rôle de mère qu’elle semble camper à chacune de ses apparitions au cinéma et trouve un bon partenaire en la personne de Paul Rudd, les deux enfants, jouées par les filles du couple Apatow/Mann dans la vie, se montrent catastrophiques. Les interventions sporadiques des deux filles passaient sans casse dans les précédents films d’Apatow, mais cette fois, ces rôles conséquents exposent leur absence total de talent d’actrices, tuant l’atmosphère et le rythme de nombreuses scènes.

Viennent se percuter sur les problèmes directs de Pete et Debbie – financiers pour le premier, son label musical courant à la banqueroute ; physiques pour elle, souhaitant retrouver un corps de jeune femme – des relations compliquées avec leurs parents respectifs. Une galaxie de personnages plutôt plaisants, à laquelle s’ajoutent amis et collègues campés par Jason Segel, Megan Fox, Chris O’Dowd et Charlyne Yi – les plus drôles mais aussi les plus rares à l’écran ! Une surcharge de visages et de personnalités qui immobilise un peu plus 40 ans : mode d’emploi dans sa nervosité statique, où les disputes sont inconséquentes et où le spectre du génial En cloque, mode d’emploi flotte dans de nombreuses scènes – le réalisateur réemploie des effets et va jusqu’à rejouer le trip sous champignon, enfin, ici, sous marijuana, dans une chambre d’hôtel. Après avoir tourné en rond deux heures durant, sans rien résoudre – ou dans une facilité lamentable –, Apatow lâche le spectateur dans un générique tourné sur l’hilarité vulgaire d’un second rôle. Avec l’âge, la peur qui habite Judd Apatow est peut-être celle de ne plus faire rire, alors que c’est pourtant là où il triomphe toujours. L’échec se niche dans l’action de nous émouvoir et de nous éclairer sur les passages obligatoires de la vie. Le sceptre du roi de la comédie américaine est bel et bien brisé.

Remerciements : AlloCiné