Critique : Le Redoutable

Michel Hazanavicius revient à la comédie (dramatique) avec Le Redoutable, un portrait désinvolte de Jean-Luc Godard, loin des standards surannés des biopics à la française, pour traiter d’amour, de cinéma, et de révolution. Une œuvre douce-amère qui nous conduit de l’échec de La Chinoise au tournage du film du groupe Dziga Vertov, Le vent d’est.

Remise en question

En 1967, la comédienne Anne Wiazemsky, découverte dans Au hasard Balthazar de Robert Bresson, épouse Jean-Luc Godard, qui la placa face à sa caméra dans La Chinoise. De ce mariage, de cette histoire d’amour quasiment vouée à l’échec naîtront deux romans, Une année studieuse et Un an après. Avec Le Redoutable, Michel Hazanavicus adapte ce second récit – piochant dans quelques éléments du premier – pour souligner l’aspect tragico-comique de cette relation amoureuse se délitant dans une France en révolte, celle de mai 68. Avec le cruel échec de The Search, précédent long métrage de Michel Hazanavicius, on peut voir d’emblée un aspect méta des plus intéressants : Hazanavicius filme un Godard dans le doute, qui se remet en question profondément, dans sa vie quotidienne mais aussi dans sa démarche de réalisateur, allant jusqu’à renier ses premiers chefs d’oeuvre en public. Mais quelles sont les conséquences d’une telle démarche, d’une « révolution intérieure » irritant tout l’entourage du cinéaste, ses collègues et amis mais surtout, en première ligne, sa compagne de 17 ans sa cadette, voyant son amour s’éroder inexorablement au fil des semaines ?

Cette histoire d’amour condamnée à l’implosion est donc comptée du point de vue d’Anne Wiazemsky, campée par Stacy Martin. Si la comédienne française est loin de présenter les traits de l’ex-épouse de JLG, son visage évoque une autre égérie du cinéma de Godard, sa précédente femme, Anna Karina. Il y a chez Stacy Martin une grâce qui semble venir d’une époque révolue, un visage au pouvoir de séduction incroyable mais loin d’être lisse : on lit dans son regard un passé tumultueux, et un amour dont l’éclat tend à se faner au fil des extravagances et bévues de son réalisateur de mari. Malgré ses airs d’ingénue, cette femme aimée mais écrasée se libérera peu à peu du joug d’un mari possessif et jaloux. Lui, l’un des chantres de la Nouvelle Vague, c’est un Louis Garrel transformé qui l’interprète à merveille. Du look au zozotement sur-appuyé, Louis Garrel nous offre un rôle de composition exceptionnel, permettant à Michel Hazanavicius de rendre un fabuleux hommage désinvolte à Godard. Grâce à des dialogues percutants, un humour pince-sans-rire et un joli comique de répétition – ces lunettes au destin tragique –, Le Redoutable trouve un bel équilibre entre l’humour et le drame sentimental, sous fond des événements de mai 68. Avec ses centaines de figurants manifestant dans les rues de Paris et s’affrontant avec les forces de l’ordre – dont j’ai eu l’honneur et le plaisir de faire partie, une expérience fantastique –, le film de Michel Hazanavicius impressionne par son travail de reconstitution qui nous conduit aussi dans le sud de la France et en Italie, pour retrouver notamment un certain Bernardo Bertolucci (Guido Caprino).

Construit sous forme de tableaux comme l’est Vivre sa vie, Le Redoutable joue délicieusement avec les codes du cinéma du franco-suisse. Les aphorismes prononcés dos au mur deviennent ici un pur exercice ludique de mélange de titres de livres, jeu auquel gagne toujours Godard : les règles, c’est lui qui les fait. Et c’est par ce principe de saynètes que le film prend, discrètement, de l’ampleur. Il y a ce retour houleux en voiture d’Avignon où l’avis d’un quidam ramenant la troupe sur Paris alimente une dispute, cette conversation sous-titrée pour révéler les pensées véritables d’Anne et Jean-Luc derrière chaque phrase, ou encore ce jeu sur la colorimétrie lorsque Godard se rend compte de la fracture qu’il y a entre lui, le cinéaste révolté en pleine réflexion, et cette jeunesse étudiante qui le classe dans le camp ennemi. Des cinéastes entourant Godard à cette époque, seuls Michèle Rosier (Bérénice Béjo) et Michel Cournot (Grégory Gadebois) sont représentés : c’est toujours le point de vue de Wiazemsky qui prime dans cet anti-biopic, exercice passionnant qui, exagérant les traits de caractère de Godard, salue savoureusement un génie du cinéma atypique, un homme qui, s’il n’a pas su préserver son mariage, est parvenu à toujours enrichir sa conception et son approche du 7ème art. Son prochain film, Le livre d’image, est d’ailleurs attendu pour 2018. Pour sa part, Michel Hazanavicius livre avec Le Redoutable un film certes moins hilarant que ses OSS 117, mais peut-être le plus profond et charmant derrière sa façade irrévérencieuse et un tantinet narquoise. Amateurs de Nouvelle Vague ou non, Le Redoutable, avec son duo d’acteurs parfait, se présente comme une comédie nostalgique immanquable en cette rentrée.

A lire aussi, la découverte du film à Cannes 2017.

4 étoiles

 

Le Redoutable

Film français
Réalisateur : Michel Hazanavicius
Avec : Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo, Micha Lescot, Grégory Gadebois, Jean-Pierre Mocky, Guido Caprino
Scénario de : Michel Hazanavicius, d’après un roman d’Anne Wiazemsky
Durée : 107 min
Genre : Comédie dramatique, Romance, Biopic
Date de sortie en France : 13 septembre 2017
Distributeur : StudioCanal

Bande Annonce :

Article rédigé par Dom

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