Critique : Civil War

Avec Civil War, Alex Garland s’écarte de la science-fiction pour nous plonger dans une dystopie ultra réaliste ébranlant les Etats-Unis. Par sa mise en scène, sa violence et sa trajectoire narrative, le film s’avère des plus anxiogènes et tétanisant.

Chute d’une nation

Lee (Kirsten Dunst) regarde l’allocution du président américain (Nick Offerman) avec une idée en tête, celle de lui tirer le portrait, peut-être l’ultime si les forces sécessionnistes s’emparent de la Maison-Blanche. Cette photographe de guerre porte en elle toutes les horreurs qu’elle a documentées : un éclat de vie manque dans son regard. La rencontre avec Jessie (Cailee Spaeny), lors d’une émeute pour de l’eau, la reconnecte à son propre passé : cette jeune fille équipée de son appareil photo argentique, c’est elle. Alors que Lee va traverser des zones dangereuses pour rejoindre Washington avec son collègue Joe (Wagner Moura), Jessie va rejoindre le groupe, complété par un journaliste expérimenté, Sammy (Stephen McKinley Henderson). Près de 1500 km sont à traverser dans une Amérique ravagée par une guerre dont ne connaîtra pas la raison, ni les enjeux. En limitant notre point de vue à ce que vivent les protagonistes, Alex Garland confectionne le cadre parfait pour se confronter à cette situation terrifiante. Il n’y a pas de grandes images de foule en panique, ni de combats dantesques, et pourtant, chaque confrontation, chaque coup de feu nous transperce par une forme d’ultra réalisme dans la mise en scène, associée à un travail de contraste sur le son. En plaquant des musiques extradiégétiques sur des scènes de combat ou d’exécution, le cinéaste provoque des émotions vives et contradictoires, et lorsque le silence s’invite pour ne laisser place qu’aux obturateurs des appareils photo, le spectateur se retrouve proche de l’apnée, en manque d’oxygène face à des scènes difficiles voire horribles, habituellement vues dans d’autres zones du globe.

Kirsten Dunst

Il y a dans Civil War comme un goût d’apocalypse, et le film peut évoquer d’ailleurs des films de zombie avec ses zones désertées, ces routes encombrées par des véhicules abandonnés ou détruits, ces lieux à priori calmes mais qui sont habités par la mort. Près d’un foyer américain sur deux est en possession d’armes à feu : en cas d’insurrection, il est inutile de préciser que cela aurait un rôle déterminant dans la formation de groupes armés. Si bien qu’ici, il faut du temps avant de savoir où l’on se situe, le treillis n’étant pas propre à l’armée régulière – mais la chemise hawaïenne, elle, n’appartient qu’aux sécessionnistes ! Et c’est auprès de ces forces de soulèvement que l’on passe le plus de temps : les voir défaire l’armée américaine au combat et exécuter les prisonniers plonge dans un profond malaise, tout comme une scène de torture où se pose la question délicate de la place et du rôle du photographe.

Camp militaire vu du ciel

Terrifiant et captivant dans sa proposition de chaos américain, le nouveau long métrage d’Alex Garland prend pour protagonistes les journalistes de guerre. Avec Lee, superbement campée par Kirsten Dunst, le spectateur voit les effets de la guerre sur ce corps de métier. Désabusée, voire déshumanisée, Lee ne semble vivre que pour le cliché, la photo qui exprime ce qu’il manque parfois au langage, mais pourtant, cette traversée la reconnectera à son humanité. Prenant Jessie sous son aile, elle lui transmet ses connaissances et pousse la jeune femme, encore sensible, à oser, à photographier l’impensable. Avec ce rôle sensible et exigeant, Cailee Spaeny montre, après Priscilla (2024), un peu plus l’étendu de son talent. Civil War porte en lui la mécanique d’un récit initiatique, mais dans un contexte singulier : il n’est pas question d’évoluer pour venir en aide aux siens ou à un camp, simplement d’atteindre Washington avec tant d’incertitudes. Et avec Joe, c’est encore une autre vision qui se dessine, celle d’une tête brûlée en quête d’adrénaline. Quelque part, il évoque le journaliste que joue Robert Downey Jr. dans Tueurs nés (1994) d’Oliver Stone – sans le caractère légèrement caricatural propre à cet autre film. Avec comme épine dorsale une violence démesurée, ces deux œuvres se recoupent sur plusieurs points, à la différence de taille que le moteur de Tueurs nés est une histoire d’amour tandis que celui de Civil War carbure à une haine effroyable, désinhibée au point de pouvoir étaler sa xénophobie et sa négation des institutions sans aucune gêne. Orchestrant la chute d’une nation, Civil War laisse pantois.

4 étoiles

 

Affiche française du film Civil War

Civil War

Film américain
Réalisateur : Alex Garland
Avec : Kirsten Dunst, Cailee Spaeny, Wagner Moura, Stephen McKinley Henderson, Nick Offerman, Nelson Lee, Jesse Plemmons, Jefferson White
Scénario de : Alex Garland
Durée : 109 min
Genre : Drame, Thriller, Action
Date de sortie en France : 17 avril 2024
Distributeur : Metropolitan FilmExport

 

Photos du film Copyright A 24 / DCM

Article rédigé par Dom

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