[Critique Gonzo] Je n’ai pas aimé les Bien-Aimés

C’était le 22 mai 2011, aux alentours de 23:00. La 64ème édition du Festival de Cannes touchait à sa fin, il ne restait plus qu’une projection, celle des Bien-Aimés de Christophe Honoré. Quelques heures auparavant, avec mes camarades, nous avions tenté en vain d’obtenir des invitations pour la cérémonie de clôture – où The Tree of Life a obtenu la suprême Palme d’Or –, cérémonie qui fut suivie d’une première projection des Bien-Aimés pour le gratin cannois et autres chanceux – enfin, à l’exception des ingrats qui s’éclipsent après la remise des prix.
Dernière montée des marches, sans flashs, ni paillettes, mais toujours avec quelques surprises – une femme arrivée aux portes du Grand Théâtre Lumière en compagnie de son compagnon à quatre pattes – pour atténuer la tenace nostalgie de fouler le tapis rouge une ultime fois, d’arriver au terme d’une orgie cinématographique mémorable.

Nous avions tous des billets estampillés « balcon », mais l’ouvreuse à notre porte nous proposa de nous installer où nous voulions : direction la corbeille, qui dispose des meilleures places de cette fabuleuse salle de 2400 sièges. Bien que je ne porte pas Christophe Honoré dans mon cœur, c’était un choix intéressant que de conclure le festival sur son film, qui débute à Paris dans les années 1960 pour remonter le fil du temps jusqu’à nos jours, à Londres. Car tout avait débuté, une dizaine de jours plus tôt, dans les rues parisiennes, filmées par un Woody Allen explorateur d’époques révolues dans Minuit à Paris. Une dizaine de jours riche en émotions, une myriade de bons films, de grands films, de fêtes à en tituber jusqu’à son oreiller, à en perdre toute notion du temps. Honoré s’apprêtait à remettre les pendules à l’heure, à nous remettre sur le droit chemin de la réalité en partant des sixties, et sous les meilleurs auspices. Madeleine – interprétée par Ludivine Sagnier à cette époque et par Christine Deneuve de nos jours –, subtilise une paire de chaussures à l’insu de sa patronne ; la passion des chaussures à talons et la fougue de la jeune femme s’associent en chanson : « Ces bottes sont faites pour marcher. » Cette introduction frivole et pop m’a saisi, m’a empli d’une grisante allégresse, Les Bien-Aimés débutait comme une excellente comédie musicale. Seulement ce bonheur audiovisuel s’essouffle à une vitesse phénoménale, il ne faut pas plus de dix minutes pour amorcer la descente, au fur et à mesure de la partition du film, dans les limbes d’un fâcheux ennui.

Si j’ai décidé de parler du film ainsi et à la première personne, c’est parce qu’un point bien particulier me chagrine : la musique. Ne vous méprenez pas, j’adore la musique, presque toutes les musiques, de Mozart à Nine Inch Nails, en passant par Gainsbourg, Björk et Gogol Bordello. Mais voilà, malgré toute ma bonne volonté, je ne peux supporter les compositions d’Alex Beaupain produites pour le film. Les morceaux sont fades, monotones, chantés sans grand entrain et indénombrables ! Je suppose que cette fresque sentimentale, centrée sur une relation mère/fille des plus attendrissantes puisqu’elle dépasse la fiction, Chiara Mastroianni et Catherine Deneuve étant unies par les liens du sang en dehors de l’écran, aurait été bien plus appréciable sans ces immondices sonores qui s’écoulent tout au long de ce film bien trop long – 139 minutes ! Trop long car au-delà des aléas de la vie et des amourettes relatées sur toile de fond historique, le nouveau long-métrage de Christophe Honoré ne construit rien. Au cabinet des curiosités, on citera Milos Forman qui est venu s’égarer face aux caméras – incompréhensible tant le mythique réalisateur tchécoslovaque semble à côté de la plaque – et la présence de Michel Delpech dans un petit rôle – comble de l’ironie, ce dernier ne chantera pas.
Quel calvaire ce fut pour moi de conclure le Festival de Cannes ainsi, en musique, certes, mais dans la crispation : chaque séquence dans laquelle un acteur entonne un petit air était vécue comme un cauchemar. Ma théorie est simple : si vous ne parvenez pas au bout de cet album, n’essayez même pas de voir le film, vous vous épargnerez bien des complications ; plus rapide encore, si vous n’avez jamais aimé le cinéma de Christophe Honoré, ce n’est pas ce film qui vous réconciliera avec lui.
Pour ma part, je garderai toujours un étrange souvenir de ce film, car c’était la dernière séance, je n’avais pas kiffé les Bien-Aimés, et le rideau sur Cannes est tombé…

PS : je tiens à saluer Phil Siné, premier chroniqueur cinéma que j’aie pu voir employer le terme « critique gonzo. »

1.5 étoiles

 

Les Bien-Aimés

Film français
Réalisateur : Christophe Honoré
Avec : Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve, Ludivine Sagnier, Paul Schneider, Milos Forman, Louis Garrel, Michel Delpech
Scénario de : Christophe Honoré
Durée : 139 min
Genre : Comédie dramatique, Musique
Date de sortie en France : 24 août 2011
Distributeur : Le Pacte

Bande Annonce :

Article rédigé par Dom

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7 commentaires

  1. argh ! j’ai vu le film aujourd’hui… et j’ai adorééééééé ! (j’ai terminé en larmes, c’était pas beau à voir d’ailleurs… heureusement que j’étais tout seul 😉
    bon, faut dire que je suis un fan inconditionnel du cinéma d’honoré et des chansons de beaupain, donc…
    tu avais pensé quoi des « chansons d’amour » ?

    et merci pour la citation finale : après mes « critiques gonzo », j’ai même proposé récemment ma 1ere « critique schizo » pour « melancholia »… qui me suivra sur ce coup ? 😉

  2. Eh bien Paris est tout petit 😉 Je vais lire ta critique Schizo de ce pas !

  3. Moi non plus, je n’ai pas été emballée par Les Biens-Aimés. Mais c’est surtout la première partie qui m’a rebutée au plus haut point : Ludivine Sagnier est ridicule dans son rôle de femme sensuelle, on n’y croit pas une seule seconde. Et Honoré colle des chansons un peu partout de façon opportuniste (n’importe quel mot amène une chanson de manière intempestive). Par contre c’est la partie avec Catherine Deneuve et Milos Forman que je préfère. Je les ai trouvés très touchants. Mais le film est trop inégal et veut brasser beaucoup trop de thèmes d’un seul coup dans sa dernière partie. C’est un mauvais Honoré. Je préfère Les chansons d’amour.

  4. Bonjour Dom (?)

    Nous sortons du cinéma (le temps d’écrire une critique et de lire ton article^^). Premier sentiment : on nous a spolié ! Honoré nous ressort les chansons d’amour en moins bien, n’ayant pas d’idée pour son film de l’année, puisqu’apparemment, il a décidé de sortir dorénavant un film par an ! Deuxième sentiment (pour moi, car Pick, lui, dort, faudra voir demain matin si la nuit n’a pas adouci ce qu’il en a pensé… lol) : Ben pas mal quand même, je garde le bon du film, qui peu à peu, me laisse oublié les quelques à-peu-près ou trucs bancals du film, ce qui m’a semblé facile ou bien « pas assez poussé ». Oui, Honoré refait la même chose que les chansons d’amour (a tout point de vue, du sujet au traitement) mais après tout, j’ai presque de l’empathie pour le type qui a s’acharne sur son sujet, de manière éperdue et presque obstinément : en l’occurence « le mal d’aimer ». Ca devient obsessionnel et je pense que ca peut être interressant, au fur et à mesure que sa filmo se complètera et qu’il reviendra de manière régulière sur le sujet, de voir si son regard désabusé change avec l’expérience … non ?
    Quand aux chansons de Beaupain, pendant le film : même avis que toi…. Chansonnettes un peu surjouées, mal venues, bref, souvent un calvaire (surtout au début…. je rejoins presque Sabrina qui critique Sagnier, sans aller jusqu’à la qualifier de ridicule, personnellement) mais honnêtement, une ou deux chansons sortent du lot, et au fur et à mesure que la gravité s’installe dans le film, elles prennent un peu de volume. Mais c’est surtout en écoutant la version « studio » qu’elles ont pris tout leur sens, paradoxalement…
    M’enfin, pas le meilleur Honoré, certes…
    Dis donc, tu n’aurais pas abusé des « fêtes à en tituber jusqu’à son oreiller » (#confessions #aveux) pendant Cannes pour arriver à ne pas apprécier à ce point le film ? lol ou bien tu aurais peut-être mieux fait de « prendre de la hauteur » en gardant tes places «  »au balcon » pour un film si…bas ? re-lol
    Bon, on est (pas tout à fait) d’accord sur ce film, je m’en vais de ce pas lire d’autres critiques de ton blog pour voir si on peut pas se réconcilier 😉

    Rick Panegy

  5. @Sabrina : il y a quelque chose qui ne passe pas dans le style de Sagnier (vestimentaire et coiffure), ça fait faux, on dirait une poupée cassée !

    @Rick et Pick : difficile de toujours être d’accord. J’ai abusé des fêtes mais j’ai vu Les Bien-Aimés bien reposé car le dernier jour, avec mon badge, je n’avais accès qu’à des films déjà vus ! J’en ai donc profiter pour faire une grasse mat’ jusqu’à… la mi-journée passée. Du coup, j’ai vu le film en étant assez frais.
    La Corbeille, c’est en hauteur, c’est la partie centrale et basse du balcon. Tu as l’écran rien que pour tes yeux sans aucun dénivelé ! 😉

  6. J’aimais déjà les compos de Beaupain sur « Les Chansons d’amour » et j’aime tout autant celles-ci. Maintenant je comprends ton point de vue, quand on aime pas le style musical d’une comédie musicale, en général on passe un sale moment…

  7. @Squizzz : eh oui, mais il y a de rares exceptions ; perso, je n’aime pas les musiques de Sweeney Todd mais j’aime l’univers et la dramaturgie du film.

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