Critique : Yannick

Quentin Dupieux nous livre un film « surprise » avec Yannick, dont la promotion n’a démarré qu’au mois de juin – et certes, assommante avec ses trois clips intercalés systématiquement parmi les autres bandes-annonces. Avec pour moteur Raphaël Quenard, le prolifique cinéaste de l’absurde concocte un surprenant et drôle de huis clos dans un théâtre de boulevard.

Crise de pouvoir

Sur les planches, Pio Marmaï, Blanche Gardin et Sébastien Chassagne sont des comédiens qui interprètent la pièce « Le Cocu ». La situation tient du vaudeville et s’avère plutôt distrayante, grâce au jeu de ces trois acteurs : d’ailleurs, la salle, relativement garnie, rit régulièrement. Mais pas Yannick (Raphaël Quenard). Ce gardien de parking, qui a posé une journée de congés pour assister à cette représentation, avec 45 min de trajet depuis Melun et 15 min de marche, est en train de subir la pièce. Il craque, interrompt les acteurs et demande à voir un responsable. Le Metteur en scène ? Absent ! Après un échange houleux avec la troupe, et en particulier Pio Marmaï, il retourne au vestiaire pour revenir armé d’un pistolet. Ce curieux personnage passe alors du rôle de spectateur à celui d’acteur. Évidemment, un autre terme pour le qualifier est preneur d’otages, otage étant la sensation qu’il avait quelques minutes auparavant, lorsqu’il était encore assis, un quidam dans l’obscurité.

Présent par deux fois dans l’œuvre de Quentin Dupieux (au début de Mandibules en 2020 et dans l’anecdote la plus délirante de Fumer fait tousser l’été dernier), Raphaël Quenard a été la source du scénario et se retrouve naturellement comme moteur du film. Avec moins d’épaisseur que dans Chien de la casse (2023) de Jean-Baptiste Durand mais tout autant de charisme, l’acteur exploite au mieux son grain de folie, combinaison d’un phrasé percutant et d’une imprévisibilité qui contraint l’interlocuteur à prendre des pincettes : difficile de savoir sur quel pied danser face à un tel phénomène. Après avoir écrit une pièce qui devra être interprétée dans la foulée, Yannick charme le public, ses otages qui, évidemment, se plient aux désirs d’un homme armé, mais la situation ne semble jamais dramatique, bien au contraire. Dupieux et Quenard parviennent à une étonnante forme de légèreté dans le film le plus rationnel du cinéaste français : suite à l’interruption, tout ce qui se déroule tient du possible, et Quenard est le gardien de l’humour – puis de l’émotion du film. Sa prise de pouvoir qui trouble le déroulement attendu d’une représentation théâtrale provoque des remous, chez certains spectateurs, mais surtout chez Paul Rivière – l’acteur que joue Pio Marmaï : lui se retrouve dans une double situation de crise. Comme tous, il est pris en otage, mais de voir le gardien de parking séduire le public, tandis que sa partenaire de jeu l’exhorte à intervenir, le pousse à bout de nerfs.

Derrière son ton léger et malgré sa courte durée, Yannick propose plusieurs niveaux de lecture. C’est une micro révolution que mène le protagoniste. La pièce de théâtre est simplement la goutte d’eau ayant fait déborder le vase d’une vie que l’on imagine maussade et difficile. On peut aussi y déceler une prise de pouvoir qui procède d’une crise de pouvoir. Et le film interroge autant sur le comportement à adopter lorsque l’on ne contrôle plus son quotidien que sur le comportement à adopter quand le quotidien déraille. Alors qu’à plusieurs reprises, on peut imaginer que Quentin Dupieux effectuera une pirouette pour arriver à la conclusion de son film, il maintient le cap initial, sans artifice. Tournée en six jours, cette comédie inattendue réjouit par la spontanéité et l’énergie qui la définissent en grande partie et Yannick constitue probablement son œuvre la plus réussie depuis Le Daim (2019).

Photos du film Copyright ATELIER DE PRODUCTION/CHI-FOU-MI PRODUCTIONS/QUENTIN DUPIEUX 2023