Critique : Les Banshees d’Inisherin

Le réalisateur Martin McDonagh retrouve l’Irlande suite à la consécration avec 3 Billboards – les panneaux de la vengeance (2017). Situé sur une île isolée de la côte irlandaise, ce nouveau long métrage qui réunit à nouveau Colin Farrell et Brendan Gleeson, quatorze ans après Bons baisers de Bruges, relate un étrange conflit sous fond de folklore local.

Amitié hostile

Sur l’île d’Inisherin, en avril 1923, la guerre d’indépendance irlandaise ne semble pas avoir affecté la routine du coin, à l’exception du vague son des canons au loin, sur le continent. Mais le quotidien de Pádraic (Colin Farrell) bascule subitement : sans raison apparente, son ami Colm (Brendan Gleeson) ne souhaite plus lui parler. Plus jamais. L’incompréhension ronge Pádraic, seul avec sa pinte au pub, et il ne trouve guère d’explication en se confiant à sa sœur Siobhán (Kerry Condon) avec laquelle il partage la même maison. Le jeune Dominic, fils du seul (et méprisable) policier du coin devient alors un nouveau camarade de fortune, mais cela ne résout en rien ce lien subitement brisé avec Colm. Nous plongeant dans un cadre pastoral des plus dépaysants, avec une photographie contrastée valorisant la richesse et la diversité des décors naturels, Martin McDonagh nous attache à la détresse d’un Colin Farrell profondément touchant, et d’autant plus lorsque Colm décide de lui expliquer froidement ses raisons. Violoniste, Colm souhaite entre autre se consacrer à son instrument : le temps file, et il aimerait laisser une trace de son passage sur terre. Pádraic le comprend, mais souhaite toujours partager bières et bavardages avec son ami de toujours. Colm déclare alors qu’à chaque fois que Pádraic viendra lui adresser la parole, il se coupera un doigt.

L’absurde et venimeuse situation au cœur des Banshees d’Inisherin ne cessera de croître, avec le présage funeste de Madame McCormick – la fameuse banshee du titre ? –, annonçant que deux morts marqueront les jours prochains d’Inisherin. Chose qui bouleverse Siobhán, impuissante face à la querelle entre son frère et son ancien ami. L’étrangeté de ce film joue pourtant sur un territoire à la croisée de la comédie (orientée humour noir) et du drame pur, car la volonté de Pádraic face à ce qu’il trouve injuste secouera toute la communauté. Ce film singulier et cruel semble mettre en lumière, avec une exagération volontaire, la folie qui peut frapper deux hommes. Il n’y a pas de conflit racial, d’opposition religieuse ni même de vilenie derrière l’effroyable trajectoire que prend cette amitié, simplement la capacité à s’enfermer sur soi-même, à ériger des barrières, avec tous les dommages collatéraux qui peuvent en découler. Une fable douce-amère, où l’ironie tourne à l’horreur, et l’horreur à une curieuse forme de sérénité.

Photos du film Walt Disney Company