Critique : How to have sex

Récompensé du Prix Un Certain Regard lors du Festival de Cannes 2023, How to Have Sex aborde le sujet de la perte de la virginité sous un angle effroyable. Ce premier long-métrage de Molly Manning Walker explore la culture du viol avec intelligence, avec une mise en scène trouvant un bel équilibre entre naturalisme et esthétisation du monde la nuit, lors de vacances de trois jeunes Britanniques.

Toute première fois

Au cinéma, les premiers rapports sexuels sont le plus souvent abordés par le prisme de la comédie, et du côté des hommes : de American Pie (1999) à SuperGrave (2007), sans oublier 40 ans toujours puceau (2005), il est question de coucher coûte que coûte, si possible avec la fille idéale et ainsi, devenir un homme, enfin. De son titre à ses séquences d’introduction, où l’hystérie des trois adolescentes laisse craindre le pire, How to Have Sex joue avec nos attentes. Le film de Molly Manning Walker n’est ni une comédie, ni une analyse des éléments pour sauter vers « l’âge adulte ». Difficile de déclarer que Tara nous laisse une bonne première impression avec ses cris stridents, ses excès qui confinent à un comportement des plus artificiels, et pourtant, cette jeune fille, qui espère perdre sa virginité au cours de ces quelques journées de débauche, en attendant les résultats de la fin d’année scolaire, va montrer un visage des plus touchants, grâce au talent de la comédienne Mia McKenna-Bruce. La pression sociale, entretenue par ses deux amies, Skye (Lara Peake) et Em (Enva Lewis), incite Tara à trouver celui qui lui fera perdre sa virginité au cours de ce week-end à Malia en Crète. Inutile de préciser que dans un tel environnement et un tel contexte, l’alcool coulant à flots mettra à mal le corps comme l’esprit d’une jeunesse vibrant au simple mot « party ».

S’il pourrait être tenant de comparer How to Have Sex à Spring Breakers (2013) d’Harmony Korine, il faudrait se limiter au cadre : celui de ces fêtes orgiaques où une jeunesse se lâche dans un déluge d’alcool et de jeux sexuels, entretenues par tout un microcosme qui s’enrichit, joue et abuse de ce cheptel se renouvelant naturellement à chaque saison. Harmony Korine livrait en 2013 un objet des plus esthétisés, jouant malicieusement avec la pop culture pour un trip sensoriel unique, tandis que Molly Manning Walker, restant dans un univers très réaliste malgré quelques jolis écarts nocturnes, aborde un sujet encore tabou, un peu flou, celui de la culture du viol. Alors que notre trio a rencontré un autre groupe sympathique de Britanniques, dont le balcon donne sur le leur, une histoire pourrait naître entre Badger (Shaun Thomas) et Tara, mais ici, dans ce maelström de vodka et de vomi, alors que les décibels de musiques électroniques résonnent du matin au soir, le romantisme n’a pas sa place. Comme lui suggère Skye, le svelte Paddy correspond au profil du mâle à avoir dans son lit, bien que l’intéressé ne montre pas d’intérêt pour Tara.

Grâce à son approche perspicace de sa problématique centrale, celle du consentement, How to Have Sex bascule en nous détachant à un moment clé de la continuité des événements. Sans nous éloigner de sa protagoniste, la cinéaste nous positionne dans cet espace « manquant » avec brio, dans une forme de déni diminué par le fait accompli, cette atmosphère qui incite à voir tout ce qui se déroule comme une pierre supplémentaire à l’édifice du cool. Et à partir de cet instant, le propos s’étaye et souligne encore plus le drame qui s’est joué et se joue encore dans un environnement toxique. Dans les non-dits, au travers d’un regard encore juvénile, Mia McKenna-Bruce nous trouble profondément. Et jusqu’au bout du voyage, How to Have Sex tient sur sa ligne, fil de désillusion que tout un chacun refuse d’accepter. Dans le malheur, il reste encore l’amitié, et si certains ratés sont là pour toujours, ce film générationnel invite au plus salvateur des débats, sans virer maladroitement dans le piège du film à charge. Un premier long-métrage saisissant.

Photos du film Copyright Condor Distribution