Critique : Simple comme Sylvain

Après un traitement atypique du sexisme et de la misogynie dans Babysitter (2022), la cinéaste et actrice canadienne Monia Chokri se penche sur la durabilité des relations amoureuses avec Simple comme Sylvain. Une comédie romantique réussie, de ses interprètes à son style, pour une démonstration attendue mais plaisante.

Les histoires d’A.

A priori, deux intellectuels sont faits pour s’entendre, et pourquoi pas s’aimer pour toujours. C’est le cas pour Sophia (Magalie Lépine Blondeau) et Xavier (Francis-William Rhéaume), seulement, pour ces quarantenaires confortablement installés dans leur routine – et ne partageant pas le même lit –, il suffirait peut-être d’une simple rencontre pour venir à bout de ces années de vie commune. Alors qu’elle enseigne les théories sur l’amour de grands philosophes à des seniors, Sophia rencontre Sylvain (Pierre-Yves Cardinal), l’ouvrier qui doit rénover le chalet secondaire du couple. Sylvain, c’est un autre type d’homme que le maigrichon et érudit Xavier : tout en muscles et en poils, viril, et s’il ne maîtrise pas la langue française et encore moins Schopenhauer, il est capable de dégainer quelques tirades romantiques – piquées à Sardou ! Ce qui aurait pu rester un coup d’un soir va devenir une routine distillant de nouveaux horizons sentimentaux pour les deux parties, et Sophia s’imagine bien dans une nouvelle vie avec cet étalon qui en a marre des bimbos qui lui brisent le cœur.

Outre les dialogues fluides et percutants, ce qui saisit dans le cinéma de Monia Chokri est son approche formelle de la comédie : comme dans son précédent film, et malgré une collaboration avec un autre chef opérateur, André Turpin, l’histoire qu’elle met en scène est filmée comme un film d’horreur rétro. La colorimétrie est marquée par des teintes qui viennent d’un autre monde, et l’emploi systématique de mouvements de zoom et dézoom confinent à la délicieuse série B ou au giallo à l’ancienne. D’ailleurs, lorsque Sophia rencontre Sylvain, il s’agit d’une silhouette qui se détache du lac derrière lui, sans visage : il pourrait tout à fait s’agir du grand méchant loup et non de ce coup de foudre inattendu. Rien que pour le style visuel développé, le cinéma de Monia Chokri montre du caractère. Ses comédiens, dirigés à la perfection, Magalie Lépine Blondeau et Pierre-Yves Cardinal en tête, nous entraînent avec brio dans ce tourbillon amoureux qui développe un propos assez attendu. La famille de Sylvain n’offre rien du cadre artistico-intellectuel de celle de Xavier, et inversement, Sylvain peine à trouver sa place au milieu des amis de sa compagne. Aucun jugement de valeurs dans cette opposition, qui ouvre la porte à quelques moments tordants.

On aurait apprécié que cette charmante étude des rapports amoureux dépasse la barrière du déterminisme social, mais le style et la tendresse dont fait preuve Monia Chokri empêchent Simple comme Sylvain de perdre en bonhomie, y compris dans son ultime chapitre joliment mis en scène. Une comédie sensuelle, drôle, et dotée d’un joli esprit : ce n’est pas tous les mois que de tels films gagnent les salles de cinéma.

Photos du film Copyright Fred Gervais