Critique : Nomadland

Un troisième long métrage qui touche à la consécration : couvert de prix, du Lion d’Or de Venise jusqu’à l’Oscar du Meilleur film sans oublier des Golden Globes et BAFTA, Nomadland voit également sa réalisatrice Chloé Zhao remporter l’Oscar de la Meilleure réalisatrice, devenant la deuxième femme à recevoir ce prix suite Kathryn Bigelow en 2010 pour Démineurs. Fidèle à son cinéma sensible, explorant des destins troublés, ce long métrage nous conduit au cœur d’une communauté née à la fois de la précarité et des besoins d’un autre mode de vie, à un âge où les années, voire les mois, sont comptés.

Songe d’un autre monde

Il y a tout d’abord, au travers d’un simple carton, l’annonce de la disparition complète d’une ville du Nevada, suite à la fermeture de sa principale usine de cimenterie. Nous sommes en 2011 et Fern n’a plus rien, si ce n’est ce qui est dans un box et son van, sommairement adapté pour y vivre. Frances McDormand campe cette protagoniste, l’une des rares actrices professionnelles de ce film, de façon brillante. Elle porte les stigmates d’une femme qui n’a plus son mari, plus de maison, mais qui ne baisse jamais les bras : premier job temporaire dans les usines d’Amazon, où nous ne restons pas suffisamment longtemps pour y constater l’effroyable déshumanisation, le retour en arrière digne du travail à la chaîne décrié avec génie dans Les temps modernes de Charlie Chaplin. De Chaplin, Fern tient d’ailleurs quelque chose, une certaine malice, enfantine, qui font de certains détails des moments savoureux, simplement par leur humanité ou la curiosité déployée. A la façon d’un récit initiatique, nous découvrons ces nouveaux nomades américains qui vont là où le travail se trouve, en van ou en camping car. Des seniors pour la plupart, pour beaucoup qui ont perdu celle ou celui qui partageait leur vie et qui traînent des souvenirs avec affection.

Avec pour source « Nomadland : Surviving America in the Twenty-First Century » de Jessica Bruder, Nomadland s’engage dans une démarche similaire au film itinérant d’Andrea Arnold, American Honey, qui se déroule à la même époque. A la différence que cette jeunesse qui fait du porte à porte pour vendre des abonnements à des magazines a encore toute la vie devant elle. Le film de Chloé Zhao pose deux questions tout en épousant ce mode de vie à la lisière de la plus grande précarité mais aussi de la plus grande liberté : comment vivre dans une société qui impose un système auquel il est difficile de se soustraire entièrement – le capitalisme – mais aussi quelles sont les choses qui comptent réellement à un certain stade de sa vie ? D’une grande délicatesse par ses mouvements de caméra, sa musique, sa façon de capter un dialogue, un moment de vie, ce drame travaille une saveur douce-amère remarquable de finesse. Et Nomadland se détache des schémas narratifs éculés, il n’y a d’ailleurs quasiment aucun conflit dans ce film. Le quotidien se compose d’événements divers, de rencontres et échanges qui ne troublent en rien le cheminement de Fern, encore à la recherche d’un but, d’une façon de poursuivre son existence devenue solitaire.

Peut-être que certains spectateurs ne trouveront pas leur compte dans ce road-movie qui occupe aussi un espace typique du genre, l’émerveillement face à la grandeur du territoire américain, sa faune et sa flore. Cela peut paraître cliché, écrit ainsi, mais là encore, Frances McDormand y apporte sa touche, comme cette scène où elle tente de se perdre dans le désert, en marchant jusqu’à être cachée de son groupe. Là encore, aucune noirceur, ni frayeur. Portrait d’une femme bienveillante et toujours aussi brave malgré les épreuves et le poids des années, Nomadland raconte aussi une Amérique profondément fracturée, économiquement et socialement. Si nous connaissons le déroulement de la décennie où débute le film, nul ne peut annoncer ce qui nous attend pour celle qui débute, sur tous les plans, avec une crise qui pourrait se montrer dévastatrice. Ce qui laisse d’autant plus songeur face à ce film qui ne prétend pas apporter de réponse, mais de quoi panser certaines plaies avec philosophie. Et bien que le film ne se porte pas sur les flux migratoires, il serait intéressant d’amener dans le débat public, une réflexion sur certains termes, de bohémien à nomade, de nomade à migrant. Nomadland, un film d’une grande humanité, humble et spirituel.

4 étoiles

 

Nomadland

Film américain
Réalisatrice : Chloé Zhao
Avec : Frances McDormand, David Strathairn, Linday May, Gay Deforest, Patricia Grier
Scénario de : Chloé Zhao,
Durée : 108 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 9 juin 2021
Distributeur : The Walt Disney Company France

 

Photos copyright Walt Disney Company

Article rédigé par Dom

Partagez cet article avec vos amis ou votre communauté :

Twitter Facebook Google Plus

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Comments links could be nofollow free.

 

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Avant de publier un commentaire, vous devez lire et approuver notre politique de confidentialité.