Critique : Ex Machina

Le scénariste Alex Garland se lance dans la réalisation avec un long métrage de science-fiction. Intimiste, le huis clos Ex Machina explore la robotique et l’intelligence artificielle au travers d’un récit stimulant. Une belle découverte détaillée dans cette critique.

Machine à fantasmes

Pour situer un peu l’œuvre et l’univers d’Alex Garland, le britannique a travaillé sur les scénarios de 28 jours plus tard, Sunshine, Never let me go ou le moins intéressant Dredd. Un vrai penchant pour la science-fiction qu’il explore donc naturellement pour son premier long métrage avec la double casquette de réalisateur et scénariste. Dernièrement, l’intelligence artificielle a été traitée dans le tendre Robot & Frank, l’inabouti Chappie ou à travers le prisme de la romance dans Her. Mais le film, héritier de Blader Runner, convoque avant tout La Piel que Habito où Elena Anaya est prisonnière d’un chirurgien ou encore Under the skin, dans lequel Scarlett Johansson traquait le mâle. Le rapport à l’enveloppe charnelle établit un pont entre l’extraterrestre du film de Jonathan Glazer et le robot campé ici par la suédoise Alicia Vikander. D’apparence humaine, avec la poitrine d’une femme sous une partie de sa combinaison, le robot Ava présente une chair plus vraie que nature sur le visage, les mains et les pieds, mais la tête, dénuée de chevelure, laisse apparaître le centre névralgique de haute technologie. Le reste du corps n’est que combinaison ou transparence, marquant bien la différence entre Ava et une véritable femme. Elle a la grâce d’une jeune fille timide, et montre la curiosité d’une adolescente et l’intelligence d’une personne parfaitement éduquée. Ainsi naît le trouble lorsque Caleb (Domhnall Gleeson) la rencontre pour la première fois, au travers d’une vitre, comme deux animaux qui s’observeraient dans leurs enclos d’un zoo futuriste, et ce, sous la surveillance par caméra du créateur, Nathan (Oscar Isaac).

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Développeur en informatique dans une société dominant le marché avec son moteur de recherche Bluebook, Caleb a été tiré au sort pour une expérience secrète se déroulant sur sept jours dans la forteresse ultra-moderne et isolée de son patron, Nathan, un génie de la programmation. La tâche que lui confie Nathan procède du test de Turing : au travers de plusieurs sessions de discussion quotidienne, Caleb doit évaluer le niveau de conscience d’Ava. La signature d’un contrat de discrétion, l’isolation totale sur le monde extérieur malgré le cadre luxuriant et le comportement de Nathan – personnage singulier qui relie intelligence, mégalomanie, développement physique et alcoolisme – insufflent un malaise diffus mais pesant. Des coupures de courant empêchant de circuler dans la demeure et l’apparition d’une servante sexy et mutique (Sonoya Mizuno) font plonger Ex Machina dans les codes du thriller tandis que la relation entre Caleb et Ava évolue comme une rencontre amoureuse, parfois à l’insu de Nathan, incapable de suivre les conversations lors des coupures d’énergie. Si le film possède quelques faiblesses dans son articulation, il brille par son atmosphère et le stimulant propos qu’il étaie, anticipant des problématiques vers lesquelles l’humanité se dirige. Ex Machina met intelligemment l’homme face à sa (future) création la plus égocentrique, une machine à son image, conçue pour ses désirs, dans une volonté de s’élever vers le divin. Alex Garland réalise ceci en s’appuyant sur des phénomènes touchant notre société actuellement, monde hyper-connecté où quelques compagnies sont capable de connaître tout de leur clientèle – le parallèle évident entre Bluebook, Google et certains géants de la téléphonie mobile laisse songeur. Pour sortir quelque peu du cadre strict du film, la promotion du film est allée jusqu’à envahir l’application de rencontres Tinder, où des hommes pensaient s’adresser à une véritable personne face à la photo d’Ava. Rarement la promotion d’un film a pu nourrir ainsi certaines thématiques développées par le réalisateur.

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Avec son quatuor de comédiens parfaitement dirigé, sa mise en scène épurée qui exploite parfaitement la demeure de Nathan et ses effets visuels convaincants, Ex Machina propose une expérience intimiste qui approche la robotique sous son angle le plus troublant, celui de la sexualité. Le regard mélancolique et les formes d’Ava suscitent d’autres affects dès lors qu’elle s’habille et prend soin de se coiffer d’une perruque. La ligne de démarcation entre la femme-robot et la femme disparaît alors totalement, le niveau de pensée et de langage atteignant des sommets époustouflants ici. Difficile alors de réprimer la naissance d’un lien affectif où le rapport charnel est même envisageable, Nathan ayant équipé sa création d’un sexe avec capteurs pouvant lui procurer du plaisir. Dans Ex Machina, les glaçantes perspectives de copulations humano-robotiques ne font pas fi de l’intelligence artificielle, dont la conception et le contrôle de la main de l’homme peuvent conduire au pur asservissement sexuel. Dans cette situation, quel regard peut porter Ava sur son mauvais géniteur ? Garland livre une réponse à la fois logique et surprenante, synonyme d’un avenir nébuleux pour une humanité en dérive.

4 étoiles

 

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Ex Machina

Film britannique
Réalisateur : Alex Garland
Avec : Alicia Vikander, Domhnall Gleeson, Oscar Isaac, Sonoya Mizuno
Scénario de :
Durée : 108 min
Genre : Science-fiction
Date de sortie en France : 3 juin 2015
Distributeur : Universal Pictures International France

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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