[Critique] Under the skin, réalisé par Jonathan Glazer

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Plus connu pour son travail dans le monde du clip (avec Radiohead, Massive Attack ou encore Jamiroquaï), Jonathan Glazer signe avec Under the skin son troisième long métrage. Une œuvre expérimentale superbe, où Scarlett Johansson campe une troublante extraterrestre.

Etre humain

La science-fiction est parfois plus fascinante quand elle se montre discrète, sans aucun effet tapageur, troublant le réel par petites touches. Et Under the Skin va au-delà du simple trouble, car le film mélange le réel à la fiction, non pas pour aboutir à un mariage mais une forme de mutation géniale. Quand la fiction s’invite dans le réel, ou bien lorsque le réel vient dicter la conduite de la fiction, dans quel espace nous situons-nous ? C’est dans cette zone où peu de cinéastes ont osé s’aventurer que ce déroule cette œuvre expérimentale, qui, pour donner des repères, pourrait s’approcher de la rencontre entre Few of us de Sharunas Bartas avec la série B de Roger Donaldson, La Mutante. Scarlett Johansson incarne une jeune femme venue d’ailleurs, rôdant dans une camionnette sur les routes d’Ecosse afin de piéger des mâles solitaires, attirés par son charme vénéneux. La particularité du film réside dans son tournage avec de nombreuses scènes en caméra cachée, l’actrice entrant alors en interaction avec de simples passants qui ne pouvaient la reconnaître par son accoutrement et ses tifs noirs. Dans le véhicule, de petites caméras ont été dissimulées dans le tableau de bord et derrière la comédienne afin de capturer sous plusieurs angles son vagabondage sur les routes, ses échanges avec les passants. De ce procédé germe le doute pour le spectateur, incapable de distinguer la part du réel de la part fictionnelle, bien qu’il soit évident que les personnes pénétrant fatalement dans la demeure de l’extraterrestre fassent partie intégrante de la production du film – on compte d’ailleurs dans les victimes Paul Brannigan, découvert dans La part des anges de Ken Loach.

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Le mystère est d’autant plus dense que les dialogues sont rares, et qu’aucune ligne explicative n’habite le scénario. Le film s’ouvre sur d’étranges plans où apparaissent seulement des formes et lumières, comme si nous assistions à la création d’un œil sous le joug de 2001 : l’odyssée de l’espace. C’est un mutique motard qui offrira à la jeune femme des vêtements, récupérés sur le cadavre d’une potentielle prostituée. S’ensuit un parcours hypnotique, où la monotonie n’est brisée qu’à de rares moments, comme lors d’une choquante scène de noyade laissant de marbre l’extraterrestre, toujours dans l’optique de récupérer des corps d’homme. Les malheureux l’ayant suivi se noient littéralement face au corps de Scarlett Johansson, se retrouvant dans un espace indéfinissable, souterrain et abyssal, où le corps semble condamné à être purgé des organes et des os – terrifiante scène digne des plus grands films d’épouvante. Si ce film à la photographie soignée se montre aussi anxiogène et hypnotique, cela tient aussi à sa bande originale absolument grandiose, signée Mica Levi, une première pour ce musicien qui rejoint d’emblée les compositeurs les plus innovants de ces dernières années comme Jonny Greenwood et Trent Reznor. Le film est constamment accompagné de sons de drones, rejoints parfois par un essaim de violons au phrasé staccato et une rythmique primaire et pesante. Le résultat, cauchemardesque, transforme Scarlett Johansson en une entité particulièrement étrange, aussi effrayante qu’attrayante. Que se cache vraiment sous ce corps et derrière les agissements de cet être énigmatique, à l’enveloppe charnelle si séduisante ? Si des questions restent en suspens, la rencontre avec un homme réellement atteint de neurofibromatose fait basculer le récit en confrontant l’extraterrestre à questionner son apparence humaine. L’observation de l’homme comme on découvrirait des insectes dans la première partie du film laisse place à la découverte de la solitude, du rejet mais aussi de l’amour. Dans l’incertitude et face aux sentiments humains, le chasseur devient alors une proie fragile.

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Adapté du roman éponyme de Michel Faber, Under the skin permet à Scarlett Johansson de retrouver enfin un rôle passionnant. De trop nombreuses années se sont écoulées sans que la comédienne devenue sex symbol ne puisse s’exprimer au travers d’un personnage fort et atypique. Dans son engagement total ici, elle n’hésite pas à démystifier dans des scènes de nu son propre corps, loin des critères de beauté imposés par la société actuelle. Et pourtant, ce sont bien ces douces rondeurs qui font d’elle – et de son personnage – cette femme si attirante, ce piège mortel qui, dans le reflet d’un miroir, deviendra son propre fardeau. Si le questionnement sur la monstruosité s’avère relativement simpliste dans cette œuvre, sa façon de traiter de l’influence de l’apparence physique sur l’être (et inversement, comme les vases communicants de la fiction et de la réalité) se montre passionnante grâce à ce parcours contemplatif mêlant découverte et traque d’une espèce, jusqu’à tomber littéralement parmi elle. Hypnotique cauchemar à la fois tellurique et cosmique, Under the skin offre une expérience de cinéma unique et obsédante.

4 étoiles

 

Under the skin

Under-the-skin-afficheFilm britannique
Réalisateur : Jonathan Glazer
Avec : Scarlett Johansson, Adam Pearson, Paul Brannigan, Jeremy McWilliams
Scénario de : d’après le roman éponyme de Michel Faber
Durée : 108 min
Genre : Drame, Thriller, Science-fiction
Date de sortie en France : 25 juin 2014
Distributeur : MK2 / Diaphana Distribution

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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3 commentaires

  1. Bonjour, cela me fait plus penser à un court métrage! Catégorie Labo ou l’abolition. Parce contre qu’est ce qu’elle a grossit la Yougoslave!

  2. Bravo pour cette magnifique critique. Il est bon de croiser des cinéphiles appréciant ce genre d’expériences… Bravo également pour ce blog dont je suis un fidèle lecteur même si je ne partage pas toutes les critiques je ne peut que m’incliner devant sa grande qualité d’écriture et de mise en page.
    Cordialement,

  3. Merci Francisco.

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