Cannes 2015 : plus fort que les bombes

Cannes 2015 jour 7. Trois belles découvertes cinématographiques avec La Loi du marché, Louder than bombs et Sicario en séance de gala.

A mi-chemin du festival, les automatismes sont là : l’idée d’assister aux projections presse en Debussy n’est plus qu’un vague souvenir, car même le badge presse supérieur peine à gagner la salle de projection. Il faut faire une partie de la compétition en décalée, en salle du soixantième où l’accès s’avère très simple.

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Je commence avec La Loi du marché de Stéphane Brizé, dont la sortie salle correspond à la séance de gala cannoise, le 18 mai au soir. Vincent Lindon campe Thierry, un père de famille licencié pour motif économique, désormais face à l’enfer du monde de l’emploi à un âge où se reconvertir ou tout simplement retrouver un employeur s’avère un parcours du combattant. Filmé en caméra épaule, le film s’appuie sur une excellente direction d’acteur pour nous emporter dans ses problématiques sociales. S’il se montre parfois prévisible, ce long métrage misant sur l’épure – on comptera une seule musique extra-diégétique – fonctionne car il se détourne de tout pathos. Thierry et sa femme ont un fils handicapé et jamais cela n’ouvrira la porte à l’apitoiement ou le misérabilisme, au contraire. C’est l’histoire d’une famille modeste et unie. Le couple semble stable, prend des cours de danse rock, pense à l’avenir de leur fils. Le travail manque, mais les personnages restent solides, forts. Dans cette œuvre où Vincent Lindon est impeccable, on finit par plonger dans le monde de la sécurité d’un supermarché, truffé de caméras de surveillance. Et si le client est scruté, les hôtesses de caisse sont également surveillées de près, d’autant plus que le groupe cherche à se débarrasser de plusieurs employés. Thierry endosse alors un cruel costume, celui d’un homme qui a retrouvé un boulot mais qui va devoir s’attaquer aux plus démunis, que ce soit du vol ou un petit trafic de coupons de réduction. Un triste regard sur notre société sans jamais forcer le trait malgré quelques scènes où les dialogues s’étirent un peu en longueur.

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Retour instantané dans la salle du soixantième pour Louder than bombs – exploité en France au final sous le titre idiot de Back Home – de Joachim Trier pour sa première entrée en compétition – le très beau Oslo, 31 août était passé à Un Certain Regard il y a quelques années. Isabelle Reed (Isabelle Huppert) est une photographe de guerre de renom qui décède dans un accident de voiture. Seulement, il ne s’agit pas d’un accident et un journaliste, ami de la famille, s’apprête à publier un article où il révèle la vérité, connu par le mari (Gabriel Byrne) et le fils aîné, Jonah (Jesse Eisenberg), mais pas du cadet, Conrad (Devin Druid). Le film est une analyse fragmentée du déséquilibre de la cellule familiale au travers de l’absence et de la disparition de la figure maternelle. Joachim Trier entre dans les pensées de ses personnages au travers d’une voix-off révélatrice de leur doute, leur fragilité. Un procédé exploité intelligemment, d’autant plus qu’en matière de mise en scène, l’évolution est aussi remarquable, notamment quand l’imagination d’un personnage prend le dessus sur la réalité. Ce sont des petits effets, simples, mais qui nourrissent la magie de cette œuvre sensible où il est question de rétablir la parole. Car depuis la disparition d’Isabelle, Conrad ne s’adresse plus à son père, enfermé dans son monde de musique et de jeux vidéo. Fabuleuse scène lorsque son père avoue à une femme s’être inscrit à un RPG en ligne afin de retrouver le personnage de son fils, tout comme la scène où Jonah lit une sorte de journal intime rédigé par Conrad. Les fulgurances sont nombreuses dans ce travail sur le deuil et sur la relation avec les siens, y compris pour Jonah, jeune père. Mère fantomatique et photographe intrépide, Isabelle Huppert laisse une empreinte forte dans le film, car son personnage en est autant le moteur que la clé. Touchant sans avoir recours aux effets d’un mélo, Louder than bombs est une œuvre pleine de vitalité, de liberté. C’est l’œuvre d’un cinéaste qui peaufine son style avec un amour profond pour le 7ème art, qui développe sa capacité à évoquer des problèmes humains douloureux sous une forme charmante. Probablement l’un des plus beaux films présentés en compétition.

Denis Villeneuve, Emily Blunt et Josh Brolin sur le tapis rouge

Denis Villeneuve, Emily Blunt et Josh Brolin sur le tapis rouge

Cette année, il est compliqué de monter les marches. Les cartes à points n’existent plus pour laisser place à un système un peu obscur de « souhaits », et naturellement, les montées avec des équipes américaines sont les plus prisées. Pourtant, Stéphanie (Filmosaure) parvient à récupérer avec une facilité déconcertante deux places pour 19h et découvrir Sicario. Le temps de s’habiller pour le tapis rouge et de retourner au palais, une pluie fine s’abat sur la croisette alors que le Soleil couchant tape encore fort sur nos tenues de soirées mouillées ! La catastrophe est évitée et l’équipe du film ne reçoit pas une seule goutte. En plus de Denis Villeneuve, Emily Blunt, Benicio Del Toro et Josh Brolin, Antonio Banderas, Doutzen Kroes et Cate Blanchett gravissent les marches pour découvrir le polar de la compétition, Sicario.

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Sicario est un des films les plus stupéfiants en matière de photographie dans la compétition, et ce, de la main (et du regard) de Roger Deakins. On pourrait même dire que ce polar où le personnage principal, Kate Macy (Emily Blunt), une agent du FBI qui se retrouve dans une unité d’élite afin de démanteler un cartel mexicain est avant tout une œuvre vouée à la lumière, dantesque, tantôt solaire, tantôt crépusculaire pour plonger dans des effets de vision de nuit surréalistes. Recrutée à priori pour ses aptitudes sur le terrain, Kate va réaliser qu’elle n’est qu’un outil d’une étrange opération où les lois sont ignorées. Autre point brillant du film, la bande originale de Jóhann Jóhannsson, terriblement oppressante, décuplant la tension des séquences de raid. C’est avant tout le suspense que travaille Denis Villeneuve et non l’action. Une extraction sous forme de commando de la route à Juarez donne lieu à une virée anxiogène où la mort rode et l’attaque d’un tunnel utilisé par des trafiquants devient presque un manifeste esthétique. Entre Matt (Josh Brolin) et Alejandro (Benicio Del Toro), Kate se retrouve écrasée et manipulée, prise dans un engrenage qu’elle ne peut enrayer. Ce casting superbe contribue aussi à la réussite d’un film qui, fondamentalement, ne réalise qu’un énième état des lieux du combat entre l’ordre et les narcotrafiquants. Mais rares sont les thrillers à atteindre cette splendeur formelle tout en maintenant le spectateur dans un état de tension et de désorientation, accroché à une héroïne sans repère, magnifiquement jouée par Emily Blunt. Un film solide comme un roc, qu’on peut imaginer présent au palmarès pour sa mise en scène saisissante.

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Applaudissements légers durant le générique de fin tandis qu’Emily Blunt et Cate Blanchett échangent quelques mots.

La nuit commence au Vertigo, une boîte longiligne et peu agréable – enfin, peu agréable car longiligne. Epicentre film y tient sa soirée alors que le DJ rend impossible toute conversation à plus de deux personnes. Dès l’open bar champagne terminé, les trois quarts des festivaliers présents filent. Pourtant, dehors, du monde veut entrer : c’est ici que se déroule ensuite la soirée de la Queer Palm. On attendra pas jusqu’à là. Passage impossible à la Villa Schweppes car la soirée du film Louder than bombs s’y tient (avec une journée de décalage avec la projection de gala) et même des personnes munies d’un carton doivent attendre sagement face aux marches du club. La seule alternative est de rejoindre le Petit Majestic, seul lieu de vie valable en cette nuit pour parler films, films, et encore films.

Le plan parfait du lendemain :
Mountains may depart, Peace for us in our dreams, Youth et le sulfureux Love en 3D en séance de minuit.

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Article rédigé par Dom

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