Cannes 2015 : bilan du festival

Après quelques jours de sommeil, l’heure est venue de faire le bilan du 68ème Festival de Cannes, son week-end de clôture, ses films, ses soirées et un classement en étoiles des longs métrages découverts.

Parenthèse sur un f(l)ou week-end de clôture

Le regard brumeux d'un festivalier, la dentition parfaite d'un acteur germano-irlandais.

Le regard brumeux d’un festivalier, la dentition parfaite d’un acteur germano-irlandais.

Cinq longs métrages et les courts métrages de la compétition officielle ont permis de conclure le festival sous le signe de la cinéphilie, à défaut de festoyer (par manque d’événements mais aussi un peu d’énergie, il faut l’avouer). Le samedi à 11h en salle Debussy, les courts métrages en compétition officielle étaient présentés face à un public nombreux et un beau jury. Si les drames se montraient peu habiles pour exposer leur message, on pouvait souffler grâce à quelques comédies, le léger et malin Love is Blind ou mieux encore, le génial Le Repas dominical avec la voix-off délurée de Vincent Macaigne, film que j’imaginais sortir vainqueur – ce fut l’expérimental Waves 98′, premier de la série.
Le temps d’échanger quelques mots avec Cécile de France et je gagnais le Grand Théâtre Lumière pour voir Macbeth, afin de ne pas planter la soirée en manquant assurément la montée des marches. Tragédie couleur sang à l’esthétique léchée, la relecture de Shakespeare par Justin Kurzel est menée fiévreusement par Michael Fassbender et Marion Cotillard. Une œuvre spectaculaire et puissante. Mais j’y reviendrai en détail plus tard, comme tous les films du week-end : Trois souvenirs de ma jeunesse, Prix SACD, les rattrapés avec un immense plaisir Le Fils de Saul et The Lobster, respectivement Grand prix et Prix du jury, ainsi que le film de clôture, le documentaire La Glace et le Ciel, vu au Grand Théâtre Lumière en jean et baskets en compagnie de Robin F. – une étrange histoire qui débute par une annulation de projection en salle Debussy suite à la cérémonie de clôture.
On ne quitte pas Cannes sans quelques inattendues et surprenantes rencontres, comme discuter avec un jovial Michael Fassbender à l’entrée d’un restaurant, chanter « Joyeux anniversaire » à John C. Reilly quittant l’Agora ou bien saluer Michelle Rodriguez, Emmanuelle Bercot, Maïwenn et Joel Coen avant qu’ils ne se rendent chez Albane. Pas conviés et cramés, il n’y avait plus qu’à faire ses valises avant de rêver à nouveau de tous les films aimés dans un TGV bien trop rapide pour se reposer pleinement.

Bilan du 68ème Festival de Cannes

Mad Max : Fury Road pour dynamiter le début de festival

Mad Max : Fury Road pour dynamiter le début de festival

Sélection engagée

Le festival a débuté « la tête haute » avec le film d’Emmanuelle Bercot, qui malgré une exposition douloureuse, dresse un beau portrait de jeune délinquant, échappant à de nombreux écueils pour explorer le monde de la rééducation. La Glace et le Ciel, le film de clôture de Luc Jacquet, s’achève sur cette phrase du glaciologue Claude Lorius, à propos du réchauffement climatique dont nous sommes responsables : « qu’allez-vous faire ? »
Entre ces deux œuvres, une multitude d’émotions, de constats, de combats et témoignages où la question du scientifique résonne a posteriori. Oui, qu’allons-nous faire pour sauver notre planète, qu’allons-nous faire contre la misère (La loi du marché), contre la mort de la mère (Mia Madre, Louder than bombs), contre les problèmes d’immigration et de banlieue (Dheepan) ou encore pour changer le regard sur l’homosexualité (Carol) ?
Si quelqu’un a les clés en main, qu’il se manifeste, mais si c’est à l’échelle individuelle que les mentalités et regards peuvent changer peu à peu, le destin de l’humanité réside dans les mains d’une élite gouvernée par sa propre soif de pouvoir et d’argent. Pas sûr qu’un énième documentaire écologique provoque un électrochoc, ni le prix d’interprétation reçu par un Vincent Lindon ému et émouvant. Et si le salut passait par la révolte et la fin du patriarcat comme le montre brillamment Mad Max : Fury Road, ahurissant concentré d’action livré par un cinéaste de 70 ans, George Miller ? Voilà en tout cas un réalisateur qui confirme que la jeunesse est un état d’esprit – et Paolo Sorrentino avec son triste Youth devrait en prendre de la graine.
Si la femme est l’avenir de l’homme, agissons pour ne plus voir répétés les schémas et magouilles des puissants Sicario et Mon Roi : quitte à mourir de la crise économique ou de la crise écologique, mourrons égaux.

Le Fils de Saul, Grand Prix

Le Fils de Saul, Grand Prix

Histoire de goût, pour changer

On a pu entendre tout sur la qualité des films présentés à Cannes ; vous avez pu entendre probablement tout également ici et là, à la télévision, à la radio ou encore sur la toile. Il y a autant d’avis que de festivaliers, et tout film se défend ou se défonce selon l’humeur, le niveau de fatigue et parfois la température extérieure. A titre personnel, si je regrette que le festival ait manqué de fantaisie, de rêverie et de coups de folie, mon parcours m’a mené à découvrir des films intéressants voire passionnants – en témoigne le classement en fin d’article. Trois films se démarquent du lot, le fédérateur Mad Max : Fury Road déjà en salle, l’expérience porno-sentimentale Love et enfin le terrible plongeon dans un sonderkommando d’un camp de concentration avec Le Fils de Saul. Derrière, des œuvres aux registres variés, proposant toute une mise en scène réfléchie et précise : de Louder than bombs à Macbeth en passant par Mon Roi. Parmi mes déceptions, deux prétendants possibles à la palme d’or pour certains, Youth et Carol. Au final, le film réunissant le plus de voix en sa faveur, Mia Madre, passe inaperçu à la cérémonie de clôture pour ne recevoir que le prix du jury œcuménique. Jacques Audiard palme d’or en main, je l’imaginais lors de la projection de Dheepan, jusqu’à atteindre la dernière partie du film où éclate une violence incompréhensible, ruinant toute la narration, toute la justesse du récit. Pas de soucis pour le jury, visiblement !

Les invitations, convoitées comme jamais.

Les invitations, convoitées comme jamais.

Maintenant le festival terminé, d’aucuns sauteront encore une fois sur l’occasion de critiquer le travail de Thierry Frémaux et de ses équipes de sélection, de dire quel tel ou tel film présenté en sélection parallèle aurait eu sa place en compétition et inversement : que de futilités. Quel que soit le festival, aucune sélection ne touche à la perfection. Il y a des crus plus ou moins bons, des œuvres plus ou moins belles, et Cannes 2015 s’est montré plus que satisfaisant. S’il y a un problème à relever, et qui, bien entendu, n’affecte pas tous les festivaliers mais une grande partie, c’est la surpopulation au cours des sept premières journées. Pour la sélection officielle, Debussy était inaccessible pour les projections presse sur badge jaune, et parfois même bleu. Il fallait alors se reporter sur Bazin la nuit, les séances officielles du lendemain ou celles de rattrapage en salle du soixantième – et cela a bien sûr des répercussions pour les autres festivaliers. Nouveauté peu appréciée, la fin des badges à points, qui permettaient alors de retirer des places pour la Sélection Officielle. A la place, un système de souhaits peu avantageux pour les badges « faibles » qui se voient tout simplement privés d’invitations tandis que les badges les plus forts peuvent gravir les marches à 19h presque tous les jours. Les mieux lotis restent bien lotis, mais comment un modeste festivalier peut-il organiser sa journée alors qu’il attend après un email pour savoir s’il pourra assister ou non à une séance ?

Pas tout à fait les tenues idéales pour aller chez Albane

Pas tout à fait les tenues idéales pour aller chez Albane

Un carton d’invitation par personne

D’années en années, les lieux pour faire la bringue s’amenuisent considérablement, au point d’ajouter sur la liste des espèces en voie d’extinction les soirées sur les plages privées. On a déjà fait le deuil de la Villa Inrocks, du château du Cercle, de la plage Chivas, de la Terrazza Martini et cette année, il fallait aussi se passer de l’accessible Ciné-Guinguette et de la Boulangerie Bleue, présente non plus sur la croisette dans un lieu convivial mais un mini bar à Dry Martini pour deux personnes – et dont j’ai dû annuler la visite. Avec l’énergique Villa Schweppes perchée au club Les Marches, il ne restait plus que la (jeune) Plage Magnum – 3ème année – et Nikki Beach pour assurer de belles animations face à la mer. Certes, les plages de la Quinzaine des réalisateurs et de la Semaine de la critique se sont activées pour des soirées bien particulières, mais c’est insuffisant. La Chambre Noire Belvedere, au premier étage du Marriott, présente seulement du 14 au 18 mai, crée un véritable vide en fin de festival et d’ailleurs, cette année, tout le monde pliait bagage dès le samedi matin de clôture. La nouveauté de l’année se trouvait face au Grand Hôtel avec le Horyou Village et ses concerts gratuits en fin d’après-midi. Une belle initiative mais à un horaire délicat pour ceux qui vont aussi dans les salles. Alors il reste les inaccessibles soirées de film, où ceux qui parviennent à obtenir un carton ou à s’y infiltrer évoquent souvent un ennui poli, champagne en main. Quand la soirée est trop privée, la fête est moins folle. Ne généralisons pas, même si je n’y étais pas présent, Disney a envoyé quelques festivaliers sur orbite avec la soirée Vice-Versa et par contre, pour m’y être rendu, chapeau bas à Wild Bunch et la soirée Love, surpeuplée et survoltée, défiant la nuit jusqu’aux premiers rayons de soleil dans une ambiance démente, orgie de cocktails à l’appui. Les amateurs de clubbing pourront toujours évoquer le VIP Room, le Baron ou le Gotha, mais les vraies nuits grisantes se déroul(ai)ent sur les plages, bateaux ou dans d’impressionnantes villas reculées. On peut toujours compter sur le Petit Majestic pour prendre une bière ou deux – et bien plus si affinités –, bavarder au milieu d’une marée de festivaliers, mais Cannes 2016 à intérêt à redresser la barre afin de ne pas perdre sa magie nocturne déjà bien amochée.

Classement étoilé des films découverts à Cannes 2015

The Lobster : personne pour danser ?

The Lobster : personne pour danser ?

28 longs métrages découverts sur une liste de 38 films – de nombreux ratés en dehors de la compétition, Vers l’autre rive, Yakuza Apocalypse, Green Room, Cosmodrama, … Une série de courts métrages, deux conférences de presse, une soirée de film, une poignée de sorties nocturnes et quelques belles et brèves rencontres (John C. Reilly, Matthew McConaughey, Michael Fassbender, …) Un parcours relativement réussi malgré deux journées avec un seul long métrage au compteur.

1
Youth de Paolo Sorrentino

2 étoiles
A Perfect Day de Fernando León de Aranoa

2.5 étoiles
Notre Petite sœur de Hirokazu Kore-eda
Carol (Prix d’interprétation féminine pour Rooney Mara et Queer Palm) de Todd Haynes

3 étoiles
Trois souvenirs de ma jeunesse (Prix SACD) d’Arnaud Desplechin
Valley of Love de Guillaume Nicloux
Les Cowboys de Thomas Bidegain
La Glace et le ciel de Luc Jacquet
Dheepan (Palme d’or) de Jacques Audiard
The Sea of Trees de Gus Van Sant

3.5 étoiles
La loi du marché (Prix d’interprétation masculine pour Vincent Lindon) de Stéphane Brizé
La Tête Haute d’Emmanuelle Bercot
Sleeping Giant d’Andrew Cividino
An de Naomi Kawase
Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul
Mountains may depart de Jia Zhang-ke
Mia Madre (Prix du jury œcuménique) de Nanni Moretti
L’homme irrationnel de Woody Allen
Tale of tales de Matteo Garrone

4 étoiles
Macbeth de Justin Kurzel
The Assassin (Prix de la mise en scène pour Hou Hsiao-Hsien) de Hou Hsiao-Hsien
Sicario de Denis Villeneuve
The Lobster (Prix du jury) de Yorgos Lanthimos
Mon Roi (Prix d’interprétation féminine pour Emmanuelle Bercot) de Maïwenn
Louder than bombs de Joachim Trier

4.5 étoiles
Mad Max : Fury Road de George Miller
Love de Gaspar Noé
Le Fils de Saul (Grand Prix) de László Nemes

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Article rédigé par Dom

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