[Critique] Millénium – les hommes qui n’aimaient pas les femmes (David Fincher)

Succès phénoménal de la littérature contemporaine, la trilogie Millénium du suédois Stieg Larsson, décédé quelques jours après avoir remis ses manuscrits à son éditeur, a rapidement été adaptée au cinéma et à la télévision. En considérant l’engouement moindre dans ces formats, qui auront avant tout révélé Noomi Rapace, l’interprète de l’héroïne Lisbeth Salander, on ne pouvait se douter que les américains se lanceraient dans un remake du premier épisode, projet difficile à bouder puisque l’on trouve David Fincher aux commandes.
Rien n’a changé et pourtant, Millénium – les hommes qui n’aimaient pas les femmes s’est doté de nouveaux atours encore plus attrayants.

Millésime Fincher

Les équipes suédoises en charge de l’adaptation de Millénium avaient tenté de livrer des thrillers à l’américaine, dans le respect du récit de Stieg Larsson, mais diminués par les conventions formelles du genre. Si le scénario adapté ici par Steven Zaillian (La Liste de Schindler, American Gangster, Gangs of New-York, Le Stratège) ne dévie pas de la double intrigue du roman Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, allant même jusqu’à dépasser la démarche de ses homologues suédois dans les derniers segments du récit, David Fincher marque ce thriller de sa patte si singulière. La photographie glaciale aux teintes souvent maladives, signée Jeff Cronenweth, et la mobilité impérieuse de la caméra élèvent d’emblée cette version américaine qui condamne le spectateur déjà initié à cette histoire à anticiper la plupart des mouvements des protagonistes. Millénium – les hommes qui n’aimaient pas les femmes s’articule autour deux personnages que tout oppose. Un journaliste condamné par la justice après avoir tenté de renverser un puissant industriel, Michael Blomkvist, se retrouve chargé d’enquêter sur la mort d’une jeune fille sur l’île d’Hedestad, survenue quarante ans auparavant. Sur sa route, il va rencontrer Lisbeth Salander, jeune femme au look goth/post-punk, archétype de la génération Y, pupille de l’Etat au passé obscur, pour qui l’informatique et l’électronique n’ont aucun secret.

La densité du roman de Larsson se retrouve transposée dans le film, éloignant seulement des ramifications secondaires en rapport direct avec Blomkvist, ce qui nivelle sa présence à l’écran avec celle de Salander. La fidélité au récit originel oblige David Fincher à conduire le film a un rythme des plus soutenus, notamment dans la première partie où les plans défilent à une allure parasitant toute possibilité de s’imprégner de l’univers mystérieux et torturé de Millénium. La frénésie du montage qui fluidifie la narration reste toutefois un élément remarquable. Tout comme pour The Social Network, on retrouve Trent Reznor et Atticus Ross derrière la bande originale du film, atout majeur de cette version, résolument atypique, portée sur des atmosphères lugubres à partir de sonorités électroniques minimalistes, de synthétiseurs éthérés et de pianos répétitifs et funestes.
Si Daniel Craig, dans le rôle de Blomkvist, rivalise à peine avec Michael Nyqvist, son homologue suédois, la jeune Rooney Mara, incarnant Lisbeth Salander, se révèle aussi saisissante que Noomi Rapace, si ce n’est plus : la douce étudiante qui ouvre la première séquence de The Social Network est méconnaissable. Décoloration des sourcils, piercings – réels – de la tête aux seins, tatouages et coupes de cheveux agressives lui confèrent d’autor une puissante identité visuelle. Et la qualité de son jeu suit : adoptant un accent suédois, le nihilisme passif de Salander se ressent dans chaque réplique que lance froidement Rooney Mara, habitée par son personnage.

Ce remake de Millénium est loin d’être anodin dans la filmographie de David Fincher, il apparaît comme une suite logique, voire une synthèse quasi absolue de tout son cinéma. Lisbeth Salander fait autant écho à la Ripley d’Alien 3, femme vigoureuse parmi des hommes obscènes et aliénés, qu’à Mark Zuckerberg (The Social Network), génie de l’informatique asocial, sans oublier les marginaux du Fight Club. Dans cette investigation menée en premier lieu par un journaliste, on retrouve un sens de l’enquête proche de Zodiac, un univers glauque rappelant Se7en et une exploitation des espaces clos qui, ça et là, convoque Panic Room. Même la mélancolie de Benjamin Button finit par surgir des ténèbres. Ainsi, ce long-métrage marque une véritable conclusion au premier pan de la carrière de David Fincher en tant que réalisateur. Son prochain projet, 20 000 lieues sous les mers – une autre adaptation déjà portée au cinéma –, devrait logiquement marquer le début d’une nouvelle ère.

Si Fincher ne réinvite pas Millénium, il confectionne au récit de Stieg Larsson une mise en image remarquable et offre à Rooney Mara le rôle clé dans une carrière qui s’annonce prometteuse. Les personnes non réceptives à l’histoire de Stieg Larsson ne trouveront aucun intérêt nouveau ici ; les amateurs de la saga et les néophytes plongeront dans un thriller dense au rythme effréné, sombre et désespéré, glorifiant la femme au travers d’une héroïne moderne et atypique.

4.5 étoiles

 

Millénium – les hommes qui n’aimaient pas les femmes

Film américain, britannique, suédois, allemand
Réalisateur : David Fincher
Avec : Daniel Craig, Rooney Mara, Robin Wright, Stellan Skarsgard, Christopher Plummer
Titre original : The Girl with the Dragon Tattoo
Scénario de : Steven Zaillian, d’après l’oeuvre de Stieg Larsson
Durée : 158 min
Genre : Thriller, Drame
Date de sortie en France : 18 janvier 2012
Distributeur : Sony Pictures Releasing France


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Article rédigé par Dom

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6 commentaires

  1. Belle article j’étais assez septique , n’ayant pas trop aimé Zodiac, mais tu ma donné envi de voir ce film.

    Sais tu si il y aura des adaptions des autres volumes ?

  2. Sony serait partant pour adapter les deux suivants, reste à savoir si Fincher serait de la partie, mais c’est peu probable… Donc au final, est-ce une bonne idée ?

  3. ta critique est intéressante, notamment les rapports avec le reste de l’oeuvre de fincher… mais perso je suis sorti assez déçu du film… très bien réalisé, certes, mais toujours la même histoire ça saoule… et 2h40 en plus !! arf… 😉

  4. J’aime beaucoup le fait que « Millénium » soit la synthèse de tout le travail de Fincher, bien vu. Par contre, si je ne renie pas la qualité de la mise en scène, je me demande encore l’intérêt de ce remake, qui n’apporte pas grand chose de plus que la version suédoise. J’entends par là que j’aurai aimé avoir un point de vue nouveau, que Fincher s’approprie plus le roman. Comme beaucoup, tu mets en avant le personnage de Lisbeth, je suis d’accord, et je pense qu’effectivement c’est celui qui intéressait le plus le réalisateur. Je regrette qu’il n’ait alors pas tourné complétement son film autour d’elle.

  5. @Phil : Eh oui, c’est aussi une belle occasion de remettre en cause les remakes : c’est la même chose, avec une forme plus singulière. Est-ce que le cinéma va de l’avant ainsi ? Probablement pas !
    @Squizzz : ç’aurait été intéressant une véritable relecture oui, mais je ne pense pas que Sony était partant pour prendre des risques.

  6. « Millenium »…Un remake que j’attendais au départ avec un certain plaisir, sachant que la version suédoise m’avait déjà beaucoup plus (entre autre pour le personnage de Lisbeth). Mais là Ficher a monumentalement chié dans la colle. C’est maniéré à mort, américanisé dans tout les plans, et il n’a absolument pas respecté le principe de cette saga…la montée en puissance!! ainsi que les rouages qui se mettent lentement mais sûrement en place pour nous servir sur un plateau, le final tant attendu…Ici d’entrée de jeu on a tout de suite compris que c’est cuit!!…Pour ma part dés les premières minutes!! à partir du moment ou vous voyez Daniel Craig (qui joue bien dans l’absolu) franchir le seuil des locaux du journal…C’est fini!!!….On débarque dans des locaux hype et bien design, facon IKEA VIP. Alors que dans la version originale, les locaux sont bien plus modestes, et qui plus est beaucoup plus crédible!!!…Quand à la « lisbeth » de Fincher, désolé mais NOOMI RAPACE, piétine carrément celle-ci…Elle parle beaucoup trop ici, en fait trop, et on n’a aucune empathie en vers elle contrairement à celle de la version originale…Non sincèrement FINCHER…C’était mieux avant!!!

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