Critique : Anatomie d’une chute

Anatomie d’une chute est un film événement : quatrième long-métrage de Justine Triet, il est couronné de la Palme d’Or à Cannes 2023, faisant de la cinéaste la troisième femme à recevoir cette récompense. Une récompense qui aura doublement marqué la cérémonie de clôture avec la prise de position salvatrice de la cinéaste sur le maintien de l’ordre lors des manifestations contre la réforme des retraites, mais aussi en exprimant ses craintes sur l’exception culturelle française. Malgré son joli démarrage en salle, ce film, qui se penche sur le délitement du couple sous la forme du film de procès, est probablement l’œuvre la plus faible de la filmographie de Justine Triet.

Dissection du couple

Peut-être que le titre du nouveau long-métrage de Justine Triet fait référence au génial Autopsie d’un meurtre, réalisé par Otto Preminger en 1959 – dont le titre original est d’ailleurs, Anatomy of a murder. James Stewart, brillant avocat de la défense, démontre qu’il n’est pas toujours question de révéler la vérité lors d’un procès, mais simplement de gagner la partie. Face au manque de preuves matérielles et de témoins ici, nous approchons de cette approche de la justice. Les faits : un homme est retrouvé mort par son fils, visiblement suite à une chute depuis le chalet familial. Le hic : il était en froid avec sa femme, avec laquelle il s’était encore disputé la veille. La thèse de l’accident est écartée à cause d’éléments étranges, comme la projection du sang sur un abri qui laisse penser à un violent coup avec une arme contondante avant la chute mortelle. Comme toute affaire de ce type, où le spectateur-témoin n’a pas pu assister à la scène clé, dans un angle mort, Anatomie d’une chute captive : cette écrivaine à succès aurait-elle pu commettre le pire alors que son fils, malvoyant suite à un accident imputable à son mari, se promenait à quelques mètres de là ? Dans sa mécanique de thriller, qui porte des éléments évoquant Shining de Stanley Kubrick – le chalet enneigé et isolé du monde, Stephen King cité par la défense, et ce garçon, Daniel, qui n’a pas de pouvoir psychique mais peut détenir la vérité grâce à sa mémoire auditive –, tout sera porté à évaluer la culpabilité de Sandra qui, dans un premier temps, ment aux enquêteurs sur certains détails avant de se dévoiler face à la cour.

Anatomie d'une chute : une femme et son fils face au corps inanimé du mari

Justine Triet continue d’exploiter les états de crise du couple, en se plaçant du côté de la femme. Dans l’inabouti mais audacieux La Bataille de Solférino (2013), la visite non désirée d’un ex conjoint joué par Vincent Macaigne pose des problèmes à Laetitia Dosch, qui doit couvrir l’élection présidentielle. Dans Victoria (2016), Virginie Efira accepte de prendre la défense d’un ami pour une tentative d’homicide lors d’un mariage, avec pour seul témoin, un dalmatien… Plus alambiqué et moins séduisant, Sybil (2019) recoupe des thématiques similaires. Anatomie d’une chute ne montre jamais le puissant sentiment d’urgence du premier film, à la première partie si percutante. L’originalité narrative du second, se montre absente – comme les variations de ton. Nous sommes face à une affaire des plus rationnelles, traitée avec une étrange dispersion des points de vue : tantôt du côté de Sandra, tantôt auprès du fils, et naviguant parfois çà et là, au travers d’une caméra de journaliste, sans raison apparente, ou bien de celle des enquêteurs. En découle aussi un manque d’unité visuelle qui donne non pas un sentiment de chaos mais de brouillon, un étrange brouillon, calculé, à l’image d’un scénario si rigide. Au point qu’avant d’arriver aux dernières cartes de l’affaire, nous nous retrouvons totalement détachés de sa résolution. Cette famille, et avant tout ce couple, on y croit difficilement : des photos au cours du générique sont les seuls éléments pour créer un lien avec le spectateur, qui ne verra les amants réunis que dans une unique analepse lors du procès. Le procès, devenant inéluctablement une dissection du couple, nous éloigne d’eux par la banalité de l’état de crise de ces deux êtres.

Milo Machado Graner dans Anatomie d'une chute

Pourtant, dans le rôle principal, Sandra Hüller se montre particulièrement convaincante, tout comme Swann Arlaud en ami et avocat de la défense, et si le film laisse entrevoir une relation qui pourrait affecter le déroulement du procès, il n’en sera rien. Le détachement tient purement du récit, co-écrit avec Arthur Harari. Cas particulier dans ce long-métrage : Daniel (Milo Machado Graner), le fils, doit être protégé et si besoin, tenu à l’écart de sa mère lors du procès, qu’il tient à suivre dans ses moindres détails, désireux de comprendre. La femme qui veille sur lui, interprétée par Jehnny Beth, finit par susciter plus d’intérêt par sa position si particulière que le verdict. Un problème de taille pour un film de ce genre, pauvre en suspense et dont le point de bascule final laisse dubitatif. Un jury cannois est tombé sous le charme : tant mieux pour Justine Triet, mais on espère retrouver sa fougue caractéristique dès son prochain projet.

2.5 étoiles

 

Affiche du film Anatomie d'une chute

Anatomie d’une chute

Film français
Réalisatrice : Justine Triet
Avec : Sandra Hüller, Milo Machado Graner, Swann Arlaud, Antoine Reinartz, Jehnny Beth, Samuel Theis, Camille Rutherford, Anne Rotger
Scénario de : Justine Triet, Arthur Harari
Durée : 150 min
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie en France : 23 août 2023
Distributeur : Le Pacte

 

Photos du film Copyright 2023 Les Films Pelléas/Les Films de Pierre

Article rédigé par Dom

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