Critique : Le Livre des solutions

S’il faut remonter à 2015 avec Microbe et Gasoil pour dénicher un nouveau long-métrage de Michel Gondry en salle, ce dernier n’a pas chômé depuis en réalisant plusieurs courts-métrages (promotionnels) et clips musicaux (comme Got to keep on des Chemical Brothers), ainsi que des épisodes de la série Kidding (2018-2020) avec Jim Carrey. Le Livre des solutions prolonge la volonté de tourner des films modestes en termes de production, ce qui fonctionne avec la nature de ce projet sur les terres de l’autobiographie. Pierre Niney y incarne un réalisateur instable, craignant perdre tout contrôle avec son œuvre et rendant la vie infernale à ses fidèles collaboratrices.

L’écrit et l’écoute

Un film résulte d’un étrange tumulte, la concordance de centaines voire de milliers de paramètres, mais aussi de conflits et d’accidents. Marc Becker (Pierre Niney) croit en son nouveau long-métrage, mais lorsque ses producteurs ainsi qu’un fidèle collaborateur le dépossèdent de son projet, à quelques encablures des derniers jours de tournage, il décide de prendre la fuite, de s’installer chez sa tante Denise (François Lebrun) avec Charlotte (Blanche Gardin) et Sylvia (Frankie Wallach) pour terminer le tournage et le montage. Autre décision radicale : cesser immédiatement son traitement pour ses sautes d’humeur. Si l’on retrouve dans Le Livre des solutions une forme d’hymne à la création et à la débrouille, déjà mise en exergue dans Soyez sympas, rembobinez (2008), le cœur du film travaille sur un spectre plus large avec le fameux livre que va reprendre Marc pour se motiver et dépasser tous les obstacles. On pourrait penser à ces tristes livres consacrés au « développement personnel », seulement ici, le caractère empirique et l’application immédiate de chaque aphorisme en font un objet à la fois plus modeste et plus efficace. Malgré le statut de star du cinéma français rapidement acquis par Pierre Niney, Michel Gondry arrive à en faire un parfait alter ego, rongé par sa créativité comme ses angoisses. Un personnage attachant et ambivalent, qui peut paraître inadapté à une vie normale en société mais qui parvient, en appliquant ses propres formules, à déplacer des montagnes, plus ou moins impressionnantes – comme diriger un orchestre sans aucune notion musicale pour la bande originale de son film, et même aller plus loin en sollicitant un artiste de renom. Le livre des solutions de Marc Becker peut s’appliquer à tout domaine, toute personnalité, mais on pourrait simplement le résumer à un proverbe tel que « Aide-toi, le ciel t’aidera ». Au fond, l’écriture apparaît plus comme un stimulant, une tâche qui dessine des objectifs à l’horizon.

Michel Gondry célèbre à nouveau sa propre tante avec le personnage de Denise – le film est dédié à Suzette Gondry, au cœur du touchant documentaire L’Epine dans le cœur (2010). Attentionnée, Denise recadre Marc quand ce dernier se montre odieux avec Charlotte, Sylvia ou Carlos (Mourad Boudaoud). Elle est celle qui tempère les pires excès, évite l’implosion du groupe de travail : sans ses mots justes, sans un travail d’écoute de la part de Marc, tout s’effondrerait. Si l’on peine à apercevoir les qualités que pourra porter sa nouvelle œuvre, au point que sa création devient une pure abstraction à part une séquence en travelling qui sera montrée à plusieurs reprises, on s’attache au lien fondamental entre cette femme et son neveu. Hors du cercle de travail mais participant à l’entreprise, en hébergeant et en nourrissant l’équipe, la parole de Denise est différente de celle entre Marc et Charlotte, ou Marc et Sylvia. C’est une parole pleine de bienveillance, toujours guidée par le bon sens. Françoise Lebrun est touchante dans ce rôle qu’elle tient avec une douceur naturelle. Bien que certains détails s’avèrent hilarants dans Le Livre des solutions, c’est une matière dramatique qui sert de terreau au film : à ce stade de sa vie et de sa carrière, tout est synonyme de difficultés pour Marc, y compris les élans du cœur qui le portent vers la volontaire et drôle Gabrielle – Camille Rutherford, qui complète parfaitement un casting très féminin. Tourné dans un village des Cévennes, Le Livre des solutions expose une mise en scène simple, qui sied au cadre. Même s’il reste quelques trouvailles visuelles et de rares effets bricolés, nous sentons bien ici que Michel Gondry a désormais d’autres préoccupations dans son cinéma, surtout en filmant « le réel ». Jamais surprenant sur ses grandes lignes, cet autoportrait évalué à 70% vrai par son auteur se montre loin de l’hagiographie, ce qui dénote d’un véritable courage dans cette mise à nu. Un charmant petit film par un grand créateur, où les cris et les doutes, affrontent l’écrit et l’écoute.

Photos du film Copyright The Jokers Films