Critique : EO

Récompensé du Prix du jury à Cannes 2022, ex-aequo avec Les Huit montagnes de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch, EO de Jerzy Skolimowski compte parmi les films les plus touchants et originaux de l’année. Une odyssée animale unique en son genre, portée sur l’émotion et un message radicalement antispéciste.

Âne beauté

Alors qu’il s’est évadé de son enclos dans l’une de ses nombreuses vies d’âne, Eo traverse une forêt en pleine nuit, observé par un hibou. Une araignée tisse sa toile méticuleusement. Les renards rôdent. Un véritable ravissement esthétique, prouesse où, comme tout au long du film, on a du mal à imaginer comment le protagoniste qui occupe l’affiche du film a pu être dirigé, ou comment l’équipe a réussi à se plier aux volontés des six ânes qui se sont relayés pour ce personnage. Jerzy Skolimowski l’a avoué, Au hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson, œuvre où un âne se confronte à divers traits des humains, fut un choc cinématographique dont il ne s’est jamais remis. EO ne tient de l’hommage que dans la démarche puisque le geste diffère fortement, avec son approche expérimentale de la mise en scène et de la narration : la caméra adoptera le plus souvent possible le point de vue de l’âne, en restant toujours dans son environnement direct ou en adoptant son regard, voire ses pensées. Quand la caméra accorde du temps aux humains, c’est qu’ils agissent à proximité de l’équidé. Filmé avec amour, Eo est un témoin de la cruauté ordinaire que l’homme exerce sur le monde animal. Cette fameuse traversée de la forêt en pleine nuit prend une autre dimension quand les lasers d’armes à feu viennent caresser le pelage d’Eo avant d’abattre froidement un renard.

A 84 ans, le cinéaste à qui l’on doit le sublime Deep end (1970) montre une créativité fabuleuse : sa mise en scène est marquée par la fougue des jeunes cinéastes les plus audacieux, et cela, sans tomber dans un maniérisme lourd ni de posture ésotérique. Il y a de la grâce et du pur cinéma du début à la fin de cette odyssée amère mais parfois drôle, et loin d’être manichéenne. Si le film dépeint l’être humain comme une créature cruelle et souvent dénuée d’empathie pour les animaux, Eo ne joue pas un clivage qui ferait du film une démonstration pour flatter les écolos les plus téméraires. Des liens se font et se défont avec des femmes et des hommes, eux-mêmes conscients des paradoxes du rapport homme/animal, que ce soit dans leur emploi dans les cirques ou bien leur exploitation à des fins alimentaires. Rien de révolutionnaire dans la prise de position, certes, mais une position trop peu occupée par le cinéma contemporain. L’expérience sensorielle et la dimension émotionnelle priment dans ce film majeur, ode à une biodiversité agonisant dans la plus grande indifférence. Eo ou hé oh ? L’interpellation peut-elle porter ses fruits aujourd’hui, dans une société délétère qui semble condamnée ?

4.5 étoiles

 

EO

Film polonais, italien
Réalisateur : Jerzy Skolimowski
Avec : Sandra Drzymalska, Lorenzo Zurzolo, Isabelle Huppert, Mateusz Kosciukiewicz
Scénario de : Ewa Piaskowska, Jerzy Skolimowski
Durée : 86 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 19 octobre 2022
Distributeur : ARP Sélection

 

Photos du film Copyright Skopia Film

Article rédigé par Dom

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