Critique : Yalda, la nuit du pardon

Une émission de téléréalité où la condamnation à mort peut être révoquée grâce à la loi du talion en Iran : Yalda, la nuit du pardon pourrait tenir de la dystopie impensable si le film n’était pas inspiré d’un programme qui a réellement existé. Grand prix du jury à Sundance 2020, le long métrage de Massoud Bakhshi se montre glaçant par les dérives sociales dans lesquelles il nous plonge.

Marchand de grâce

Les méfaits de la télévision font souvent l’objet de films captivants, de Network de Sidney Lumet à Night Call de Dan Gilroy, sans oublier Requiem for a dream de Darren Aronofsky. On peut même évoquer ici une idée derrière un film de Bertrand Tavernier, La mort en direct : bien qu’il ne soit pas question d’exécuter quelqu’un sous l’objectif des caméras, il est tout de même question de peine de mort au travers d’un programme abject, jouant avec la justice et les émotions des spectateurs dans un but purement lucratif. En Iran, l’émission qui a inspiré ce film de Massoud Bakhshi, désormais terminée, s’intitulait Lune de miel. Dans cette fiction, la vie de la jeune Maryam (Sadaf Asgari), condamnée à mort pour avoir tué son mari, est désormais entre les mains de la fille unique du défunt, Mona (Behnaz Jafari). Maryam est ici à contrecœur, poussée par sa mère, d’autant qu’il y a le salut à la clé si elle parvient à obtenir le pardon de Mona – et cette dernière a aussi énormément à gagner si elle prend cette décision. Face à la détresse de Maryam, le malaise touche les membres les plus sensibles de l’équipe : mais il faudra aller au bout du programme qui réunit des millions de spectateurs, jugeant aussi du pardon par SMS.

Avec pour unité temporelle celle de l’émission et l’approche documentaire de la mise en scène – caméra épaule et plans au travers des caméras du plateau –, Massoud Bahkshi fait le choix de faire de nous des spectateurs omniscients du programme : nous voyons en plus ce qui se trame en régie et à l’entrée des studios. Un parti pris efficace dans une certaine mesure mais limitant le pouvoir du langage cinématographique et le développement d’un regard critique sur les différents maux exposés ici : sans s’attaquer à la loi du talion, le film interroge sa valeur morale par le prisme d’une telle émission télévisée. La faveur de la grâce n’est plus positionnée sur un plan moral mais purement monétaire. La tragédie vécue par les deux partis est mise en scène méticuleusement, quitte à déformer la réalité. Pas besoin d’atteindre le terme du film pour se rendre à l’évidence que la justice doit conserver des frontières strictes avec le domaine sournois et corrompu de la télévision – ce qui peut nous interroger directement en France lorsque l’actuel garde des Sceaux évoque l’idée de filmer et retransmettre des procès. Si la justice devient spectacle, son altération peut conduire à sa propre dissolution, comme le montre Yalda, la nuit du pardon. La nuit éprouvante de Myriam flirte avec le pathos en s’appuyant sur un événement qui enfonce encore plus le film dans l’ignominie, mais le réalisateur iranien ne s’égare pas au terme de son répugnant programme. Nous ne sommes pas encore tombés aussi bas, à ce stade où la télévision devient un marchand de grâce, mais à l’heure où les émissions insipides pullulent, exploitant parfois la misère et les tragédies, comme les discours haineux sur des plateaux de pseudo-journalistes, il devient impératif de s’interroger sur la décence et la morale dans nos médias.

3.5 étoiles

 

Yalda, la nuit du pardon

Film iranien
Réalisateur : Massoud Bakhshi
Avec : Sadaf Asgari, Behnaz Jafari, Babak Karimi, Fereshteh Sadre Orafaiy, Arman Darvish, Faghiheh Soltani
Titre original : Yalda
Scénario de : Massoud Bakhshi
Durée : 89 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 7 octobre 2020
Distributeur : Pyramide Distribution

 

Article rédigé par Dom

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Un commentaire

  1. Trop d’invraisemblances pour moi (devine en 2sec à qui est le bb, une condamnée à mort qui déambule sans soucis…), un poil trop académique mais le sujet touche forcément

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