Critique : Silvio et les autres

Paolo Sorrentino revient au cinéma politique en dressant le portrait de Silvio Berlusconi. Sorti initialement sous la forme de deux films en Italie, Loro 1 et Loro 2, Silvio et les autres se débarrasse de plus d’une demi-heure de film et expose un vrai déséquilibre dans la structure de ce biopic pourtant séduisant en de nombreux points.

L’art de vendre

D’emblée, le film se positionne comme une œuvre jouant avec le fantasme, la fiction, au travers d’un carton puis d’une scène d’ouverture à la symbolique équivoque. Il Cavaliere sera absent une grande partie de ce long métrage qui se lance comme un film de gangsters à la Scorsese : Sergio Morra – personnage fictif campé par Riccardo Scarmarcio, vraisemblablement inspiré par Gianpaolo Tarantini – rêve d’approcher celui qu’on appelle tout simplement « Lui » avec une forme de fascination pudique mais aussi de désir. Morra, entrepreneur qui règle ses soucis grâce à des prostituées qu’il entretient avec des rails de poudre blanche, compte bien s’approcher de Berlusconi pour décrocher un poste de député européen. L’action se déroule alors que Berlusconi traverse une période de doute, avant d’accéder pour la troisième fois au poste de Président du Conseil des ministres d’Italie, à plus de 70 ans. Et ce Berlusconi interprété par Toni Servillo se fait désirer tel un King Kong, personnage monstrueux et difficile d’accès. C’est en rencontrant une escort qui fréquente Il Cavaliere, Kira (Kasia Smutniak), que Morra voit alors une option pour sa carrière : claquer une somme ahurissante pour louer une villa en Sardaigne face à celle de Berlusconi et attirer l’attention par des orgies dantesques. Ainsi, la première partie de Silvio et les autres se déploie avec le faste et le clinquant tapageur caractéristique des dernières œuvres de Paolo Sorrentino, et qui lui vaut les foudres de certains critiques depuis le magnifique La Grande Bellezza. Les corps dénudés se déhanchent dans une ode dérangeante à la concupiscence, galerie de femmes à la plastique parfaite, produits calibrés par la télévision italienne façonnée par Berlusconi en personne. Mais malgré les efforts déployés par Morra et sa troupe, le poisson peine à mordre à l’hameçon : une affaire de reconquête se joue dans la sphère privée.

Bien que Silvio ait remarqué les nymphes exposées à quelques mètres de sa résidence ou encore à la vue de son yacht, ce dernier retient ses ardeurs car il tente de reconquérir le cœur de sa femme Veronica (Elena Sofia Ricci). Il y a quelque chose de bouffon dans le maquillage outrancier transformant le visage de Toni Servillo qui provoque des effets assez géniaux, comiques. Les traits sont parfois si grossiers que certaines expressions les figeant, ce rictus dévoilant une dentition – ou plutôt un dentier – parfait, touchent parfois au surréalisme délirant. Et pourtant, Servillo parvient à en faire un personnage bien réel, parfois touchant dans ses failles et impressionnant par sa force, sa volonté de reconquête politique, à défaut de pouvoir reconquérir la femme qu’il a épousé. Une des scènes les plus fascinantes du film est peut-être celle où Berlusconi appelle, de nuit, une femme afin de lui vendre un nouvel appartement – bien sûr, sans dévoiler sa véritable identité. Là se résume tout l’art de la politique, du bagout à la fois si séduisant mais fondamentalement répugnant des politiciens, dont la soif de pouvoir et de réussite pousse vers des formules dévastatrices, des discours d’une force implacable. Gouverner ou l’art de vendre n’importe quoi à quiconque en tout temps. La sincérité ? Peu importe ! Si Morra parvient à s’approcher de Berlusconi, d’organiser de fameuses soirées bunga bunga, les retombées ne seront pas celles attendues, et « lui », en manipulant une poignée de sénateurs, retrouva le pouvoir. Plus intimiste et moins démonstratif dans sa deuxième partie, Silvio et les autres souffre des excès d’un premier segment très rythmé, bercé par des rêves d’ascendance et sa myriade de bimbos peu farouches. Dans son unité, le film plie, d’autant plus qu’il manque de repères pour le spectateur peu informé sur la politique italienne.

S’achevant peu à près le désastre du séisme de l’Aquila en 2009, Silvio et les autres dépeint une figure du pouvoir profondément ambivalente, tout aussi fascinante qu’abjecte. En résulte que les fervents admirateurs de l’ancien Président du Conseil des ministres y verront un portrait plutôt élogieux, tandis que les détracteurs trouveront une nouvelle matière pour critiquer l’homme qui aura marqué profondément l’histoire de l’Italie. Est-ce une force ou une faiblesse pour le film ? Toujours est-il qu’on aurait préféré découvrir cette œuvre dans ses deux parties complètes et non ce montage quelque peu indigeste de 2h38, dont on ne connaît même pas le degré d’implication de Paolo Sorrentino. Un objet parfois fabuleux mais aussi pachydermique, loin de la splendeur mélancolique de La Grande Bellezza et de la fascination politique de Il Divo.

3 étoiles

 

Silvio et les autres

Film italien
Réalisateur : Paolo Sorrentino
Avec : Toni Servillo, Riccardo Scarmarcio, Kasia Smutniak, Elena Sofia Ricci, Euridice Axen, Dario Cantarelli, Anna Bonaiuto
Titre original : Loro
Scénario de : Paolo Sorrentino, Umberto Contarello
Durée : 148 min
Genre : Biopic, Drame
Date de sortie en France : 31 octobre 2018
Distributeur : Pathé Distribution

 

Article rédigé par Dom

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