Cannes 2017 : Objectif Palme

Nous voici à la moitié du festival, nous cherchons toujours la Palme d’Or et nous continuons avec quatre longs métrages, trois en compétition, Happy End, Mise à mort du cerf sacré, Le jour d’après, et enfin, à la Quinzaine des réalisateurs, The Florida Project. L’un d’entre eux est un véritable choc, et c’est à découvrir dans cet article.

Chose rare, trois films en compétition se succèdent au Grand Théâtre Lumière, et pour tous les découvrir il faut sacrifier tout notion de pause repas. Vers 10h30, c’est un foutoir pour entrer au GTL face à l’entrée du palais : les files se croisent – et pour accéder à la salle de projection, le terme est galvaudé, il s’agit plutôt d’une masse de festivaliers. Avec des agents de sécurité nerveux, des festivaliers inquiets pour accéder à la salle, nous sommes à deux doigts du mouvement de foule. J’accède enfin à la salle alors que le logo du festival de Cannes a déjà disparu de l’immense écran, et me voilà placé en orchestre.

Avec Happy End, l’allemand Michael Haneke réalise une sorte de film somme, recoupant les thématiques de ses précédents films avec une tonalité connue, se positionnant presque comme une suite alternative à Amour avec le personnage de patriarche joué par Jean-Louis Trintignant. La famille Laurent est une famille bourgeoise – l’un des principaux cadres des films découverts en compétition ! – qui prospère grâce à une société de construction. Anne Laurent (Isabelle Huppert) compte laisser les rênes à son fils Pierre (Franz Rogowski) mais un incident sur un chantier pourrait remettre cette transmission en cause. Le film s’ouvre avec la noirceur propre à Haneke, dans un format vertical (attention, spoilers) : une enfant tue son hamster avec des antidépresseurs avant de plonger sa propre mère dans le coma, et ce filmé au téléphone portable. Cette enfant, Eve (Fantine Harduin, troublante de maturité), va donc retrouver son père Thomas (Mathieu Kassovitz) dans la vaste demeure familiale à Calais – en arrière-plan, les migrants. Avec une mise en scène moderne (utilisation des téléphones portables, écrans de tchat sur ordinateur), Michael Haneke procède à un petit programme misanthrope qu’on lui connaît parfaitement jusqu’à chercher à nous surprendre dans l’acte final – mais à quoi bon ? Loin d’être une œuvre désagréable, elle témoigne d’un cinéaste en manque de renouvellement fondamental. Cette fois, Haneke est loin d’être un prétendant à la Palme d’Or.

On quitte le Grand Théâtre Lumière pour repasser par la file, la sécurité, trouver un nouveau siège et découvrir Mise à mort du cerf sacré de Yorgos Lanthimos, qui avait obtenu le prix du jury en 2015 avec The Lobster, son film le plus accessible. Nul doute que le cinéaste grecque a du dérouter plus d’un spectateur avec cette œuvre qui renoue avec l’étrangeté et la violence psychologique de Canine. Lui (Colin Farrell) est cardiologue, elle (Nicole Kidman) est ophtalmologiste. Ils ont deux enfants, Kim (Raffey Cassidy, qui confirme tout son potentiel après Tomorrowland) et Bob (Sunny Suljic), qui semblent tous deux promis à un brillant avenir. Comme dans ses deux premiers films, Lanthimos masque les relations entre ses personnages et même son fil narratif. Rien de plus naturel que d’être troublé par l’apparition de Martin (Barry Keoghan, effrayant), qui s’immisce petit à petit dans la vie du chirurgien du cœur. C’est un véritable film d’horreur mental, qui va placer le père de famille dans une position cruelle et sans aucune option valable pour lui et les siens. Tourné avec énormément de plans en courtes focales et au steadicam dans la vaste demeure des Murphy, le film convoque Shining de Kubrick avec une bande originale tout aussi lugubre et un sens de la mise en scène épatant, une photographie somptueuse aux sources lumineuses multiples. On avait pas vu une Nicole Kidman aussi juste depuis si longtemps tandis que Colin Farrell trouve encore un grand rôle grâce à Lanthimos après leur collaboration sur son précédent film. Les trois jeunes acteurs brillent également dans ce cauchemar viscéral, profondément déstabilisant dans sa notion du mal et du sacrifice. Il serait dommage de révéler trop d’éléments propres à l’intrigue de ce film qui conduit à l’implosion de la cellule familiale, sachez simplement qu’il s’agit d’un des plus gros chocs vu en compétition, un film naturellement clivant par son audace radicale, et qu’on espère voir récompensé en conséquence.

Ultime cercle pour retrouver le GTL en ce jour pour Le Jour d’après de Hong Sang-soo, en séance de gala à 16h. Le coréen, présent avec deux films puisqu’il présente hors compétition La Caméra de Claire avec Isabelle Huppert, livre un film d’une grande douceur, limpide. Il traite de l’adultère d’un éditeur de livres avec son employée, conduisant à un quiproquo avec sa femme lorsqu’elle apprend l’affaire et considère l’employée tout juste embauchée comme la maîtresse de son mari. Avec un dispositif simple, au service des acteurs, cadrés de profil dans de longues phases dialoguées, Hong Sang-soo offre une parenthèse aux festivaliers avec ce geste délicat, probablement trop délicat pour se démarquer au cœur de cette riche compétition.

Jessica Chastain : la gentillesse incarnée

Quel plaisir de croiser la rayonnante Jessica Chastain à l’issue de cette projection, de féliciter aussi Tilda Swinton pour sa performance dans Okja avant de s’offrir le luxe d’un premier repas après ces trois découvertes.

Au micro, Sean Baker, avec trois de ses actrices

On termine la journée à la Quinzaine des Réalisateurs avec The Florida Project de Sean Baker, qui avait été très remarqué pour son précédent film tourné entièrement à l’iPhone à Los Angeles, en suivant des protagonistes transsexuels, Tangerine. Accompagné par trois de ses comédiennes, dont les très jeunes Brooklynn Prince et Valeria Cotto, le réalisateur se montre très heureux de montrer son film ici, à la Quinzaine. Willem Dafoe, en tournage en Australie, nous gratifie de salutations en vidéo.

Dotée d’une photographie particulièrement séduisante, privilégiant les teintes magenta, The Florida Project nous plonge dans le quotidien d’un motel guimauve en bordure d’autoroute, foyer de fortune pour des familles pour la plupart monoparentale. Jancey (Valeria Cotto) et sa maman sont accueillies par les crachats de Moonee (fabuleuse Brooklynn Prince) et Scooty (Christopher Rivera). Rien de méchant, juste des gamins désoeuvrés tuant les longues journées d’été. Le duo va montrer à la nouvelle arrivante leur monde, antichambre de pauvreté d’un Disneyworld à quelques pas. Malgré la nature, les bâtiments aux couleurs extravagantes, c’est bien un lieu où prospère la pauvreté dans la plus grande indifférence. Hailley (Bria Vinaite), la mère de Moonee, a perdu son boulot déjà minable de stripteaseuse dans un club douteux, ce qui va la conduire encore plus loin dans la déchéance pour survivre, s’acquitter des 38 dollars quotidien de la chambre. Espiègles et énergiques, les gamins de ce film se construisent tout un monde à partir de rien. Il y a le plaisir d’obtenir une glace gratuitement, en mendiant, ou encore celui de faire sauter le courant de tout le bâtiment, au grand dam du manager de l’établissement campé par un excellent Willem Dafoe, se positionnant autant en médiateur que figure protectrice pour ces enfants abandonnés en journée par des mères trimant à leurs petits boulots. Le seul fil conducteur est celui du quotidien, des petites aventures, mais la triste réalité rattrape ce long métrage avec l’arrivée des services sociaux. La force du film est de dépeindre une réalité sociale en adoptant un caractère presque rêveur, dans le sens où ce monde n’est jamais désigné comme un espace de misère mais montré comme un espace qu’il faut accepter comme un autre. Avec son final émouvant (où l’iPhone est de nouveau exploité, brillamment), The Florida Project captive et émeut. Pluie d’applaudissements à l’issue de la projection qui fera fondre en larmes la petite Brooklynn Prince.
Retour sur la croisette qui s’anime, mais il faut rentrer travailler, préserver un peu d’énergie pour quelques soirées exceptionnelle à venir. Si Mise à mort du cerf sacré est un coup de cœur, on imagine mal le film décrocher autre chose que le prix de la mise en scène. Le meilleur prétendant à la Palme d’Or reste donc 120 battements par minutes, mais attention, mardi, Naomi Kawase pourrait changer la donne.

Article rédigé par Dom

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