Cannes 2017 : Fragments

Le Festival de Cannes est terminé. Le palmarès de la Sélection officielle a lancé les débats habituels, le tapis rouge retourne au placard jusqu’au mois de mai prochain. Retour sur les derniers événements vécus et films découverts à la 70ème édition du Festival de Cannes, avec In the fade, L’amant double, Patti Cake$, You were never really here, D’après une histoire vraie, Un 32 août sur Terre et Faute d’amour. En photo ci-dessus, le jury en conférence de presse à l’issue de la cérémonie de clôture.

Famille arrachée
Vendredi 19 mai, la bête cannoise se meurt déjà alors que la compétition a encore trois films à révéler. J’accède à la séance de 11h30 au Grand Théâtre Lumière avec une facilité déconcertante et ce, pour être placé en orchestre pour découvrir le nouveau long métrage de Fatih Akin, In the fade. Diane Kruger y incarne une femme perdant son fils et son mari dans un attentat qui les ciblait directement. Structuré en trois actes, In the fade montre le parcours d’une femme pour que justice soit faite. Mais la justice se penche sur le passé de son mari (Numan Acar), ancien trafiquant de drogue qui fut incarcéré – le film s’ouvre d’ailleurs sur leur mariage alors qu’il est encore en prison –, plaçant la victime dans un siège bien inconfortable. Touchant et prenant grâce à sa protagoniste, le film souffre de certains soucis d’écriture – lors du procès surtout –, mais en acceptant ces défauts, ce drame permet de nous confronter, comme cette femme endeuillée, au besoin ambivalent de vengeance. S’achevant sur un plan final à la fois glaçant et magnifique par le renversement de la caméra, In the fade positionna à juste titre Diane Kruger comme la favorite pour le prix d’interprétation féminine.

Sexe thérapie
François Ozon, qui avait révélé Marine Vacth à Cannes avec Jeune & Jolie, revient en compétition avec la comédienne et Jérémie Rénier pour L’Amant Double. Dans ce thriller érotique, une jeune femme qui se plaint de violents maux de ventres s’engage dans une relation avec son psy. Les quinze premières minutes sont formidables par le montage – un raccord vagin/oeil notamment ! –, le jeu sur le dédoublement et une mise en scène qui provoque le trouble. Mais le film glisse petit à petit vers la série B alors que Chloé (Marine Vacth, toujours aussi charismatique) découvre que son compagnon cache l’existence d’un frère jumeau, également psy, et avec lequel elle se lance dans une relation sulfureuse et ambiguë. Grâce à un thème musical aérien superbe et une atmosphère particulière, L’Amant Double aurait pu être se positionner comme un passionnant film de genre français, mais son ultime acte relève de la bêtise pure, annihilant les arguments intéressants présentés auparavant. Sans nul doute le film le plus faible de toute la compétition, mais pour le point sexe, le film nous aura enfin offert la scène choc de sodomie qui manquait jusque là – il y a certes une scène d’amour entre deux hommes dans 120 battements par minute mais filmée avec délicatesse et pudeur.

Aparté #01 : réunion
Clôture de la quinzaine des réalisateurs. Il y a une émotion particulière à voir tous ces cinéastes réunis sur la scène du théâtre croisette du J.W. Marriott, des cinéastes d’horizons et générations différentes, des femmes et des hommes animés par la passion commune de raconter des histoires. Une belle réunion. Découvrez le palmarès de la Quinzaine des réalisateurs ici.

Flow XXL
Dernier film présenté à la Quinzaine, Patti Cake$, premier long métrage de Geremy Jasper, nous conduit dans le New Jersey pour suivre une femme qui rêve de gloire dans le monde du rap. Original et drôle, ce film qui reste lucide brille par le physique des personnages qu’il met en scène, Patti (Danielle MacDonald) et sa mère Barb (Bridget Everett), ancienne gloire de la chanson, sont obèses. Et il est rare de filmer des actrices en surpoids sans traiter de surpoids – il y a les moqueries contre lesquelles Patti se défend grâce à sa pugnacité, mais ce n’est pas un sujet de ce long métrage. Il est si rare de les considérer de la même façon que des actrices élancées sans tomber dans le piège du regard sublimant à outrance. En ce sens, Jasper prend une position féministe à saluer, une position militante dans une œuvre qui met en lumière des figures hors normes, vouées à l’échec selon les codes très stricts d’une société acceptant difficilement la différence. Talentueuse, Patti, surnommée Dumbo dans un milieu où elle cumule les handicaps – c’est une femme, elle est blanche et elle est obèse – doit se battre d’autant plus. En se regroupant avec d’autres figures marginales, esseulées, Patti parvient à enregistrer une première démo, un premier pas alors vivement critiqué par sa mère qui ne désire pas voir sa fille évoluer dans ce milieu. Entre la démythification amère d’une idole du rap et une rupture avec son ami et collaborateur Jheri (Siddharth Dhananjay), Patti rencontre tous les obstacles capables de stopper quiconque dans la poursuite de son rêve… Grâce à son humour, au flow impressionnant de la comédienne Danielle Macdonald, Patti Cake$ trace un itinéraire atypique dans le milieu du rap underground. Une œuvre remarquable.

Aparté #02 : La nuit nous appartient
A l’Atelier des Merveilles Ephemeres, on peut s’installer dans le jardin pour discuter des dernières découvertes cinématographiques ou rejoindre la piste de danse, animée par un DJ set du réalisateur John Cameron Mitchell, entre musique électronique, rock enragé de groupe punks ou plus désenchanté comme avec La Femme. Dans cette alcôve en plein cœur de la ville, à l’abri des regards, la fête semble nous prévenir de la fatalité, du weekend de clôture souvent maussade à cause des sélections parallèles déjà terminées, de la fermeture de nos bastions comme la Villa Schweppes, en somme, de la réalité qui nous attrape déjà d’une main.

Et pourtant, bien après la fermeture des portes de l’AME, ce ne sont pas nos lits qui nous appellent mais un appartement dominant le palais. Il n’y a plus énormément de festivaliers en ce lieu, mais un ordinateur et des enceintes continuent d’envoyer des décibels sans troubler le sommeil de ses résidents. Le Grand Théâtre Lumière, le palais et la ville sont illuminés, mais à cette heure si tardive, à quelques minutes de l’aube, la vue donne l’impression de contempler une maquette, vide de toute population. A nos côtés, certains festivaliers occupant les suites du Majestic partagent notre envie de traverser la nuit, assis à leur balcon, champagne en main. Le jour se lève, il y a cet instant d’hésitation entre rejoindre le palais pour 8h30 ou se reposer deux ou trois heures avant le film de Lynne Ramsay. La seconde option est choisie…

Complètement marteau
Réveil en sursaut par la vibration du téléphone : la séance de You were never really here est dans quarante minutes. Sprint jusqu’au palais, atterrissage en orchestre, à quelques rangs du jury, quasiment au complet. « Monsieur, vous sentez l’alcool… » me glisse-t-on… Navré d’importuner un voisin, j’avale des fisherman’s friend et me glisse dans mon siège à l’arrivée de Jessica Chastain : ce serait atroce d’être remarqué dans un tel état par la comédienne et productrice…
Et pourtant, malgré un piteux état, c’est avec les yeux écarquillés que je découvre le nouveau film de Lynne Ramsay, thriller minimaliste et ultra brutal dans lequel Joaquin Phoenix campe un tueur à gage, chargé d’extraire la fille d’un sénateur d’un réseau de pédophilie. Par ses musiques électroniques, ses choix radicaux en matière de cadrage et de montage, le film développe son programme (relativement convenu) avec la puissance d’un uppercut. Si les flashbacks sont amenés avec une certaine lourdeur, à cause de leur frontalité, pour expliquer le traumatisme infantile qui poursuit notre protagoniste, Joe, Ramsay parvient à tenir son concept jusqu’au bout. Percutant comme l’arme de prédilection de Joe, le marteau, You were never really here s’offre aussi quelques échappées oniriques troublantes. Profondément brutal et désespéré, le film trouve pourtant un acte final loin d’être noir, une façon inattendue de se détourner, dans les ultimes instants, des codes classiques du genre. Une œuvre que l’on retrouvera par deux fois au Palmarès avec le Prix du meilleur scénario (avec Mise à mort du cerf sacré) et le prix de la meilleure interprétation masculine pour Phoenix – nous reviendrons plus en détail sur le palmarès dans un autre article.

D’après un déjà-vu
La journée se poursuit avec la séance de gala du film de Roman Polanski, présenté hors compétition, D’après une histoire vraie, soit la rencontre entre une romancière à succès mais en panne d’idée, Delphine (Emmanuelle Seigner), et d’une fan inquiétante mais qui pourrait lui offrir la matière nécessaire pour l’écriture de son prochain roman, Elle (Eva Green). Ce thriller ronflant, qui emprunte énormément à Misery, ne décolle jamais. Il y a un véritable manque de passion de la part de Polanski, qui trouve de rares envolées dans des séquences rêvées, mais surtout une direction d’acteur déplorable, le duo Emmanuelle Seigner/Eva Green se montrant incroyablement médiocre. Le plus mauvais film découvert au cours de ce Festival de niveau élevé, du moins, au travers mon parcours personnel, sous le signe de la bienveillance – on peut accepter qu’un festival soit clivant, mais quand cela devient le carnaval des pisse-froids, le problème n’est plus dans la qualité des films proposés !

Les pieds dans le sable
Nulle envie de conclure la journée sur une déception, il n’est pas trop tard pour s’installer au cinéma de la plage pour l’ultime séance avec Un 32 août sur Terre de Denis Villeneuve. Cette année, la toile du cinéma de la plage a été dressée perpendiculairement à la mer, probablement pour diminuer la prise au vent et bénéficier d’un espace plus grand pour installer les festivaliers dans des transats sérigraphiés avec la Palme. Pour parer à la fraîcheur qui gagne le bord de mer la nuit, des plaids sont disponibles – et pour cette dernière projection, ils ont été offerts aux spectateurs.
Denis Villeneuve était retenu à Los Angeles pour la finalisation des effets spéciaux de Blade Runner 2049 mais les producteurs du films ainsi que la comédienne Pascale Bussières sont venus nous présenter la version restaurée du premier long métrage du réalisateur canadien.

Suite à un accident de voiture qui lui coûta presque la vie, Simone (Pascale Bussières) décide d’avoir un bébé. Elle demande à son ami Philippe (Alexis Martin), qui, quelques années auparavant, en pinçait suffisamment pour elle pour tomber dans la dépression suite à une relation amoureuse qui n’a jamais existé. Philippe accepte la demande farfelue de Simone, qui souhaite s’occuper de son enfant seule, mais à une condition : le concevoir dans le désert. Direction les Etats-unis pour un plan qui ne se passera pas tout à fait comme prévu. Dans cette comédie lunaire, portée par ses comédiens et un sens du cadrage très intéressant, notamment dans la partie aux Etats-Unis, Denis Villeneuve interroge les rapports amoureux avec une certaine mélancolie marquant les derniers chapitres. Un film très poétique, découvert dans un cadre particulièrement enchanteur.

Russie détraquée
Dimanche de clôture, journée des rattrapages de la sélection officielle. Alors que je pensais accéder à Debussy comme tout le monde, sans priorité avec mon badge presse, la sécurité me fait accéder à la salle sans rejoindre la longue file de festivaliers. C’est le privilège des badges rose pour les projections presse au cours de la quinzaine, c’est un privilège qui rend profondément mal à l’aise vis à vis des personnes qui attendent depuis plusieurs minutes, parfois heures, en plein soleil…
Mais penchons nous sur le nouveau long métrage d’Andreï Zvyaguinstev, qui signe avec Faute d’amour le cinquième long métrage d’une filmographie parfaite. En 2014, son Léviathan lui permettait de décrocher le Prix du meilleur scénario à Cannes, cette fois, ce sera le Prix du jury. Au travers de la fugue d’un enfant, ayant entendu une conversation ignoble entre ses parents sur le point de divorcer, Zvyaguinstev dépeint une Russie détraquée, incapable de s’accomplir par manque de spiritualité, aux individus éternellement insatisfaits. Par une mise en scène assurée et sobre et un scénario implacable, Faute d’amour se positionne en proposition de cinéma forte, critique bien plus subtile que le brûlot maladroit de Loznitsa avec Une femme douce. Film après film, Zvyaguinstev prouve qu’il est l’un des plus grands cinéastes russes en activité.

Pour le plaisir
Pour le plaisir, retour en Debussy pour revoir Okja. Après tout, c’est la dernière occasion de voir ce magnifique film de Bong Joon-ho dans une salle en France… Et il faut dire que le film est encore plus séduisant en étant revu : non seulement il ne perd rien de son sens du spectacle, ni de son humour, mais surtout il permet de saisir des détails qui peuvent échapper à l’issue d’un premier visionnage en festival. Cette seconde séance fut aussi l’occasion de découvrir la scène post-générique, relativement importante quant à la position du cinéaste.

Pour le plaisir, on profite une dernière fois de la terrasse presse du 4ème étage avec un verre de rosé, pour y parler cinéma mais aussi regarder les lauréats du concours quotidien de photographie.

Pour le plaisir, suite à la cérémonie de clôture, on tente de s’engouffrer à la conférence de presse du jury, et ce, avec succès. L’occasion de réaliser à quel point Pedro Almodovar fut un grand président, démocratique, puisque c’est en fondant en larmes qu’il nous avoue que 120 battements par minute, lauréat du Grand Prix, est son film préféré. L’occasion de voir une Jessica Chastain peu satisfaite de l’image véhiculée par la plupart des rôles féminins des films en compétition, à quelques exceptions près, et que Will Smith avait pour film préféré le clivant La Lune de Jupiter. L’occasion de dire au revoir à Jessica Chastain à l’issue de la conférence, la main sur le cœur, elle aussi, et d’être saisi par l’émotion.

Pour le plaisir, et grâce à un geste d’une gentillesse extrême, je me retrouve au cocktail dînatoire de fin de festival, à la Plage du Majestic et à l’Agora. Ruben Ostlund s’y trouve avec sa Palme d’Or, pose avec Jessica Chastain – finalement retrouvée ! Mais difficile de parler avec la comédienne avec des festivaliers interrompant les conversations pour des selfies. Jessica me dit que nous nous reverrons, ce que j’espère, mais pas aussi régulièrement que durant ce festival. Je lui suggère qu’elle demande à Thierry Frémaux de présider le jury dans quelques années ! Alors que nous allions parler du prochain film de Xavier Dolan dans lequel elle joue, de nouveaux convives nous interrompent pour des photos… Je la salue et plonge une ultime fois dans les bulles de champagne qui sont légion en cette fin de festival absolument parfaite.

Prochain et ultime article consacré à Cannes 2017 avec le Palmarès commenté et un bilan personnel.

Article rédigé par Dom

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