Cannes 2017 : nous ne dormons plus

Il arrive un stade au festival de Cannes où les nuits sont si courtes que les films se substituent à nos rêves. Entre ces rêves, des soirées peut-être fantasmées et des rencontres qui tiennent aussi de la douce illusion ? C’était mardi 23 mai et mercredi 24 mai 2017 avec Vers la lumière, Les Proies (photocall ci-dessus), Pour le réconfort et Une femme douce. Un peu de Jessica Chastain et d’Elle Fanning, de musique électro à la Villa Schweppes au rendez-vous de cet article.

Fantasme #01 : l’ambiance est studieuse à la terrasse presse du 4ème étage le matin du 23 mai 2017. Quelques journalistes italiens préparent leurs interviews vidéos, mais beaucoup bûchent sur leurs ordinateurs et tablettes jusqu’à ce qu’un photocall exceptionnel débute. Sur la TV, on peut y voir tous les membres du jury se réunir, mais aussi des personnalités comme Charlize Theron, Ken Loach, Oliver Stone, Guillermo Del Toro, Nicolas Winding Refn, Elle Fanning, Juliette Binoche, Isabelle Huppert, Catherine Deneuve, Costa-Gavras, … la liste n’en finit plus ! Une réunion historique, qui, certes, se prive de certaines légendes passées à Cannes – Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Quentin Tarantino, … – mais difficile de ne pas être impressionné par les 113 personnalités présentes. Entre la salle du soixantième et l’agora, c’est un véritable défilé à l’issue du photocall, extraits :

Jessica Chastain

Nicolas Winding Refn, suivi par Paolo Sorrentino

Catherine Deneuve

Cécile de France

Rêve #01 : salle du soixantième. Naomi Kawase est peut-être sur le point d’obtenir la Palme d’Or.

Avec Vers la lumière, la japonaise nous offre une œuvre sublime et bouleversante dans un milieu rarement abordé au cinéma : celui de l’audiodescription. Comment traduire en mot les formes et émotions d’un film afin que ceux privés de la vue s’y immergent ? Misako (magnifique et émouvante Ayame Misaki) est chargée de ces traductions pour White Light, et reçoit les suggestions d’aveugles lors de sessions d’écoute où le ton peut-être parfois sec, blessant. Appliquée, Misako est prise à partie par Masaya (Masatoshi Nagase), photographe qui refuse d’accepter sa cécité quasi-totale. Pour lui, renoncer à la photographie, ce serait abandonner son cœur. Dans ce film d’une sensibilité extrême, accompagnée par une bande originale toute aussi douce d’Ibrahim Maalouf, Naomi Kawase explore l’importance de l’art et de son partage universel, met en lumière une communauté délaissée par le cinéma et construit une histoire sentimentale touchante. Si le film gagnerait à peaufiner certains cadres à l’aide de machinerie – ou avec des plans fixes et non en épaule –, Kawase compose plusieurs plans baignant dans une lumière solaire capable de caresser le cœur. Entre souvenir et cinéma, elle guide ses personnages vers des sommets d’humanité. Moins contemplatif que certaines œuvres qui l’ont vu concourir en compétition officielle (comme Hanezu l’esprits des montagnes ou Still the water), ce drame d’une beauté rare devrait l’appeler à fouler le tapis rouge dimanche pour obtenir un prix majeur. « J’entends le bruit de ton cœur qui se serre », une réplique qui nous poursuivra en tout cas jusqu’à la cérémonie de clôture, tout comme les émotions d’Ayame Misaki, potentiel prix de la meilleure actrice si la Palme n’est pas obtenue.

Fantasme #02 : parfois il suffit d’un appel et de pousser une porte pour voir son programme chamboulé de la plus belle de façon, en gagnant la cour d’une maison cachée en plein centre-ville – difficile de ne pas penser à Mulholland Drive en traversant sa longue allée fleurissante – pour découvrir l’Atelier des Merveilles Ephémères. Un jardinet et une maison ouverte aux festivités, avec un bar, une salle photo et une collection de vêtements American Vintage – ainsi qu’une étrange salle à l’atmosphère jodorowskienne pour s’isoler de la musique live. Des retrouvailles entre journalistes et nouvelles rencontres permettent de lancer des débats enflammés sur cette édition cannoise mais aussi de revenir sur les précédentes avec un duel Melancholia/The Tree of Life.

Breakbot & Irfane

La nuit nous conduit vers la Villa Schweppes où Breakbot et Polo & Pan se relaient aux platines pour un set funky et psychédélique jusqu’à des horaires loin d’être raisonnables pour retrouver Sofia Coppola en compétition au petit matin…

Rêve #02 : Les Proies. Sofia Coppola a souffert des retours critiques de Marie Antoinette, alors en compétition officielle, expliquant la sélection à Un Certain Regard du mineur The Bling Ring. Un retour en compétition annonçait alors un gage de qualité qui nous frappe dès les premières minutes de ce film pictural, à la photographie léchée, digne de toiles naturalistes d’un autre siècle. Le film se déroule durant la Guerre de Sécession, dans un pensionnat sudiste qui s’apparente à un couvent : le groupe de jeunes filles, privé de liberté, semble vivre à l’abri de la guerre, dont les canons font pourtant rage au loin. L’une d’elle trouve un soldat ennemi blessé (Colin Farrell) et le conduit dans leur sanctuaire, créant le troublant en invitant le germe du désir qui appelle à la jalousie et à la violence. La présence de l’homme provoque un déraillement propre à l’éveil sexuel, convoquant The Virgin Suicides – présence de Kirsten Dunst renforçant cette sensation – et cet homme blessé et reconnaissant, qui, selon la gouvernante jouée par Nicole Kidman, doit être remis à leurs troupes au plus vite, détruit l’ennui statique du lieu – l’ennui, la matière de Somewhere avec Elle Fanning, elle aussi parmi les poupées rêveuses du film. Nouvelle adaptation du roman de Thomas Cullinan, déjà porté sur grand écran par Don Siegel, Les Proies par Coppola choisit l’épure pour se concentrer sur la rivalité entre les filles, superbes comédiennes, leur désir d’amour et de liberté. Drôle et parfois glaçant, ce drame d’une fluidité remarquable se positionne dans les petites perles de la compétition cannoise 2017.

Elle Fanning, l’étoile qui monte

Fantasme #03 : il y a de l’électricité dans l’air pour voir le casting du film de Sofia Coppola, accessible et de bonne humeur, qu’il s’agisse d’Elle Fanning, au sourire merveilleux ou bien de Nicole Kidman et de Colin Farrell, d’une classe absolue.

Rêve #03 : Pour le réconfort. Première séance à l’ACID en sept festivals de Cannes. Voilà qui est enfin corrigé en se rendant au cinéma les Arcades pour le premier long métrage de Vincent Macaigne. Dans ce drame qui flirte avec la comédie par ses dialogues, l’artiste français met en scène ses amis comédiens pour raconter avec un style direct et brut l’impossibilité de réconcilier les classes sociales. Il y a d’un côté une aristocratie touchée par les dettes et de l’autre un bûcheur aux affaires fleurissantes grâce à l’implantation de maisons de retraite. L’un jubile d’annihiler l’autre qui cherche désespérément à garder de sa superbe. Ce film crépusculaire à la lumière assez crue, en état de crise permanent, permet à Pauline Lorillard, Pascal Rénéric, Emmanuel Matte, Laurent Papot, Joséphine de Meaux et Laure Calamy de se livrer à des échanges parfois d’une grande violence. Une œuvre surprenante et désenchantée qui témoigne d’un geste de cinéaste déjà assuré. Il aurait été intéressant de rester pour le débat suivant la projection en présence de l’équipe, mais un fort retard de la séance, obligeant à sacrifier Rodin, appelle à quitter la salle dès le générique final…

Fantasme #04 : avant d’essayer de voir Une femme douce en séance de presse, saut à l’entrée des artistes où le jury devrait sortir de la séance du manqué Rodin. Bingo, Jessica Chastain est là, toujours aussi disponible et souriante. L’occasion d’échanger avec la comédienne dans le plus grand calme, de lui parler de mon penchant pour la réalisation et pour, je l’espère, peut-être une collaboration à l’avenir ? Qui vivra, verra !

Rêve #04 : Une femme douce de Sergei Loznitsa. Encore une fois en salle Debussy, les bagdes jaunes sont bien mal lotis. Placés sur les ailes du balcon, beaucoup ne peuvent pas profiter de toute la toile à cause des enceintes et de la position de l’écran par rapport à l’encadrement de la scène. Les perspectives sont faussées, et c’est un peu comme si l’on regardait un film au travers de la fenêtre d’un voisin… Quand est-ce que cette problématique sera corrigée par un réaménagement ?
Pour en venir à l’essentiel, le cinéaste ukrainien livre ici un brûlot politique qui dépeint la Russie comme un état abjecte en suivant le chemin de croix d’une femme qui souhaite porter un colis à son mari emprisonné. Toute l’administration, pourrie ou corrompue, est pointée du doigt sans jamais que la protagoniste jouée par Vasilina Makovtseva hausse le ton malgré le machisme et la bassesse des êtres rencontrés. Cette œuvre foisonnante – vaste galerie de personnages rencontrés au gré des trajets en bus, train et voiture – dénonce une nation en ruine sur le plan moral et spirituel. Dommage que le film se perd dans le démonstratif dans une longue séquence rêvée en fin de parcours, plombant lourdement tout l’acte final de ce long métrage amer.

Article rédigé par Dom

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