Critique : Ready Player One

Après nous avoir gratifié de l’excellent Pentagon Papers en janvier, Steven Spielberg est déjà de retour avec une œuvre de science-fiction dantesque, Ready Player One, adaptation du roman éponyme d’Ernest Cline. Comme l’indique très justement le slogan sur l’affiche française, voici une aventure trop grande pour le monde réel. D’une richesse inouïe, c’est un des grands moments de cinéma de l’année 2018. On vous offre un aperçu de ce monde dans une critique garantie sans spoiler.

Les clés de la félicité

L’action du film se déroule à Columbus, dans l’Ohio, en 2045. Dans un premier plan à couper le souffle, Spielberg nous plonge dans un univers désolant de pauvreté, bidonville de tours de mobiles homes d’une tristesse sidérante, sans couleur, sans horizon, sans avenir. Pourtant, tout le monde peut s’évader de ce triste quotidien grâce à l’OASIS, un univers virtuel créé par James Halliday (Mark Rylance), accessible par tous grâce à des casques de réalité virtuelle, et un équipement plus ou moins sophistiqué, améliorant l’expérience de jeu. L’OASIS représente un aboutissement en matière de monde virtuel et de jeu vidéo. A la façon d’un MMORPG, tout le monde peut y créer son avatar, modifiable contre de l’argent gagné dans cet espace où la mort n’a pas de conséquence dans le monde réel, contrairement à l’univers du noir Avalon. La mort signifie la perte des objets acquis ainsi que de son capital, capital qui peut aussi être utilisé dans le monde réel. L’OASIS a donc des enjeux économiques, comme certains jeux que nous connaissons aujourd’hui. Cette échappatoire, nous le découvrons avec Wade Watts (Tye Sheridan), dont l’espace de jeu est aménagé au cœur d’une décharge sous la tôle de plusieurs carcasses de voiture. Lorsque le spectateur entre dans cet univers incroyable, toute la communauté est en ébullition, car lors de la mort de James Halliday, survenue il y a quelques années, le célèbre créateur a lancé un défi, celui de découvrir l’easter egg – une fonctionnalité cachée – au cœur de ce domaine qui semble sans limite, car exploitant l’imagination de ses utilisateurs. Ultime récompense, gagner toutes les actions de James Halliday, représentant plusieurs milliards de dollars, ainsi que le contrôle de l’OASIS. Un easter egg qui ne peut être découvert qu’après avoir trouvé trois clés dans des épreuves cachées, la première étant de terminer une course automobile où la ligne d’arrivée semble impossible à atteindre.

Dans l’OASIS, Wade est Parzival, un jeune homme à l’apparence humaine, évoluant hors clan avec son ami Aech, créature imposante qui œuvre dans un atelier pour réparer et créer de nouveaux éléments dans le jeu. La société IOI, dirigée par Nolan Sorrento (Ben Mendelsohn), fait partie de ces groupes s’enrichissant grâce à l’OASIS, au travers d’objets et services. Sorrento n’a qu’un désir, s’emparer de cet univers afin de maximiser ses profits. Il est donc à la tête d’une unité de joueurs recrutés pour trouver les clés, baptisés les sixers pour leur numéro à six chiffres leur servant de pseudonyme anonyme, tout comme leur apparence standardisée de soldat. Lors d’une course, la rencontre d’Art3mis, joueuse célèbre, va chambouler le quotidien et la quête de Wade, qui le conduira vers des dangers inattendus. Ready Player One est un film ahurissant par sa maîtrise technique, conjuguant cinéma « classique » au cinéma numérique, avec un tournage en 35 mm pour les séquences dans le monde réel et des caméras numériques pour l’OASIS. D’ailleurs, afin de définir ses plans, Steven Spielberg a enfilé un casque de réalité virtuelle afin de se déplacer dans ses décors, et il se permettra dans le film de rendre la frontière entre fiction, réalité et jeu poreuse dans des séquences géniales et inédites. Mais c’est aussi une œuvre hallucinante par ce qu’elle condense au cours de son aventure drôle, impressionnante et émouvante, soit plus de 30 ans de pop culture, faisant cohabiter des dizaines – centaines ? – d’univers au cœur de l’OASIS. Ne gâchons rien dépassant les bandes annonces en s’arrêtant à quelques véhicules : Art3mis pilote la célèbre moto de Kaneda dans Akira, Aech s’est porté sur un imposant Monster Truck qui semble sorti du jeu sur Nes, tandis que Parzival est derrière le volant de la fameuse DeLorean de Retour vers le futur – et c’est d’ailleurs Alan Silvestri qui signe l’excellente bande originale du film. Les créatures, objets et artefacts de notre enfance côtoient les éléments les plus modernes dans un univers loin d’être hétérogène grâce à sa direction artistique soignée.

Ready Player One s’inscrit dès son point de départ dans une logique anticapitaliste, mais derrière cette thématique, le film traite aussi du bonheur et de l’amitié – et du bonheur de l’amitié. On sent bien que James Halliday n’a jamais été heureux malgré le succès de son projet, personnage dans lequel Mark Rylance ressemble à s’y méprendre au Steven Spielberg des années 1970. Halliday a créé un univers héritant des joies de la culture de son adolescence, des jeux vidéo à la musique – hormis la B.O. de Silvestri, tous les morceaux du film piochent dans le répertoire des années 1980, offrant au film une merveilleuse patte rétro-futuriste. Les clés à trouver dans l’OASIS sont en quelques sortes les clés de l’épanouissement, les épreuves, ancrées dans l’intimité du créateur, sont des étapes avant un ultime défi, d’ordre moral, aux enjeux humains et économiques colossaux. Là où échouaient artistiquement ou idéologiquement des films tels que Sucker Punch, A la poursuite de demain ou encore Assassin’s Creed, Ready Player One excelle, dans sa capacité à abattre toutes les frontières entre monde réel et monde virtuel avec une fluidité fabuleuse, et ce, sans tenir de discours réactionnaire. Malgré certains petits défauts narratifs, Ready Player One déploie un spectacle ahurissant doté d’une énergie galvanisante, où une forme de candeur enfantine lutte contre la noirceur d’un système en crise. C’est la version moderne des films d’aventure que Spielberg a toujours su nous conter, avec son casting attachant, c’est aussi une nouvelle preuve qu’un cinéma hybride, héritant quelque part d’Avatar de James Cameron, peut aussi briller de mille feux. Les clés d’une telle réussite semblent pourtant hors de portée des superproductions hollywoodiennes, elle demande des moyens évidemment, une dose d’originalité, mais surtout beaucoup d’amour et un regard de cinéaste où bat toujours un cœur d’enfant émerveillé.

4.5 étoiles

Nota bene : découvert en 2D au Publicis à Paris lors d’une projection presse, Ready Player One sera exploité aussi en salle en IMAX, IMAX 3D et 3D. C’est un conseil rare, mais si vous disposez d’un cinéma diffusant dans des conditions adéquates les films en 3D, c’est cette version que je recommande car la mise en scène de Spielberg a tellement été pensée en fonction de ce procédé que l’expérience du film en sera encore plus folle.

 

Ready Player One

Film américain
Réalisateur : Steven Spielberg
Avec : Tye Sheridan, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn, Lena Waithe, T.J. Miller, Simon Pegg, Mark Rylance, Philip Zhao, Win Morisaki, Hannah John-Kamen
Scénario de : Zak Penn et Ernest Cline, d’après le roman « Ready Player One » d’Ernest Cline
Durée : 140 min
Genre : Science-fiction, Aventure, Action
Date de sortie en France : 28 mars 2018
Distributeur : Warner Bros. France

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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2 commentaires

  1. C’est assez rare et je préfère donc le mentionner, je suis en désaccord avec ton avis sur ce film. Je suis allé le voir avant hier avec mon frère en 3D (suivant ainsi ta recommandation finale) en VOST naturellement. Je précise que je n’étais pas seul car nos avis étaient similaures en sortant du ciné et je pense donc que ce n’était pas simplement moi qui n’ait pas réussi à entrer dans le film. J’en attendais probablement trop.

    Attention mini spoilers inside. J’ai épuré au possible mais je fais référence à certains moments de l’histoire.

    Je ne produirai pas un avis aussi argumenté que le tien, mais pour faire court, j’ai l’impression que Steven S. a voulu placer un maximum de références mais a oublié de faire un film au passage. La scène d’intro est effectivement visuellement impactante, mais bon sang que le ressenti est plat. Le héros nous parle pendant 5 minutes pour replacer le contexte et expliquer que l’humanité a arrêté d’essayer de résoudre les problèmes pour se contenter de survivre. J’adore cette phrase qui nous fait notamment comprendre qu’il y a eu des soucis écologiques notamment qui ont amené le monde à vivre autrement et c’est ce qu’on nous montre avec la scène d’intro. Le problème -énorme selon moi- est qu’on n’y fait absolument pas référence après et qu’à la moitié du film, on a l’impression qu’il suffisait de traverser la rue pour retrouver une ville comme on les connaît. Il y a de la lumière, personne ne semble mourir de faim, c’est à se demander à quoi faisait référence Wade dans son intro.

    Au chapitre du manque de cohérence ou du manque d’explication : de quoi vit Wade ? On ne le voit pas travailler ou étudier, il ne zone pas non plus, il a même de quoi se payer son casque de réalité virtuelle, un petit hangar, l’électricité nécessaire pour faire tourner tout ça (alors même que le monde est en crise). C’est peut-être un détail, mais au final c’est primordial à mon sens, car ces éléments sont censés expliquer pourquoi les gens se réfugient dans OASYS. Là je n’ai pas compris l’intérêt du truc.

    Petit mot sur les acteurs. Je n’ai rien contre la team des gentils. Mais le méchant (Nolan Sorrento) est caricatural au possible. Le mec est bête et méchant. Son côté mi bad boy mi comique aseptise grandement un rôle primordial pour mettre en valeur le héros. Au lieu de cela, ce dernier se bat plus contre une organisation que contre son leader. Je ne pense pas qu’il sera nécessaire de revenir sur l’importance d’un bon méchant dans un film. Celui-là me semble raté. D’ailleurs petite question : pourquoi est-ce qu’à la fin quand il a l’occasion d’utiliser son arme ne le fait-il pas ? Est-il ému par les larmes de joie du héros ?
    Autre souci, le créateur du jeu. Là aussi ils en ont fait un mec complètement mou et autiste. J’ai trouvé le jeu d’acteur vraiment mauvais sur ce coup-là. Le mec a l’air de chialer chaque fois qu’il va parler. Difficile de l’associer aux grands noms du numérique qu’on connaît.

    Bon les gentils, j’ai dit que je n’avais rien contre eux mais je suis très étonné de l’ami Steven qu’il nous propose des personnages avec si peu d’envergure. Tout le monde est plat. Et puis le pompon : Samantha a un problème dans la vie ce qui la rend un peu sauvage. Oui Samantha a quelque chose que tu ne souhaites à personne. Es-tu assis ? As-tu couché les enfants ? Samantha a une tâche de naissance sur le visage ! Du coup elle est complexée et en a gros. Bon quand on a dit ça, on a tout dit de la profondeur de développement des persos.

    Pour terminer, ok les animations sont bien, il y a de l’idée, la scène de danse est géniale par exemple, celle avec le film de Kubrik également. Mais ces intentions sont totalement gâchées par une injection à haute dose de références en tout genre qui finissent par polluer et l’intrigue et la finalité du film. Pour conclure, je dirais que j’ai eu l’impression de voir un film fait par un quinqua qui voulait faire jeune et qui au final ne parle pas de grand-chose.
    Ready player one n’est pas une fable écolo, ce n’est pas non plus une charge contre un modèle économique critiquable (que ce soit le pay to win pour les jeux video ou l’acquisition de données personnelles à des fins de revente pour les réseaux sociaux), ce n’est pas un bon film d’aventure non plus, c’est un mauvais film servi par une réalisation honnête et des effets spéciaux au goût du jour. Je ne lui prédis pas un grand avenir et je m’étonne grandement des notes que je vois sur différents sites.

  2. Salut Madus.
    Merci pour ton commentaire. Attendre trop d’un final est rarement bon.
    Alors du coup, moi aussi je vais devoir spoiler un peu, donc je vais l’écrire en gros :

    ATTENTION SPOILERS !

    – Pourtant, dans l’autre partie de la ville où vit Samantha, bien qu’on y voit un marché, tout reste très pauvre, sale voire insalubre. En fait la ville entière est ainsi hormis le centre-ville quand Sam s’échappe des locaux de IOI.

    – Tout n’est pas expliqué dans le film car il faut aussi que le récit avance. On le voit dans le film plus tard mais l’argent virtuel gagné dans l’OASIS peut servir dans le monde réel, l’économie du jeu est poreuse avec l’économie du monde réel. On peut supposer qu’à partir de là, Wade étant un bon joueur, il gagne suffisamment sa croute dans le jeu. De plus, il n’est pas dans un hangar mais dans un local aménagé dans une casse dans des carcasses de voiture, il semble alimenter son système de jeu avec une batterie, et il début avec un équipement rudimentaire avant de gagner la course. On voit bien que même les plus pauvres du bidonville jouent. Au final, en 2045, les casques de VR sont aussi accessibles que les téléphones portables pour nous aujourd’hui.

    – Sorrento est assez archétypal et presque caricatural parfois oui, mais dans ses maladresses nait une certaine humanité, un équilibre. A la fin, il voit l’oeuf dans le casque de Wade, et quelque part, je pense qu’il est ému de voir quelqu’un avoir réussi, ce qui en révèle aussi un peu plus sur sa vraie nature.
    Pour Mark Rylance j’aime beaucoup comment il campe le personnage de James Halliday, il en dégage une vrai vulnérabilité très touchante – je trouve que la scène dans la chambre quand Wade a réussi sur Adventure est magnifique et émouvante.

    – Oui, la troupe de gentils (assez stéréotypée) est composée de personnages sans profondeur, mais la machine fonctionne à l’énergie et au charisme. Est-ce que le développement des personnages est nécessaire à tout film ? C’est une donnée qu’on impose de plus en plus, qui rapproche beaucoup de films de la littérature, ou pire, qui font ressortir l’objet du scénario sur le film en tant que tel.

    Pour revenir sur les références, majoritairement des années 80 et 90, bien que l’on trouve des éléments que nous connaissons plus contemporains, c’est une sorte de refuge. Une époque où la vie était plus simple, qui a marqué James Halliday, et dont ce sont épris ses fans.

    Aucun film ne peut plaire à tout le monde, mais peut-être que tu devrais lui redonner une chance plus tard ?

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