Critique : Beau is afraid

Pour son troisième long-métrage, Ari Aster, à qui l’on doit Hérédité (2018) et Midsommar (2019), s’écarte de l’horreur « pure » pour composer un voyage hallucinogène, exploration exacerbée des angoisses d’un homme campé par un Joaquin Phoenix fantastique. Malgré des signes de faiblesse dans sa dernière partie, cette odyssée de trois heures tient du film exceptionnel.

Vivre dans la peur

Un cauchemar prodigieux. C’est ce qui vient à l’esprit face à la première partie de Beau is afraid qui, certes, nous protège – et nous aiguille – dans ses premiers instants : d’abord la naissance de Beau, avec l’angoisse d’une mère qui n’entend pas le bébé crier. Et un saut temporel de plus de quarante ans : la veille de partir en visite chez sa mère, Beau reçoit un nouveau traitement pour ses angoisses de la part de son psychiatre. Le retour à son domicile nous plonge dans un univers urbain délirant et terrifiant, une vraie jungle où l’on laisse un cadavre pourrir au beau milieu de la route, où un homme armé d’un surin assassine impunément, tandis qu’un autre danse torse-nu sans se soucier du chaos ambiant. Un appartement à peine plus réjouissant, avec ce voisin étrange qui, tout au long de la nuit, glisse des mots pour se plaindre de la musique provenant de chez Beau, alors que le calme règne. Le réveil tardif et un vol de clé mettent en péril le voyage de notre protagoniste, qui appelle alors une mère déçue, lui donnant un unique conseil. D’aucuns diront que le film aurait mérité de s’arrêter au chapitre suivant, où Beau se retrouve accueilli par une famille dont le fils aîné est mort en mission avec l’armée – une famille qui accueille sur sa pelouse un frère d’armes campé par un Denis Ménochet aussi hallucinant –, mais ce serait alors brider cette œuvre à la construction atypique – avec une structure ascensionnelle jusqu’à sa moitié ou presque, pour ensuite explorer une dynamique plus modérée, et donc, décroissante en intensité. Oui, il y a des éléments véritablement décevants dans la dernière ligne droite de Beau is afraid, une confrontation qui tourne au combat puéril et statique, mais le statisme est un élément important dans cette œuvre qui convoque des auteurs tels que Kafka, Freud, ou pour donner quelques cinéastes, Lynch et Miike.

Concentré sur les rapports entre un fils et sa mère ainsi que leurs conséquences, le troisième long-métrage d’Ari Aster construit une tragédie familiale avec des actes parfois des plus troublants, comme lorsque Beau tente d’appeler à nouveau sa mère après avoir manqué son avion. Il y a l’effroi que l’on connaît déjà avec les précédentes œuvres du cinéaste, ces moments terribles, mais au rayon des nouveautés, un humour détonant, émanant de situations qui conjuguent justement l’horreur avec l’absurde – la scène de la baignoire à l’appartement, pour n’en citer qu’une. La navigation sans complexe entre les tons témoigne d’un cinéaste libre d’exprimer ses idées les plus folles, et qui a trouvé le parfait comédien pour évoluer dans les situations les plus aberrantes. Sonné, délirant, épouvanté ou blessé, Joaquin Phoenix exprime un état de détresse qui touche au génie. Son personnage, victime de la plupart des interactions avec autrui, est aussi le moteur de cette virée incongrue qui déterre les moments-clés de son passé, comme un amour juvénile perdu, et même des moments qui n’ont pas encore eu lieu, comme lorsque le personnage sera amené à vieillir « virtuellement ». D’un bout à l’autre, d’une scène impossible à la suivante, on s’interroge forcément sur le point capital de la réalité : où s’arrête-t-elle ici ? Peut-être qu’elle ne tient aucune place ! On pense parfois à Inherent Vice (2014) de Paul Thomas Anderson où la marijuana poussait le personnage de Joaquin Phoenix dans des états de confusion fabuleux.

Si l’on peut tirer une leçon simple, détachée de tout caractère psychanalytique, c’est probablement qu’il faut tout faire pour ne pas vivre dans la peur. Celle qui paralyse, tétanise, et empêche au destin de prendre forme. Il y a bien sûr un regard désabusé sur la société américaine au travers de la galerie de personnages rencontrés, mais Beau is afraid invite surtout à vivre en se libérant du poids des angoisses, et ce, par soi-même. Très démonstratif dans son ultime séquence, le nouveau Ari Aster ne reste pas moins une sacrée expérience cinématographique – si vous n’avez pas peur d’y consacrer trois heures.

4 étoiles

 

Beau is Afraid

Film américain
Réalisateur : Ari Aster
Avec : Joaquin Phoenix, Zoe Lister-Jones, Denis Ménochet, Amy Ryan, Nathan Lane, Stephen McKinly Henderson, Patti LuPone, Parker Posey, Armen Nahapetian
Scénario de : Ari Aster
Durée : 179 min
Genre : Drame, Comédie, Fantastique
Date de sortie en France : 26 avril 2023
Distributeur : ARP Sélection

 

Photos du filmCopyright Mommy Knows Best LLC / Takashi Seida

Article rédigé par Dom

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Un commentaire

  1. Pas du tout adhéré à ce cauchemar paranoïaque et shyzo. Surtout parce qu’il y a trop de scènes « gratuites », qui posent des questions et/ou des indices fantoches sans que cela amène nulle part. Assurément original, audacieux mais inabouti et trop foutraque

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