Critique : Misanthrope

Nous avions découvert le cinéaste argentin Damián Szifron dans le féroce et désopilant Les Nouveaux sauvages. La sauvagerie montre un autre visage ici puisque Misanthrope suit les forces de l’ordre de Baltimore à la poursuite d’un tueur de masse. Un thriller prenant, bien que sa mécanique soit imparfaite.

Armes fatales

Pour son premier film américain, Damián Szifron avance sur les sentiers du thriller animé par la traque d’un tueur en série. Seulement, il se distingue de ses pairs en choisissant un profil particulier moins abordé au cinéma, celui du tueur de masse. Un miroir tendu face à une ignoble réalité, puisque plusieurs centaines de tueries de masse se déroulent chaque année aux Etats-Unis – à l’heure actuelle, 199 pour l’année 2023. L’effroi provoqué par l’ouverture de Misanthrope est amplifié par ces événements réels, quand le quotidien sombre dans l’horreur pure. L’action du film débute la veille du nouvel an à Baltimore, où la ville est en fête, et c’est justement en profitant de la couverture sonore offerte par les feux d’artifice qu’un individu va abattre froidement plusieurs dizaines de personnes avec un fusil sniper. Niché quelque part en ville, le tueur peut choisir des cibles à des distances qui empêchent toute intervention de la police. Ce premier chapitre, à la mise en scène dynamique, nous place aux côtés d’une policière au profil singulier – loin de tout héroïsme basique, mais démontrant de la bravoure qui recouvre un véritable mal-être –, Eleanor Falco, campée avec force et sensibilité par Shailene Woodley. Une policière qui sera choisie comme agent de liaison avec le FBI, malgré sa jeunesse ainsi qu’un obscur passé, marqué par un échec à l’examen d’entrée au service fédéral.

Alors qu’il dessine les contours de sa protagoniste, Misanthrope nous lance sur une traque qui provoquera de nombreuses victimes collatérales, la faute à des choix politiques bridant le travail de l’agent du FBI en charge, Geoffrey Lammark – joué par un Ben Mendelsohn qui contrairement à Woodley, ne se montre pas systématiquement juste dans son approche des dialogues. En plaçant son enquête à ce niveau, Szifron développe un versant politique qui soulève d’autres maux, des tristes bavures policières aux agissements de groupuscules d’extrême-droite, en passant par le rôle souvent néfaste des médias. Un point d’autant plus intéressant que le profil du tueur insaisissable reste encore vague même si Falco est convaincue d’avoir laissé échapper quelque chose avec les premières interpellations. Après nous avoir plongé une seconde fois dans un carnage abordé différemment dans sa mise en scène, mais tout aussi effroyable, Szifron cédera du terrain sur le plan de la logique et même de la crédibilité, pour nous permettre de dévoiler sa figure du crime dans une confrontation bien bavarde. Malgré ces éléments qui ternissent la deuxième partie de ce thriller, le réalisateur et scénariste parvient à une conclusion marquée par l’amertume si incisive dans ces affaires où, au final, tout le monde perd. Quant à la prolifération des armes au pays de l’Oncle Sam, aucune remise en question du sacro-saint deuxième amendement n’est soulevée au cours de cette sombre affaire : sur ce point aussi, Szifron se montre des plus lucides.

Photos du film Copyright Metropolitan FilmExport