Critique : Blonde

Projet à la gestation longue et douloureuse, Blonde d’Andrew Dominik, adaptation du fabuleux roman éponyme de Joyce Carol Oates, a enfin réussi à voir le jour, en trouvant pour distributeur Netflix. Un distributeur qui a sans aucun doute fortement influencé le résultat final de ce film oscillant entre la calamité et, plus rarement, la sublime fibre tragique du roman, mais certains écueils relèvent de choix du réalisateur.

La Belle et la meute

Publié en 2000, Blonde n’est pas une biographie de la vie de Marilyn Monroe, mais une fiction s’appuyant sur les grands traits de sa vie pour aboutir à une œuvre captivante et tragique. Joyce Carol Oates s’empare des zones d’ombre non pas pour y ajouter les ingrédients d’un conte de fées, chose que n’était pas la vie de celle qui était née son le nom de Norma Jean Mortenson, mais pour y rajouter de la douleur – sans gratuité, pour dresser le portrait d’une femme prise dans les mailles du système hollywoodien, produit fabriqué pour plaire à des hommes, plus ou moins vils et violents, et qui ne cesseront de la décevoir. Avec le soutien de Brad Pitt comme producteur, Andrew Dominik était déjà en pré-production du film en 2012, avec dans le rôle de la célèbre actrice Naomi Watts. Deux ans plus tard, sans le moindre coup de clap, Jessica Chastain devait hériter du rôle. Et c’est finalement la Cubaine Ana de Armas qui se glisse dans sa peau en 2019. Un rôle qui lui va comme un gant, car si la ressemblance physique a été recherchée, elle bénéficie de cette marge offerte par le double rôle, celui de Norma Jean, que peu connaissaient, et celui de Marilyn Monroe, que tous pensaient connaître. Si parfois on se demande d’ailleurs si ce n’est pas elle, la vraie Norma Jean, à d’autres moments, on est surpris de voir de flagrantes différences. Mais l’essentiel est bien là : Ana de Armas nous emporte dans ce maelström où le succès se montre amer et les grandes figures masculines de ce destin si détestables. On notera que sa diction et son accent sont des plus troublants, car si proche de Monroe : Andrew Dominik a avoué qu’à l’issue de projections tests, face au mécontentement de spectateurs qui détectaient toujours l’accent cubain, la voix de la comédienne a été retouchée en post-production. Qui sait, demain, nous verrons peut-être Vincent Macaigne échanger dans un japonais parfait avec Takeshi Kitano. On arrête pas le progrès.

Trêve de plaisanterie, il n’y a rien à reprocher à l’actrice qui brille dans A Couteaux tirés (2019) de Rian Johnson ou encore Mourir peut attendre (2021) de Cory Joji Fukunaga, elle est d’ailleurs la seule constante dans cette œuvre tiraillée entre mauvais goût et idées brillantes. Le plus dur se niche dans les premiers chapitres, et parasite quasiment la moitié de ce film flirtant avec les trois heures. L’enfance, avec ce père absent et cette mère souffrant de problèmes psychiatriques, se montre particulièrement artificielle et désincarnée. Lors la séquence de l’incendie de 1933 à Los Angeles, même le feu sonne « faux ». Le film se montre d’ailleurs particulièrement raté sur le design sonore, mais d’un autre côté, la musique de Nick Cave et Warren Ellis apporte un certain contrepoids, certes insuffisant pour apprécier pleinement l’expérience du film. Autre point irritant, les changements réguliers de format d’image, qui semblent aléatoires, dénués de rapport avec le récit ou l’état psychologique de notre héroïne. On en dénombre quatre différents au cours de ce long métrage qui se déroule majoritairement au format 1.37:1 et majoritairement en couleurs – il n’y a guère de sens à chercher dans l’emploi ou non du noir et blanc non plus. Encore plus morcelé que dans le dense roman d’origine, Blonde rebutera probablement celles et ceux qui n’auront jamais parcouru la véritable biographie de la comédienne, à défaut de connaître le roman. Toute la partie se consacrant au premier homme célèbre dans sa vie, « l’ancien athlète » joué par Bobby Cannavale – une particularité de l’œuvre d’origine est de ne pas nommer certains hommes qui ont partagé la vie de Marilyn Monroe – continue à dérouler des scènes sans aucune dynamique, où la dramaturgie ne gagne jamais d’ampleur. Un manque de vie et de fluidité, malgré de nombreuses séquences avec une approche singulière. On passera aussi sous silence la niaiserie absolue de quelques scènes avec un fœtus…

Il faut atteindre New-York pour que Blonde trouve son souffle cinématographique, que ses idées se concrétisent enfin par des émotions, lors de la rencontre avec « le dramaturge » campé par un touchant Adrien Brody. Enfin, quand le bonheur semble frapper à la porte de Norma Jean, quelque chose se produit ici, car il s’agit encore d’un bonheur fragile. Si le profil masculin s’avère fort différent, la déception sera d’une autre teneur. C’est aussi à partir de là, à force de chagrins, et d’usure dans cette quête de la figure paternelle introuvable, que le rapport entre Marilyn Monroe, cette création que doit porter Norma Jean, et un public masculin libidineux, devient vertigineux, épouvantable. Il y a déjà auparavant la fameuse scène de la robe blanche soulevée par la grille d’aération, mais elle se trouve engoncée dans les séquences les plus fades. A ce stade, lorsqu’elle se rend à l’avant-première de Certains l’aiment chaud et que Dominik nous met au plus près d’elle, la masse d’hommes n’est qu’une meute de prédateurs, dont certains, aux mâchoires difformes, effraient. Blonde, c’est l’avènement d’une créature fantasmée, Marilyn, qui étouffe la femme qui lui donne vie, Norma. Et aucun amant ne lui offrira le salut. Les derniers mois de sa vie tournent au cauchemar, qui évoquent autant Mulholland Drive (2001) que les derniers instants d’Elephant Man (1980) de David Lynch. La création d’Andrew Dominik laisse un arrière-goût amer, la tragédie a été jouée, mais sains atteindre le grand film espéré.

2.5 étoiles

 

Blonde

Film américain
Réalisateur : Andrew Dominik
Avec : Ana de Armas, Bobby Cannavale, Andrien Brody, Julianne Nicholson, Sara Paxton, Caspar Phillipson, Xavier Samuel, Evan Williams
Scénario de : Andrew Dominik, d’après un roman de Joyce Carol Oates
Durée : 167 min
Genre : Drame, Biopic
Date de sortie en France : 28 septembre 2022
Distributeur : Netflix France

 

Photos du film Matt Kennedy / Netflix

Article rédigé par Dom

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