Critique : Roma

Attendu à Cannes mais comptant parmi les victimes distribuées par Netflix, Roma d’Alfonso Cuarón aura eu sa revanche à Venise où il décroche le Lion d’Or. Pourtant, ce projet de longue date et d’envergure se montre assez faible en comparaison avec ses dernières œuvres. Explications.

Souvenirs mécaniques

En 2006, Alfonso Cuarón a renversé tout le monde avec son chef opérateur Emmanuel Lubezki dans le thriller de science-fiction Les Fils de l’homme, avec ses plans-séquences haletants. Il faut ensuite attendre 2013 pour une nouvelle œuvre de science-fiction rare, spatiale cette fois, avec Gravity. Et depuis toutes ces années un projet traînait dans la tête du cinéaste mexicain, un projet bien plus personnel, celui de raconter le Mexico de son enfance, de son quartier : Roma. Pour ce long métrage, la collaboration avec Emmanuel Lubezki connaît une halte – pour des raisons d’agendas visiblement ? Or, tous les grands cinéastes travaillent avec de grands noms des différents pôles : image, décor, design sonore, maquillage, costume, … On a tendance à s’incliner devant les réalisateurs mais chaque film est le fruit d’un travail d’équipe où chaque élément joue un rôle dans le résultat final. En prenant la casquette de chef opérateur, Cuarón renie la force de ses précédents films, adoptant un dispositif profondément nuisible au récit, en privilégiant des mouvements panoramiques détachés des protagonistes – la plupart du temps. Amoureux de courte focale – on ne va pas le critiquer là-dessus –, le cinéaste mexicain livre alors une succession de plan auxquels on semble assister au travers d’une caméra de vidéosurveillance – certes, une Alexa 65 mm –, détachée des agissements et émotions des personnages. Ce sont donc les plans fixes, ou les plans s’achevant sur un cadre fixe, qui s’avèrent les plus forts dans Roma. Un comble pour un cinéaste dont la réputation s’est forgée grâce au mouvement, aux plans-séquences dont le réalisme dépasse l’entendement.

Mettant en scène avant tout des amateurs, Roma a pour ambition de suivre une domestique sur une période d’un an au début des années 1970, période tumultueuse pour Mexico – violentes manifestations des étudiants – mais aussi pour la famille pour laquelle travaille Cléo (Yalitza Aparicio). Antonio, le père de cette famille de quatre enfants partira en voyage d’affaires pour ne jamais revenir. Sofia (Marina de Tavira) se retrouve donc seule malgré les deux domestiques, et Cléo est aussi victime de la lâcheté masculine : le viril Fermin l’a fait tomber enceinte et a pris la fuite à l’instant où la nouvelle lui a été confiée. Mais Cléo a la chance de travailler dans un foyer bienveillant, sa grossesse ne sera pas un motif de renvoi ni de punition. Ainsi Roma progresse de micro-événements en micro-événements, suivant le quotidien de cette jeune indigène et de cette famille à l’équilibre troublé. Une succession de souvenirs mécaniques soulignant aussi les disparités raciales. Quelque part, au-delà de sa reconstitution historique, le film met en lumière une forme de solidarité féminine face à la petitesse des hommes, leur capacité à démontrer leur habileté – garer une large voiture américaine sous un porche – ou leur puissance – l’entraînement à ciel ouvert aux arts martiaux – n’étant que des attributs sans valeur quand les sentiments sont absents.

Malgré certaines qualités historiques, narratives et émotionnelles, Roma achoppe continuellement par sa forme, qui laisse supposer que Cuarón a voulu se frotter à l’ampleur inouïe de la mise en scène de Fellini, capable de jouer avec le premier plan et l’arrière plan avec une multitude de personnages en mouvements, avec une caméra également en mouvement, telle une danse enivrante. Jamais le balayage de caméra auquel s’adonne le réalisateur mexicain ne génère ici une émotion, mettant au contraire l’accent sur l’artifice du cinéma, alors que maints efforts furent nécessaires pour reconstituer un Mexico d’un autre temps. Deux ou trois séquences très fortes donnent un éclat au film, ainsi que la volonté de mettre à l’image une population indigène en respectant leur langage, mais dans sa symbolique, Roma s’alourdit dans une pesanteur qui fait écho au dernier plan de Gravity : voilà un cinéaste qui est retombé sur Terre. Vivement son prochain décollage.

3 étoiles

 

Roma

Film mexicain, américain
Réalisateur : Alfonso Cuarón
Avec : Yalitza Aparicio, Marina de Tavira, Nancy Garcia, Veronica Garcia, Daniela Demesa, Fenarndo Grediaga, Jorge Antonio Guerrero, Marco Graf, Diego Cortina Autrey, Carlos Peralta
Scénario de : Alfonso Cuarón
Durée : 135 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 14 décembre 2018
Distributeur : Netflix France

 

Article rédigé par Dom

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