Critique : Okja

Dès son premier long métrage, Memories of Murder en 2003, Bong Joon-Ho s’est érigé en figure majeure du cinéma coréen. Depuis ce thriller, une poignée d’œuvres marquantes, The Host, Mother, Snowpiercer ainsi qu’un excellent segment dans le triptyque Tokyo !. Produit et distribué par Netflix, son nouveau film, Okja, témoigne d’une ambition immense au service d’une idéologie admirable, portée sur des valeurs humaines et écologiques. C’était l’un des événements du Festival de Cannes 2017, reparti les mains vides, et pourtant, c’est sans nul doute une des plus belles œuvres que nous pourrons voir cette année. Cap sur la Corée du Sud et New York pour une aventure exceptionnelle.

Bras de fer alimentaire

Okja est le nom d’un super cochon, celui dont s’occupe la jeune Mija (Ahn Seo-Hyun, révélation du film) depuis son enfance avec son grand père, dans la montagne verdoyante coréenne, au cœur d’une nature qui prospère à l’abri du tohu-bohu des mégalopoles – lorsque Mija débarquera à Séoul, il suffira d’un raccord pour rompre violemment avec la quiétude de ce cadre idyllique. Mija et Okja sont liées par une relation d’une tendresse touchante, il y a de l’amour entre ces deux êtres. Ce qu’ignore Mija, c’est que l’animal qu’elle promène et soigne au quotidien ne leur appartient pas, Okja est la propriété du groupe agro-industriel Mirando – alter ego du monstrueux Monsanto donc –, et ces derniers pourraient récupérer l’animal à l’issue d’un concours d’élevage afin de présenter l’animal au monde entier comme le symbole de la parade aux problèmes d’alimentation affectant des millions de personnes. Dans une introduction dynamique, se déroulant dix ans plus tôt, Lucy Mirando (géniale Tilda Swinton) nous présente tous les enjeux de ce concours : un super cochon, découvert au Chili, pourrait être la solution ultime à la famine croissante. Grâce à cette créature tout à fait naturelle – inutile de préciser que tout n’est que mensonge –, le monde de demain pourrait être meilleur. Ainsi, vingt-six éleveurs, répartis un peu partout sur la surface du globe, se sont vus confier un super porcelet afin de l’élever à leur façon jusqu’en 2017, où sera désigné le grand gagnant. Malheureusement pour Mija et son grand-père, Okja est la plus belle des créatures, celle qui rejoindra New-York pour une présentation en grande pompe de ce nouveau produit destiné aux bouches carnassières. Lorsqu’Okja est emmenée en transit à Séoul, Mija n’a plus qu’un objectif en tête, récupérer son animal chéri.

Okja réunit l’intimisme et le grand spectacle avec maestria. A partir d’une relation entre une adolescente et un super cochon – sorte d’hippopotame en CGI, loin des sommets en matière d’effets spéciaux mais suffisamment beau pour y croire –, Bong Joon-Ho confronte deux extrêmes, celui d’un groupe capitaliste, visant un profit aveugle au détriment de tout sentiment et dans le plus grand mépris du respect de la vie animale, et celui d’un groupe d’activistes écolos, les membres du Front de Libération des Animaux, avec à leur tête Jay (Paul Dano). Lors de sa folle course dans les rues de Séoul, Mija se verra aidée par ce groupe intervenant de façon pacifiste, mais pourtant, elle se retrouvera instrumentalisée par ces derniers qui utiliseront Okja pour découvrir ce que cache la société Mirando derrière ses promesses éblouissantes. Une instrumentalisation qui conduira, en réponse, le groupe Mirando à neutraliser une polémique lors de la récupération musclée du super cochon et l’arrestation de Mija : la société ne peut que gommer cette bévue en exploitant cette enfant, en orchestrant des retrouvailles entre Mija et Okja au cœur de New York. L’intelligence du film, qui penche bien entendu du côté des écologistes, est de développer son récit avec des personnages complexes, sans être manichéen. On comprend tout à fait la démarche de Lucy Mirando, qui vient de reprendre les rênes de la société, alors tenue par sa sœur (aussi jouée par Tilda Swinton), et qui, auparavant, était dans les mains de leur ignoble père. L’image d’une femme de pouvoir, forte, qui masque fragilité et manipulation – homme de l’ombre qui tire les ficelles, le discret Frank Dawson, parfaitement casté en la personne de Giancarlo Esposito, figure de pouvoir terrifiante dans les séries Breaking Bad et Better Call Saul. Jay aussi sera victime des siens et tournera le dos, dans un accès de colère, à ses propres valeurs. Autre figure notable, le guignolesque Docteur Johnny Wilcox (Jake Gyllenhaal), totalement exploité et perverti par Mirando, véritable marionnette médiatique déchue.

Grâce à quelques séquences d’action fabuleuses, parfois orchestrées avec des airs que ne renieraient pas Emir Kusturica, Okja délivre son message avec une énergie dingue, dont l’urgence contraste avec le calme foyer coréen perdu. C’est aussi au travers d’une foule de détails qu’Okja prend une position militante des plus louables. Au début du film, lorsque Mija pêche des poissons pour le repas, l’adolescente remettra à l’eau un poisson encore trop petit pour être consommé. De même que son grand père refuse d’acheter une nouvelle télévision tant que le poste vieillissant répond toujours à sa fonction. Okja appelle à quitter l’hystérie de la sur-consommation, à adopter un style de vie plus écologique. Bong Joon-Ho n’appelle pas à devenir végétarien, mais à réduire sa consommation de viande. Le dernier segment du film, dans un abattoir, est si effroyable qu’il tisse une analogie entre la condition de ces animaux élevés pour terminer dans nos assiettes avec l’horreur des camps de concentration. Il est impératif que nous, consommateurs, changions notre comportement pour construire un monde plus sain, pour nous, pour les espèces animales et nos enfants. En orchestrant un prodigieux bras de fer entre un groupe capitaliste et un groupe écologiste, avec, pour moteur, une relation sensible entre une adolescente et un animal, Bong Joon-Ho accomplit un acte merveilleux, celui de procurer des émotions aussi intenses qu’hétérogènes dans un geste cinématographique brillant d’habileté et de perspicacité.

4.5 étoiles

 

Okja

Film sud-Coréen, américain
Réalisateur : Bong Joon-Ho
Avec : Ahn Seo-Hyun, Tilda Swinton, Paul Dano, Jake Gyllenhaal, Giancarlo Esposito, Lily Collins, Steven Yeun, Shirley Henderson, Daniel Henshall, Devon Bostick
Scénario de : Bong Joon-Ho, Jon Ronson
Durée : 118 min
Genre : Aventure, Action, Drame
Date de sortie en France : 28 juin 2017
Disponible en VOD à partir du 28 juin 2017
Distributeur : Netflix France

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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