Critique : Babylon

Suite à son biopic consacré à Neil Armstrong avec First Man (2018), Damien Chazelle ne retrouve pas tout à fait la terre ferme puisqu’il explore dans Babylon les transformations de l’industrie cinématographique à Hollywood, florissante mais encore à ses premier pas, quand le son n’existait pas et que les stars du muet vivaient leurs jours de gloire.

Hollywood begins

Sur une route désertique, un homme se retrouve chargé de transporter un éléphant pour une soirée organisée dans la vaste demeure d’un ponte du cinéma. La fête, orgiaque, tient des exubérances propre au cinéma de Fellini, d’autant plus que Chazelle retrouve une mise en scène ample, avec de longs mouvements de caméra. Ce segment de trente minutes – soit un sixième du film –, d’une démesure absolue, introduit les principales figures de cette fresque célébrant le 7ème art, encore une fois pourrait-on dire à juste titre, notamment quand Quentin Tarantino livrait il y a encore peu avec Once upon a time in Hollywood (2019) une œuvre analogue située dans les années 70 avec certes, un penchant assumée pour l’uchronie détonante. D’ailleurs, on retrouve ici deux acteurs du Tarantino : Brad Pitt, dans le rôle de Jack Conrad, acteur de renom au sommet de sa gloire, inspiré par John Gilbert, et Margot Robbie, qui elle, tient de Clara Bow avec le personnage de Nellie LaRoy, aspirante comédienne qui connaîtra un succès aussi fulgurant que sa chute. Robbie aurait pu ne pas être de la fête si le COVID n’avait pas chamboulé l’agenda d’Emma Stone, que l’on voyait déjà chez Chazelle avec La La Land (2016) – film avec lequel on trouve plusieurs similitudes, nous y reviendrons. Mais c’est avec un acteur encore méconnu que l’on entre dans cet univers fou, où les producteurs surveillent ce beau monde qui se saoule, se drogue et fornique – il ne faudrait pas qu’une actrice ou un comédien soit en retard sur son plateau le lendemain, la machine doit tourner ! Ce quidam à Hollywood, c’est Diego Calva qui joue Manny Torres, jeune immigré mexicain des plus débrouillards. Si Manny rêve de devenir acteur et tombe amoureux de Nelly ce soir là, c’est de l’autre côté de la caméra qu’il va gravir les échelons par son volontarisme, son audace et un brin de chance.

Sur les plateaux extérieurs où les équipes sont littéralement les unes sur les autres, on retrouve une effervescence similaire à la soirée de la veille : il y a de l’énergie, du bruit, des cris, tout un magma qui s’imprime sur pellicule. Pour les acteurs de l’époque, pas besoin d’apprendre la moindre ligne de dialogue. Remplaçante de fortune, Nelly, prise pour un rôle d’aguicheuse dans un bar, tape dans l’œil de la réalisatrice : elle se montre capable de pleurer à la demande, prise sur prise. Lady Fay Zhu (Li Jun Li), qui chantait la veille, s’occupera des intertitres de ce film. Sur le plateau de Conrad, toujours bouteille en main, on tourne des scènes de combats avec des centaines de figurants épée en main, mais toutes les caméras sont perdues dans la bataille. C’est Manny qui doit sauver les meubles en fonçant chez un loueur de caméras avant que le soleil ne vienne mettre un terme à la journée de tournage. Chazelle célèbre cet univers avec passion et application, et bien qu’il s’inscrive à la suite de nombreuses œuvres célébrant le cinéma ou les tournages, comme La Nuit américaine (1973) de François Truffaut, Cinema Paradiso (1988) de Giuseppe Tornatore, The Fall (2006) de Tarsem Singh ou encore Hugo Cabret (2011) de Martin Scorsese, il intègre au cœur de séquences où flotte une atmosphère de « déjà vu » des situations qui apportent un éclairage nouveau. Parmi les séquences fortes, qui mêlent humour et cruauté, il y a cette simple prise impossible à réussir alors que débarque le cinéma parlant. Silence de mort sur le plateau dans un hangar fermé. Ambiance étouffante sous une lumière artificielle avec laquelle la climatisation est proscrite. Marques précises au sol pour que les répliques de Nelly soient enregistrées correctement avec les micros suspendus, répliques lui posant de nombreuses difficultés. La bruyante caméra se retrouve désormais confinée entre quatre murs qui font souffrir l’opérateur. Et l’ingénieur du son, perché sur une tour, a son mot à dire sur la qualité de la prise. Une révolution qui change la donne sur le plateau avec ses contraintes inédites mais qui offre un nouveau souffle au cinéma, et si certains gagneront ainsi la lumière, comme le trompettiste Sidney Palmer campé par Jovan Adepo, d’autres seront poussés vers la sortie, comme Conrad ou bien cette nouvelle starlette, Nelly.

C’est aussi grâce à son personnage de trompettiste que Chazelle souligne le lien entre le jazz – on revient aussi à Whiplash (2014) – et les débuts du cinéma sonore, où soudain, des acteurs Afro-américains se voient au centre du cadre. Ouvrant sur d’autres thématiques propres aux questions raciales, avec, cette fois, de la cruauté sans une once d’humour. Citant Chantons sous la pluie (1952) de Stanley Donen et Gene Kelly – on se retrouve d’ailleurs sur le plateau du film – comme Boulevard du crépuscule (1950) de Billy Wilder, Chazelle évoque à nouveau, avec moins de force – la faute à de très nombreux personnages ? –, l’histoire d’amour rythmant son La La Land. Manny et Nelly tracent tous deux leurs routes dans ce milieu sans jamais réussir à donner vie à l’étincelle de leur rencontre, même lorsque Manny deviendra une main tendue capitale pour la comédienne en perdition. Là encore, la route empruntée ne surprend guère, mais il y a toujours ce plaisir du cinéma, ces acteurs de talent dans des situations souvent savoureuses, cette photographie soignée et charnelle, ainsi que ce sens si efficace de la mélodie entêtante de Justin Hurwitz. Comme cet éléphant qui ouvre le film, Babylon montre un caractère pachydermique, décrié par certains spectateurs, mais il y a pourtant de la grâce malgré certains poncifs. Entre émerveillement et amertume, ce long métrage condense tout un pan révolu du cinéma américain, tout en se propulsant vers les évolutions futures. Dans les salles combles qu’il explore, Damien Chazelle observe aussi les spectateurs qui, désormais, laissent de tristes sièges vacants pour de nombreux films. A s’appuyer sur des classiques depuis trois longs métrages, sera-t-il capable de livrer une œuvre hors norme qui fera date dans l’histoire du cinéma ? C’est tout ce qu’on lui souhaite.

3.5 étoiles

 

Babylon

Film américain
Réalisateur : Damien Chazelle
Avec : Diego Calva, Margot Robbie, Brad Pitt, Jovan Adepo, Li Jun Li, Olivia Hamilton, Tobey Maguire, Flea, Lukas Haas, Spike Jonze, Samara Weaving
Scénario de : Damien Chazelle
Durée : 189 min
Genre : Comédie dramatique, Historique
Date de sortie en France : 18 janvier 2023
Distributeur : Paramount Pictures France

 

Photos du film Copyright Paramount Pictures All Rights Reserved.

Article rédigé par Dom

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