Critique : Mise à mort du cerf sacré

Quand Yorgos Lanthimos passe par Cannes, ce n’est pas simplement pour amuser la galerie : en 2009, Canines reçoit le Prix Un Certain Regard tandis qu’en 2015, il reçoit le Prix du jury avec The Lobster. Pour cette nouvelle collaboration avec Colin Farrell, c’est avec le Prix du scénario (partagé avec A Beautiful Day) que le grec quitte la croisette avec Mise à mort du cerf sacré. Une œuvre profondément troublante, même cauchemardesque, quand le quotidien d’une famille aisée se voit bouleversé par l’obligation d’un sacrifice humain.

Lâcheté paternelle

Dans le noir complet, une musique symphonique donne le ton : ce qui va se dérouler au cours des deux heures à venir tient de la tragédie, tragédie flirtant ouvertement avec le cinéma d’horreur, convoquant le Shining de Stanley Kubrick par son emploi répété du steadicam avec une courte focale. Les plans suivants peuvent sembler anodins, opération cardiaque à la fin de laquelle Steven Murphy (Colin Farrell), chirurgien, jettera ses gants dans une plongée univoque, mais ils constituent le terreau de ce film qui renoue avec l’étrangeté troublante des premiers films de Yorgos Lanthimos. Nul doute que parmi ses quatre longs métrages, The Lobster, son précédent film, est le plus accessible, par son genre, son casting, mais aussi surtout parce que les clés du film et le cadre sont posés d’emblée. Avec Mise à mort du cerf sacré, le cinéaste grec, dont le titre lui est inspiré par Iphigénie à Aulis d’Euripide, renoue avec l’ésotérisme caractéristique de ses deux premiers films : il est difficile de comprendre les liens entre les personnages, voire de leurs agissements. Le tableau se révèle peu à peu, en prenant du recul, jusqu’à saisir, dans ce cas particulier, l’horreur à laquelle sera confrontée le chirurgien campé brillamment par un Colin Farrell stoïque mais accablé.

Pour préserver tout le plaisir de découverte du film, les enjeux ne seront pas dévoilés dans cet article. Il faut savoir simplement que tout procède de l’énigmatique relation entre Steven et Martin (Barry Keoghan, des plus inquiétants et déjà remarqué dans Dunkerque de Christopher Nolan). A l’hôpital, lors de ses « visites », le chirurgien informe ses collègues qu’il s’agit d’un ami de sa fille, intéressé par la cardiologie. Mensonge. Invité à la demeure des Murphy, Martin rencontre alors Anna, ophtalmologiste (Nicole Kidman, remarquable), ainsi que les deux enfants, Bob (Sunny Suljic) et Kim – Raffey Cassidy, la jeune révélation de A la poursuite de demain qui confirme qu’une belle carrière l’attend. Quelque chose cloche dans le comportement de Martin, de l’ordre psychologique, qui passe par ses étranges questions mais aussi sa gestuelle débordant de nervosité, contrastant avec son ton, toujours placide. Encore une fois, Lanthimos analyse la cellule familiale confrontée à une situation de crise extrême, et au centre de son viseur, il place la figure paternelle, unique entité capable d’agir pour le destin des siens. Cette fable contemporaine qui oscille entre le cinéma fantastique et d’horreur par ses rouages narratifs et son atmosphère aborde avant tout la notion de lâcheté du père, dans un contexte qui, fondamentalement, nous plonge tous, au coeur des pires interrogations. C’est là où réside une des grandes forces du cinéma de Lanthimos, celle de nous confronter à des maux élémentaires pour mieux saisir les fêlures de notre société. Avec cette infernale et captivante Mise à mort du cerf sacré, Lanthimos affirme au travers d’une œuvre clivante qu’il est un des grands cinéastes de notre époque.

4 étoiles

 

Mise à mort du cerf sacré

Film britannique, irlandais
Réalisateur : Yorgos Lanthimos
Avec : Colin Farrell, Barry Keoghan, Nicole Kidman, Raffey Cassidy, Alicia Silverstone, Bill Camp, Sunny Suljic
Titre original : The Killing of a Sacred Deer
Scénario de : Yorgos Lanthimos
Durée : 121 min
Genre : Drame, Fantastique, Horreur
Date de sortie en France : 1er novembre 2017
Distributeur : Haut et Court

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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