[Critique] The Murderer (Na Hong-jin)

Après un premier long-métrage prometteur, The Chaser, Na Hong-jin s’affirme dans un second film encore plus maitrisé. The Murderer (ou The Yellow Sea) est un thriller glauque et ultra-violent, dans lequel un chauffeur de taxi chinois endetté est envoyé en Corée pour assassiner quelqu’un dont il ne connait que le nom et l’adresse. Une franche réussite, déconseillée aux âmes sensibles.

Chiens enragés

Gu-nam (Ha Jung-woo) a envoyé sa femme en Corée dans l’espoir qu’elle obtienne un boulot bien rémunéré pour subvenir aux besoins de la famille, mais cette dernière n’a jamais envoyé d’argent en retour, laissant leur fille à la charge de son mari et de sa mère. Pour régler sa dette envers des malfrats, Gu-nam ne peut compter que sur son job de chauffeur de taxi, mais sa malchance au mah-jong l’éloigne chaque jour de la somme demandée. Myun (Kim Yun-seok), un éleveur de chiens, lui propose d’essuyer ses dettes s’il se rend clandestinement en Corée pour liquider un certain Kim Seung-hyun. L’échec n’est pas envisageable, si le contrat n’est pas exécuté sous dix jours, Gu-nam perd sa mère et sa fille. Son arrivée en Corée est l’occasion de remonter sur les traces de sa femme tout en observant les habitudes de sa cible.
De tous les chapitres de ce film se dégage une constante : la survie. Survivre à la misère et aux menaces, au climat, au manque d’hygiène, survivre aux coups et déceptions, à la bestialité qui anime tout un chacun. Dans The Murderer, seuls les plus enragés peuvent espérer sortir vivant de cette boucherie des plus ignobles, déclenchée par un assassinat aux enjeux obscurs. La chair se fend à chaque tournant. Pas d’interrogatoires sans visages meurtris. Na Hong-jin cultive la violence en piégeant ses personnages, en les privant d’issue de secours ; il réduit les hommes à un état primitif et barbare. Couteau, hachette, pierre, os, brochette – tout ce qu’une main est capable de tenir pour attaquer est une arme potentielle dans un film qui semble réprouver l’usage des armes à feu.

The Chaser avait déjà montré la prédisposition de Na Hong-jin à bouleverser les codes de la narration. Là où un scénario classique trouverait sa conclusion logique, The Murderer trouve un rebond qui permet d’ouvrir sur un récit plus dense, apportant autant de nouveaux points de vue que de personnages clefs. La course contre la montre précède une course contre la fatalité où l’instinct de survie cède du terrain au désir de vengeance. Grâce à une direction d’acteur exemplaire, la souffrance et le désespoir qui frappent les personnages sont partagées sans mal. Dans ce film à la photographie ténébreuse des plus soignées, les genres se fondent dans le destin de Gu-nam, à la fois assassin potentiel, père de famille à la recherche de sa femme, et gibier pour les autorités locales et la mafia. Ainsi, les codes du thriller, du drame et du film d’action se relaient dans un marathon éprouvant par son âpreté. La traque, aux multiples embranchements, est permanente, attisant la tension et le suspense naturellement fomentées par l’incursion clandestine.

Sombrant dans les travers de la shaky cam pour les courses-poursuites automobiles, bien qu’exprimant une recherche d’originalité grâce aux petites caméras embarquées sur les véhicules, un procédé ruinant l’unité esthétique tout en amplifiant le réalisme et le dynamisme, Na Hong-jin se montre expert des poursuites à pied. L’énergie déployée par les acteurs et la qualité du montage, vif et propre, confèrent à ces séquences, dont on ressort éreinté, toute l’intensité du sprint. The Murderer est un film qui ne connait ni répit, ni pitié. Parfois outrancier, sa brutalité épouvantable éloigne tout espoir de salut. Malmené sans vergogne par ce thriller protéiforme et sensationnel, on quitte la Corée du Sud à bout de souffle.

Grâce à The Murderer, Na Hong-jin, aussi efficace à l’écriture qu’à la mise en scène, entre dans les hautes sphères du thriller sud-coréen, pouvant dès à présent siéger aux côtés de Park Chan-wook et Bong Joon-ho. Amateurs de Memories of Murder et autres Old Boy, ne manquez surtout pas ce film. Vivement un troisième long-métrage.

4.5 étoiles

 

The Murderer

Film sud-coréen
Réalisateur : Na Hong-jin
Avec : Ha Jung-woo, Kim Yun-seok, Cho Seong-ha, Lee Chul-min
Titre original : Hwanghae
Scénario de : Na Hong-jin
Durée : 140 min
Genre : Thriller, Drame, Action
Date de sortie en France : 20 juillet 2011
Distributeur : Le Pacte

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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8 commentaires

  1. J’avais beaucoup aimé the chaser et vu le petit pitch du film qui a priori plusieurs intrigue , j’ai hâte de voir ce que cela donne !

    Romain

  2. The Chaser est presque ridicule à côté de The Murderer !

  3. Je croise les boules pour que ce film Coréen remonte l’impression que j’ai eu il y a peu avec j’ai rencontré le diable…

  4. Je pense que ça va marcher pour toi. On tape vraiment dans le niveau de Bong Joon-ho et Park Chan-wook ; The Murderer est bien plus saisissant que j’ai rencontré le diable donc (et plus fin, en quelque sorte, car ça massacre dur aussi !)

  5. rahh j’ai adoré The Chaser et celui là (comme le premier) ne passe pas par chez moi !!!!!!

    Plus qu’à attendre une sortie dvd (oui je suis un ptit gars bien ^^)

    En tous cas South Corea power les nouveaux rois du polar (après H-K fin 80/début 90 et dans une moindre mesure maintenant avec Johnny To)

  6. Salut Tootsif ! Eh oui, quelle tristesse de le voir dans si peu de salles. Il me semble que The Chaser en avait eu le double, au moins. Alors que ces films sont des succès colossaux là-bas, en Europe Occidentale, on ne peut même pas les saluer comme il faudrait !

  7. J’ai personnellement préféré The Chaser qui, à mon sens, possède une intrigue nettement plus maîtrisée et aboutie. The Murderer est un très bon film mais s’emmêle parfois les pinceaux dans les multiples embronchements de son scénario. De plus, le dernier plan est d’une niaiserie assez regrettable au regard du ton général du film, très pessimiste. En fait, j’ai trouvé ses 40 premières minutes excellentes et la suite un peu moins. Mais cela reste du très bon cinéma, dans la ligné de nombreux thrillers sud-coréens.

    Bong Joon-ho … son cinéma est très différent et beaucoup moins sensationnel. D’ailleurs, The Host et Mother ne sont pas des thrillers. On peut citer Memories of murder bien sûr, mais, pour moi, la comparaison entre ces deux cinéastes n’a pas lieu d’être. D’accord pour Park Chan-wook qui utilise à peu près les mêmes ingrédients dans son cinéma, à savoir la violence, la vengeance, et le pessimisme.

  8. C’est vrai que les films de Bong Joon-ho ne catalysent pas autant de violence, mais entre contemporains d’un même pays, travaillant sur des oeuvres sombres, je pense qu’on peut les mettre en parallèle sur certains points.

    Quand tu parles du dernier plan, tu parles du plan après le générique de fin ? (j’ai lu de quoi il s’agit, mais je ne l’ai pas vu : la projo à laquelle j’ai assisté à débuter avec du retard et j’ai foncé dès le premier nom à l’écran)

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