Cannes 2022 une question de point de vue

Les films divisent, tout est une question de sensibilité et de point de vue. D’ailleurs, le premier point de vue est celui adopté par les cinéastes, qui peuvent trouver l’inédit en dénichant de nouvelles perspectives sur un sujet ou au contraire en parcourant des sentiers battus, sans prise de risque. On évoque cela notamment avec Novembre de Cédric Jimenez, découvert lundi 23 mai, et le brillant documentaire expérimental De Humani corporis fabrica de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, mais aussi deux œuvres de la veille, Holy Spider d’Ali Abbasi et Men d’Alex Garland.

C’est un traumatisme encore récent pour tout un pays, les attentats du 13 novembre 2015. Que Cédric Jimenez, qui avait divisé la croisette avec Bac Nord l’année dernière sur le plan politique et social, s’attelle à ce sujet aussi tôt, alors que le procès de Salah Abdeslam est en cours, pourrait être vu comme un geste audacieux ou impertinent. Avec Novembre, il évite l’horreur frontale des actes terroristes pour nous mettre du côté des forces de l’ordre, qui se mettent en état d’alerte alors que l’état d’urgence allait être instauré. On trouve une belle galerie d’acteurs parmi les policiers, comme Jean Dujardin en commissaire ou Anaïs Demoustier. Des acteurs investis, mais qui ne soulèvent rien : mis en scène convenablement, le film se contente de relater des faits, sans point de vue sur le travail de ces policiers ni de la lutte antiterroriste. On se retrouve face à un document des plus inutiles, contraint de s’achever sur des cartons rappelant le nombre de morts et blessés, et que le verdict du procès n’est pas encore tombé.

A l’inverse, à la Quinzaine des Réalisateurs, le duo de cinéastes Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor nous apporte un point de vue inédit sur le monde de l’hôpital avec De Humani corporis fabrica. Filmé dans les hôpitaux de Paris, ce documentaire expérimental se prive de tout commentaire et se montre sans concession : nombreuses sont les images de chirurgie en provenance des caméras employées par le personnel soignant lors des opérations. Intervention sur le cerveau, coloscopie, prostate, naissance avec césarienne, etc. De nombreux actes s’enchaînent dans cette œuvre fascinante, qui parcoure aussi les sous-sols avec le service de sécurité, les couloirs où errent des patients atteints de maladies psychiques ou mentales, et d’autres espaces où nous avons la sensation que des caméras ne sont jamais allées, du moins, pas sous cette forme si épurée, avec une image particulière. Grâce à l’aide d’un ingénieur, ils ont travaillé avec une caméra baptisée rouge à lèvre, qui possède un caractère similaire aux caméras de chirurgie. Ainsi, les personnes sont vues comme le monde intérieur du corps. La dévalorisation du travail du personnel soignant est soulevée au travers de leurs conversations, de manques ou défaillances dans le matériel. Comment ne pas être admiratif de ces femmes et ces hommes qui se consacrent à soigner autrui malgré des conditions de travail éprouvantes, et un gouvernement qui les méprisent profondément ? Une exploration du corps humain et du corps médical brillante. S’achevant par des séquences puissantes, toujours avec le même dispositif, ce documentaire se positionne comme une œuvre majeure du Festival de Cannes 2022.

La veille, l’équipe d’Ali Abbasi présentait Holy Spider, avec une montée des marches marquées par l’équipe du film Riposte Féministe , qui a déroulé une banderole portant les prénoms des 129 femmes assassinées depuis le précédent festival. Sous l’objectif de Raymond Depardon, ces jeunes militantes ont même sorti des fumigènes noires sur les marches dont la douce odeur a envahi le Grand Théâtre Lumière.

« Men » d’Alex Garland

Inspiré de faits réels, Holy Spider (Les Nuits de Mashhad) adopte deux points de vue : celui d’un tueur en série – Mehdi Bajestani -, père de famille, justifiant ses meurtres au nom de la religion car il s’attaque à des femmes « corrompues », des prostituées, et celui de la journaliste qui le traque – Zar Amir Ebrahimi -, la police faisant le minimum sur ces affaires. Fort sur ses premières séquences, le film perd en vigueur par sa frontalité systématique lors des meurtres. Maladroit dans de nombreux choix cinématographiques, il laisse un goût amer lorsqu’il montre dans sa deuxième partie le pouvoir de la religion sur la justice et l’opinion publique en Iran. Autre déception à la Quinzaine des réalisateur avec Men d’Alex Garland. Harper (Jessie Buckley) gagne la campagne britannique en louant une vaste demeure pour fuir un événement tragique : son compagnon s’est défenestré suite à une dispute, face à elle. Accueillie par son étrange hôte joué par Rory Kinnear, elle sera terrorisé lors de sa première promenade en forêt par un homme nu – toujours joué par Rory Kinnear, qui joue la plupart des autres rôles secondaires masculins avec des looks divers. Figé dans sa situation traumatique initiale, ce film d’horreur possède quelques atouts, comme ses interprètes, sa vaste et inquiétante demeure, mais on a la sensation que le cinéaste passe à côté de son sujet, contrairement avec l’excellent Ex Machina. Même ses scènes les plus horrifiques peinent à faire de leur effet, la faute à un caractère excessif alors que les quelques séquences préférant le hors-champ font mouche.

Déjà en tournage de son prochain film, Alex Garland était absent mais nous avons eu le plaisir d’écouter Jessica Buckley et Rory Kinnear à propos du film et de son tournage.

L’après-midi, la plage de la Quinzaine des Réalisateurs était investie par le fabricant de caméras et lumières Arri. Il était possible de tester une configuration en Alexa Mini, s’aventurer parmi les convives à l’épaule, avec une configuration efficace grâce aux poignées permettant de gérer le zoom et le point sans perdre en stabilité. Un événement où j’ai eu la chance d’échanger avec le cinéaste ukrainien Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, réalisateur du génial Pamfir.

Article rédigé par Dom

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