Cannes 2022 fin et palmarès commenté

Fin de festival intense avec les derniers films de la compétition officielle, ainsi que le palmarès commenté. En photo ci-dessus, le réalisateur suédois Ruben Östlund avec la Palme d’or, aux côtés du journaliste Didier Allouch.

Les derniers jours auront concentré énormément de films de la compétition officielle, ainsi que quelques soirées festives où les personnes sur le départ n’avaient plus aucune peur du lendemain. A la soirée de clôture de la Quinzaine des réalisateurs sur la plage, on pouvait croiser Pierre Niney, Felix Moati ou encore Gaspar Noé au milieu des équipes de cette sélection si belle cette année.

« Broker »

En compétition officielle, Claire Denis a divisé avec Stars at noon, œuvre alternant entre une indolence foudroyante, y compris dans ses scènes de sexe, et des divagations envoûtantes dans un Nicaragua confiné, sous fond d’élections troublées par l’ingérence américaine. Hirokazu Kore-Eda s’est montré fidèle à son cinéma sensible en posant ses caméras en Corée du Sud. Broker (Les Bonnes étoiles) nous fait découvrir les « boites à bébé » qui permettent à des mamans d’abandonner discrètement leur enfant. Entre trafic d’enfants et blessures anciennes de grands orphelins, le cinéaste japonais garde toute sa foi en l’humanité dans un road movie séduisant. Lukas Dhont a arraché le plus de larmes aux festivaliers avec Close, chronique sur deux adolescents profondément attachés l’un à l’autre et qui vont subir le regard et les mots blessants de leur classe, ce qui les éloignera jusqu’à un point de bascule terrible – et qui, pour ma part, me semble quelque peu inapproprié dans la narration, mais je conserve des réserves, la fatigue gommant certains détails. Albert Serra, avec le film le plus long de la fin de compétition, les 2h45 de Pacifiction a aussi divisé les festivaliers mais je n’ai pas eu l’opportunité de le voir – certains films comme celui-ci occupent un créneau s’étalant sur deux autres séances.

« Showing up »

D’ailleurs, le vendredi concentrait sur un créneau horaire trop réduit deux réalisatrices, toutes deux en compétition pour la première fois. La renommée Kelly Reichardt, avec le minimaliste Showing Up, met en scène son actrice fétiche Michelle Williams en sculptrice préparant une exposition où elle espère réunir sa famille. Une œuvre d’une grande douceur dans le milieu d’une école d’art où les conflits sont limités à une chaudière en panne et un pigeon blessé. Une parenthèse si paisible, qui, placée en fin de festival, aura rebuté de nombreuses personnes malgré ses belles qualités et son atmosphère qui tranche avec tous les autres films vus en compétition. L’autre réalisatrice est moins expérimentée, mais on avait déjà hâte de découvrir son second long métrage après Jeune femme. Léonor Serraille conte avec un récit ambitieux en trois parties l’arrivée d’une Ivoirienne en France avec ses deux fils. Difficile de s’exprimer sur cette œuvre touchante et quelque peu amère tant le manque de temps pour respirer entre les deux films se montre nuisible. L’esprit n’est pas suffisamment disponible… La nuit tombée, le jury de la Queer Palm 2022, présidé par Catherine Corsini, a récompensé le court métrage Will you look at me de Shuli Huan, présenté à la Semaine de la Critique et le long métrage Joyland de Saim Sadiq, présenté à Un Certain Regard, au Silencio. La nuit s’est poursuivie à Coco Loco, la fameuse rhumerie du centre-ville, puis au QG de la Queer Palm, le Vertigo.

« R.M.N. »

Le lendemain, le temps des reprises, avec le charmant Les Amandiers de Valérie Bruni-Tedeschi, où elle met en scène sa jeunesse en étudiante au Théâtre des Amandiers, alors sous la direction de Patrice Chéreau – joué par Louis Garrel. La cinéaste et comédienne a confié son rôle à Nadia Tereszkiewicz, énergique et prenante. Une jeunesse insouciante qui rêve de jouer, mais déjà frappée par le tragique dans un film pourtant émaillé d’humour ainsi que de mélancolie. Ultime séance avec R.M.N. de Cristian Mungiu, puissante œuvre politique qui sonde les maux d’une Union Européenne sur le point d’imploser sous le poids de l’intolérance, cette peur viscérale de l’étranger. Une œuvre qui fait écho aux vils discours d’extrême droite en France avec force, avec un personnage central ambivalent, père de famille au tempérament dur et qui devra se confronter à de nombreux heurts, avec sa maîtresse ainsi que son père.

Palmarès du 75ème Festival de Cannes

Palme d’or

TRIANGLE OF SADNESS réalisé par Ruben ÖSTLUND

Grand Prix ex æquo

CLOSE réalisé par Lukas DHONT
STARS AT NOON réalisé par Claire DENIS

Prix de la Mise en Scène

PARK Chan-wook pour DECISION TO LEAVE

Prix du Scénario

Tarik SALEH pour BOY FROM HEAVEN

Prix du Jury ex æquo

EO réalisé par Jerzy SKOLIMOWSKI
LE OTTO MONTAGNE réalisé par Charlotte VANDERMEERSCH & Felix VAN GROENINGEN

Prix du 75e

TORI ET LOKITA réalisé par Jean-Pierre & Luc DARDENNE

Prix d’Interprétation Féminine

Zar AMIR EBRAHIMI dans HOLY SPIDER réalisé par Ali ABBASI

Prix d’Interprétation Masculine

SONG Kang-ho dans BROKER réalisé par KORE-EDA Hirokazu

Courts Métrages

Palme d’or

THE WATER MURMURS réalisé par Jianying CHEN

Mention Spéciale

LORI réalisé par Abinash Bikram SHAH

Caméra d’Or

WAR PONY réalisé par Riley KEOUGH et Gina GAMMELL

Mention spéciale

PLAN 75 réalisé par HAYAKAWA Chie

Un palmarès provoque bien souvent des déceptions, que ce soit parmi les équipes de films, distributeurs et attachés de presse que les festivaliers : tout le monde défend ses coups de cœur avec ferveur, surveillant sur internet la fameuse liste des « rappelés » sur la croisette qui permet de dessiner, au moins dans le désordre, le palmarès – avec aussi des rumeurs qui peuvent conduire à se tromper lourdement. N’ayant pas vu les courts métrages de la compétition officielle, ni tous les premiers longs métrages – mon cœur se portait sur Pamfir de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk pour la Caméra d’or –, ce commentaire se concentrera sur les longs.

« EO » : le geste d’un maitre salué

Un grand problème du palmarès 2022 réside probablement dans le nombre de prix attribués, 10 pour 21 films en compétition. Il faut souligner toutefois que cette année, il y avait un prix bonus, le fameux prix anniversaire du 75ème Festival de Cannes. Mais que signifie-t-il sur le plan artistique ? Qu’est-ce qu’il récompense fondamentalement ? Pour le 70e, c’était Nicole Kidman qui l’avait reçu. La comédienne était alors présente dans quatre longs métrages. Cette année, ce sont les frères Dardenne qui l’obtiennent pour Tori et Lokita, œuvre sociale conspuée par leurs détracteurs mais plutôt bien reçue dans l’ensemble. Le Prix du jury et le Grand prix voient double, ce qui donne la sensation d’un jury incapable de trancher. Ces films primés ex-aequo ont comme une récompense affaiblie, l’un des deux occultant l’autre. Les prix du jury ont récompensé l’œuvre la plus originale de la compétition, le sublime EO de Jerzy Skolimowski, mettant en lumière la souffrance animale, et l’amitié mélancolique des Huit montagnes de Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen. Deux œuvres majeures du début de festival et qui ont visiblement accompagné le jury jusqu’aux délibérations finales. Pour le Grand Prix, Close de Lukas Dhont, que beaucoup voyaient comme une évidente Palme d’or, projette une ombre sur le déconcertant – et décevant – Stars at noon de Claire Denis. Deux films avec une conception du cinéma des plus différentes, l’emphase mélodramatique pour le cinéaste belge, l’épure tout en flottements pour la Française.

Zahra Amir Ebrahimi dans « Holy Spider »

Boudé par le jury lors de son précédent passage à Cannes avec Mademoiselle, le travail remarquable de Park Chan-wook est enfin récompensé d’un Prix de la mise en scène pour Decision to leave, loin d’être son film le plus excitant mais où la maîtrise du réalisateur est toujours aussi épatante. Pour les prix d’interprétations, il était assez délicat de s’arrêter sur des noms précis tant les comédiennes et comédiens se montraient solides dans tous les films, sans personnage particulier pouvant vampiriser les autres. Ainsi, l’iranienne Zahra Amir Ebrahimi, exilée en France depuis 2008, est saluée pour son rôle de journaliste traquant un tueur de prostituées dans Holy Spider (Les Nuits de Mashaad) d’Ali Abbasi, œuvre en partie décevante par ses choix de mise en scène mais belle et bien relevée par ses comédiens. Chez les hommes, c’est le sud-coréen Song Kang-ho dans Broker (Les Bonnes étoiles) de Hirokazu Kore-Eda qui a retenu l’attention du jury – on aurait pu imaginer un prix collectif pour Leila’s Brothers de Saeed Roustaee, mais cela aurait empêché au film de remporter un des deux prix les plus convoités, mais qu’il n’obtiendra pas ! D’aucuns décrient l’absence de James Gray au palmarès, mais s’il y a bien deux films qui auraient pu être célébrés, ce sont bien Leila’s Brothers et R.M.N. de Cristian Mungiu. Des films parfaitement maîtrisés, sur tous les plans, et s’attaquant à des problèmes sociaux et politiques avec sagacité. Dans ce palmarès qui a récompensé presque un film sur deux, leur absence s’avère désolante. Si le Prix du scénario récompense le solide travail de Tarik Saleh pour Boy from heaven, Roustaee comme Mungiu pouvaient y prétendre à défaut d’un Grand Prix ou d’une Palme.

Ruben Östlund, néo double palmé

La Palme d’or attribuée à Triangle of sadness (Sans filtre) n’a rien de honteux non plus, car Ruben Östlund livre une énergique satire sur une bourgeoisie destructrice, dégommant le patriarcat avec un humour féroce, mais son film n’apparaît pas aussi abouti que les oubliés. Une comédie trop longue, et qui va pourtant gagner encore quelques minutes, le cinéaste ayant déclaré en conférence de presse suite à la cérémonie devoir apporter deux ou trois retouches qui allongeront certaines séquences. Une deuxième Palme d’or pour autant de participations à la compétition pour Östlund, sacré lors de la 70ème édition pour le plus fin The Square. De quoi regarder vers le futur avec encore plus d’assurance. Après la croisière de ce nouveau film, ce sera les airs : il a déjà annoncé que son prochain long métrage, The entertainment system is down mettra en scène un vol long-courrier perturbé par l’impossibilité de divertir les voyageurs.

Nous ne pouvons pas connaître les difficultés rencontrées par le jury pour établir le palmarès, exercice aussi passionnant que délicat – ayant eu la chance de faire partie d’un jury courts métrages il y a quelques années, se retrouver dans cette position permet de voir les résultats sous un autre angle, moins acerbe que certains journalistes. Le plus important sera la rencontre de ces films avec les spectateurs en salle, à l’heure où la fréquentation va mal pour le cinéma d’auteur. Peut-être qu’au lieu de blâmer les plateformes et le piratage, il faudra mettre dans l’équation une donnée qui me semble primordiale, des sorties parfois trop nombreuses sur un même mercredi, un surnombre de films que l’on pouvait aussi constater en sélection officielle : avec la nouvelle catégorie Cannes Premiere, inaugurée en 2021, certains films se voient sacrifiés au cours du festival, diffusés seulement deux fois dans les salles de la Croisette. De moins en moins festif et de moins en moins convivial – la billetterie en ligne qui assure d’entrer dans une salle mais au prix de réservations défaillantes et parfois incompréhensible quant à la disponibilité des tickets –, le plus grand Festival de cinéma au monde semble dans une zone de turbulences – où l’on retrouvera peut-être Ruben Östlund prochainement, avec son avion et une ignoble première classe.

Article rédigé par Dom

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