Critique : Synonymes

Depuis L’institutrice en 2014, Nadav Lapid ne s’était consacré au cinéma qu’au travers du format court. Avec Synonymes, en partie autobiographique, le cinéaste israélien raconte son arrivée à Paris dans une œuvre particulièrement troublante, qui bouillonne d’une énergie rare. Ours d’Or à la Berlinale 2019.

France, terre d’écueil

Le cinéma repose essentiellement sur des conventions à la fois formelles et fondamentales, et si le format court offre une plus grande liberté d’expression – quoique parfois relative – aux artistes, il est de plus en plus rare d’être véritablement bousculé par un long métrage au cinéma. Ces films qui parviennent à nous surprendre profondément sont précieux, et Synonymes est de cette trempe. Paris et la République française se dévoilent sous de nouvelles perspectives, grâce au regard d’un étranger, mais aussi sa volonté profonde, son désir de devenir français, de rompre définitivement les ponts avec sa nation, avec son peuple, avec Israël. Yoav (Tom Mercier) ne veut même plus parler hébreux quand il débarque à Paris un hiver, simplement avec un sac de camping, et qu’il pénètre dans un splendide appartement haussmannien, entièrement vide, dont la clé se trouvait sous le paillasson. Alors qu’il se lave, quelqu’un s’introduit dans l’appartement pour lui voler toutes ses affaires. Le voilà nu, frappant aux portes pour trouver de l’aide, en vain. Yoav s’endort frigorifié dans la baignoire pour être sauvé le lendemain matin par un jeune couple de l’immeuble : Emile (Quentin Dolmaire) et Caroline (Louise Chevillotte). De jeunes bourgeois qui vont non seulement aider Yoav à rebondir immédiatement, en lui offrant des vêtements, un téléphone et même de l’argent, mais qui vont aussi s’éprendre de sa personnalité, de son français qu’il apprend de façon obsessionnelle, armé de son dictionnaire. Le vocabulaire français se retrouve récité comme des textes sacrés. Emile, écrivain en manque de virtuosité, est fasciné, tandis que Caroline, musicienne classique, répond à la musique que pratiquait Yoav dans son pays avec une mitrailleuse.

Synonymes trouve une partie de sa fraîcheur dans son trio principal de comédiens, encore méconnu voire totalement anonyme. Quentin Dolmaire a été la révélation de Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin et malgré une poignée de tournages, son visage et sa présence bénéficient toujours du même éclat, et il campe parfaitement son rôle, tout comme Louise Chevillotte, pour sa part, seulement vue dans L’amant d’un jour de Philippe Garrel – et qui sera prochainement chez Verhoeven, dans Benedetta. L’intelligence de son regard s’oppose à l’ambivalence opaque de son personnage, décrit comme frivole par son compagnon. Et, en premier lieu, il y a une véritable révélation avec Tom Mercier, impressionnant dans ce premier rôle exigeant, une vraie mise à nu parfois violente, dégradante, pour un personnage capable de vrais instants de folie. Il a cette diction – tout comme Nadav Lapid, il est israélien – qui nous fait redécouvrir la langue française, une gestuelle qui ne rentre dans aucun cadre, si ce n’est celui de la surprise toujours renouvelée. C’est aussi une des forces du film, sa capacité à façonner son portrait d’exilé sans jamais révéler sa conduite, son prochain virage, sa prochaine séquence. Synonymes n’est pourtant pas une œuvre à la structure éclatée ni au propos confus : les grilles de lecture sont nombreuses mais le film suit une progression narrative parfaitement cohérente.

En débarquant en France, Yoav cherche à épouser un idéal, celui promis par une nation dont l’histoire a été forgée par de grands noms. Mais peut-on vraiment rompre totalement avec ses origines pour se glisser dans une nouvelle identité ? Yoav est constamment tiraillé entre Israël et la France, entre ce qu’il fuit et ce qu’il découvre, cette terre d’accueil fantasmée qui révèle, peu à peu, ses failles, ses paradoxes et limites. Avec son étonnante mise en scène des corps et des couleurs, de la langue et de la musique, Synonymes livre une mélodie détonante, un cri du cœur teinté de rage et d’espoir, de certitudes et d’errements. On touche au sublime, au grandiose, à l’extraordinaire.

4 étoiles

 

Synonymes

Film français, israélien, allemand
Réalisateur : Nadav Lapid
Avec : Tom Mercier, Quentin Dolmaire, Louise Chevillotte, Uria Hayik, Olivier Loustau, Yehuda Almagor, Léa Drucker
Scénario de : Nadav Lapid, Haim Lapid
Durée : 123 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 27 mars 2019
Distributeur : SBS Distribution

 

Article rédigé par Dom

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