Critique : Dogman

Avec Dogman, Matteo Garrone revient à un cinéma viscéral, loin de la fantaisie de Tales of tales, dont la figure centrale, un toiletteur canin, révèle un comédien, Marcello Fonte, Prix d’interprétation masculine du 71ème Festival de Cannes. Entre tendresse canine et bestialité des hommes, voici un drame qui se vit comme une expérience physique. Critique du film.

Montrer les crocs

Choc du premier plan : un molosse aboie au visage du spectateur. C’est l’heure de la toilette pour cet American Staffordshire, dans un bac, soigneusement enchaîné au mur par Marcello (Marcello Fonte), un gringalet à côté de cet impressionnant chien qu’on imagine loin d’approuver ce passage chez le toiletteur. Il y a dans cette scène d’ouverture une grande partie des clés du film, cet amoureux sans limite des chiens, face à une créature impossible à contrôler, qui impose le respect par sa carrure et la puissance reconnue de ses mâchoires. Il faut dompter l’animal, gagner sa confiance – mais est-ce suffisant ? Dans ce quartier pauvre d’Italie, en bord de mer, Simoncino (Edoardo Pesce), cocaïnomane tout juste sorti de prison, fait régner la terreur. Ce n’est pas qu’il soit rattaché à la pègre, mais cette petite frappe s’impose par son physique de boxeur, brute épaisse qui semble capable de briser tout sur son passage, comme dans cette scène où dans la salle de jeux du coin, il démonte littéralement une machine à sous en réclamant au patron 300 euros, ses pertes. Appeler la police ? Pour signer son arrêt de mort au retour de Simone est loin d’être une fine idée. Taraudé par Simone, Marcello s’adapte, déployant dans sa gaucherie une attachante volonté de survie. Simone veut de la drogue ? Il va lui chercher. Simone monte un sale coup ? Il lui vient en aide. Marcello est du genre à ne froisser personne, figure amicale du coin qui n’a trouvé aucune autre solution que de jouer le jeu de Simoncino pour être tranquille, jusqu’au débordement de trop.

Avec une photographie sublime, notamment dans les séquences nocturnes, Matteo Garrone compose une œuvre qui allie un mélange détonnant de tendresse et de violence. Il y a toutes ces scènes avec les chiens, véritablement merveilleuses, dans lesquelles Fonte déploie quelque chose de burlesque dans son rapport aux animaux – le film a d’ailleurs aussi reçu la fameuse Palme Dog à Cannes –, mais il y a également ces bouffées d’oxygène avec la fille de Marcello, dans des scènes de plongée sous-marine qui nous écartent de la désolation, du sentiment de danger omniprésent à la surface, Simone pouvant faire irruption à tout instant. Et ce duo improbable du toiletteur chétif et de la bête humaine dépassera, malgré tous les efforts de Marcello, les limites du tolérable dans ce quartier où les forces de l’ordre brillent par leur absence. Dans sa droiture, le gentil Marcello passe de l’autre côté de la barrière, devenant un ennemi du quartier. Que peut supporter une personne normale avant de craquer, de basculer à son tour vers l’extrême, ultime échappatoire à une impasse sociale qui touche à la criminalité ? En travaillant cette notion avec deux comédiens incroyables, Garrone provoque l’effroi, plaçant son protagoniste dans une situation inextricable qui devient la notre.

Dogman, c’est l’enseigne de Marcello, une enseigne qui résonne comme un nom de super-héros. Un super-héros dont le pouvoir résiderait dans son humanité, ce caractère si paisible et cet amour infini pour le meilleur ami de l’homme, une humanité qui, un temps, se retrouve ébranlée, écrasée par un sursaut de violence, retour de bâton auquel assistent les animaux en silence, le regard inquiet. Témoin des troubles des quartiers défavorisés, Dogman se livre à une fascinante étude de caractère, par ses acteurs, rencontre explosive entre la placidité et l’impulsivité, mais aussi cette trajectoire inéluctable, cette mise en scène dont l’élégance se retrouve troublée par la bestialité à l’œuvre. Aux abords du thriller, Garrone nous évacue de cette région avec une profonde amertume, celle d’avoir à la fois vaincu et perdu. Une œuvre hargneuse et saisissante.

4 étoiles

 

Dogman

Film italien
Réalisateur : Matteo Garrone
Avec : Marcelmo Fonte, Edoardo Pesce, Nunzia Schiano, Adamo Dionisi, Francesco Acquaroli
Scénario de : Ugo Chiti, massimo Gaudioso, Matteo Garrone
Durée : 102 min
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie en France : 11 juillet 2018
Distributeur : Le Pacte

Extrait (VO) :

Article rédigé par Dom

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