Critique : Don’t worry, he won’t get far on foot

Traversant une période difficile avec l’échec de The Sea of Trees (devenu Nos Souvenirs en France), Gus Van Sant retrouve de sa vigueur avec ce nouveau biopic, adapté de l’autobiographie du dessinateur humoristique John Callahan, Don’t worry, he won’t get far on foot. Une œuvre émouvante et drôle qui traite de l’alcoolisme à travers le prisme de la tétraplégie.

Roues libres

Projet de longue date pour Gus Van Sant, Don’t worry, he won’t get far on foot, dont les droits avaient été acquis dans les années 90 par Robin Williams, qui aurait alors interprété le rôle principal, ne se concrétise qu’aujourd’hui, après une longue période de films peu convaincants pour le réalisateur de Will Hunting. Depuis les premiers jets scénaristiques, John Callahan a disparu et Robin Williams aussi. Ce long métrage marque alors les retrouvailles entre Joaquin Phoenix et GVS. Le comédien trouvait son premier vrai rôle cinématographique face à Nicole Kidman dans Prête à tout. C’était en 1995, et en vingt ans, Joaquin Phoenix est devenu un monstre du cinéma américain, prenant le flambeau de son frère disparu prématurément. Une vingtaine d’années avec des rôles marquants d’une grand diversité, lui valant un nombre incalculables de nominations (dont trois aux Oscars, pour Gladiator, The Master et Walk the line) et une poignée de récompenses notables, Golden Globes du meilleur acteur pour son interprétation de Johnny Cash dans Walk the line, la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine pour The Master à Venise et dernièrement, le Prix d’interprétation masculine pour A Beautiful day à Cannes. Combien d’acteurs pourraient saisir ce singulier rôle de tétraplégique accablé par l’alcoolisme sans tomber dans le cabotinage ou l’académisme plombant ? Très peu. Son interprétation de John Callahan n’est pas tout à fait l’ultime corde qui manquait à son arc mais la démonstration indéniable et anti-spectaculaire de son génie, sa capacité à acquérir une gestuelle qui est double ici, le film revenant sur la journée de l’accident de Callahan, mais aussi à distiller une émotion lorsque le comédien est paralysé par le cadre, comme ces gros plans où sur le lit d’hôpital, ses yeux parcourent les traits grâcieux d’Annu (Rooney Mara), la masseuse illuminant sa journée. Et le nouveau film de Gus Van Sant est avant tout un film d’acteurs. Rooney Mara, rare mais parfaite dans chaque scène, complète la bienveillance exquise offerte par un Jonah Hill au visage inhabituel, Donnie, parrain d’alcooliques anonymes, un jeune homme ayant hérité d’une fortune familiale mais condamné par une maladie mortelle.

Ne vous inquiétez pas, il n’ira pas loin à pied, traduction du titre du film et de l’autobiographie de Callahan provient d’un de ses dessins humoristiques. Alcoolique depuis l’âge de 13 ans, Callahan n’allait effectivement pas loin à pied, peintre en bâtiment en état d’ébriété permanent. C’est un accident de voiture suite à une virée sous l’emprise de l’alcool qui le mène à la tétraplégie. Une condition sans remise en question, sans altérer la continuité des cuites à domicile ou dans des parcs jusqu’à une révélation, la rencontre de Donnie et de tout un groupe aux Alcooliques Anonymes. Gus Van Sant ouvre son film avec un montage éclaté presque maladroit, liant un discours de Callahan maintes fois répétés en plusieurs lieux, de la petite salle des AA à une vaste scène où son travail de dessinateur est projeté derrière lui, avec une chute de son fauteuil électrique où il est ramassé par de jeunes skaters – les futurs adolescents de Paranoïd Park ? Le film décolle sans crier gare, lors de la rencontre de Dexter (Jack Black), compagnon de la dramatique soirée où tout basculera pour Callahan. Element comique marqué du sceau de la tragédie, Jack Black excelle aussi dans cette virée à l’issue habilement traitée par Gus Van Sant, dont la mise en scène se partage entre ce faux réalisme documentaire, en multipliant les axes de caméras avec des mouvements de zoom, et une forme plus classique de composition des plans et des échanges.

Malgré l’inégalité procédant à la fois du rythme du montage – certes, liés –, Don’t worry, he won’t get far on foot constitue sans nul doute le meilleur film de Gus Vant Sant depuis Harvey Milk, où il expérimente quelque peu, comme l’emploi de dessins de Callahan animés – parfois au moment idéal, d’autre fois interrompant maladroitement une scène – ou ces balayages de plans témoignant de la routine sans fin du protagoniste. Traitant avec un regard profond de l’alcoolisme et du handicap, où la sexualité est abordée, ce biopic n’est pas l’histoire d’une reconstruction suite à un accident mais d’une construction en surmontant ses démons. Car Callahan n’était rien avant son accident, et rien sans avoir trouvé sa voie et les pistes du salut grâce aux alcooliques anonymes, un groupe poussant les participants hors de leur zone de confort pour se guérir eux-mêmes – groupe où l’on trouve Beth Ditto, Kim Gordon et Udo Kier. En se découvrant des talents de dessinateur à l’humour caustique, en s’affranchissant des douleurs ancrées au plus profond de son être, John Callahan est parvenu à enfin avancer dans la vie, à trouver une place dans la société, à toucher à une forme de liberté morale. En mettant en scène ce singulier destin, Gus Van Sant tisse une belle histoire de rédemption, où l’entraide, la persévérance et le pardon sont salués avec une tendresse remarquable. Epaulé par une bande originale particulièrement séduisante de Danny Elfman, le réalisateur américain renoue avec l’émotion propre à son cinéma avec un Joaquin Phoenix toujours au sommet.

3.5 étoiles

 

Don’t worry, he won’t get far on foot

Film américain
Réalisateur : Gus Van Sant
Avec : Joaquin Phoenix, Jonah Hill, Rooney Mara, Jack Black, Carrie Brownstein, Beth Ditto, Kim Gordon, Udo Kier
Scénario de : Gus Van Sant, Jack Gibson, William Andrew Eatman, d’après le roman éponyme de John Callahan
Durée : 114 min
Genre : Biopic, Drame
Date de sortie en France : 4 avril 2018
Distributeur : Metropolitan FilmExport

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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