[Critique] Maniac (Franck Khalfoun)

Présenté hors compétition au Festival de Cannes 2012, Maniac est un remake du film d’horreur éponyme de William Lustig, produit par Alexandre Aja et Thomas Langmann. Jean-Christophe a découvert le film en avant-première à Paris il y a quelques semaines et nous livre ses impressions plus qu’enthousiastes, ainsi que de nombreuses informations sur la genèse du projet.

Sang pour sang tranchant

Maniac évoque sans aucun doute l’un des classiques cinématographiques les plus frappants de sa génération. William Lustig (cinéaste jusqu’alors tourné vers l’industrie pornographique), le réalisateur de cette première version, appartenant au genre « slasher » dans la lignée de Halloween, fait de son film, en 1980, une œuvre coup de poing devenue aussitôt culte. Sans aucun doute l’un des plus violents et brutaux de sa génération (rien qu’à en juger l’affiche originale) !
L’histoire tournait autour d’un psychopathe, Franck Zito (interprété par le regretté Joe Spinell, The Cruising) qui assassinait sauvagement des femmes sur qui il avait porté son dévolu, les scalpant afin d’orner les têtes de mannequins présentes dans sa chambre. On en savait très peu sur ce Franck Zito, traumatisé dans son enfance par une mère trop autoritaire.

Thomas Langmann (qu’on préfère en producteur plutôt qu’en réalisateur), traumatisé par Maniac, ramène William Lustig à Paris pour lui présenter un éventuel remake par Alexandre Aja. Le réalisateur de la version de 1980 est séduit par le projet. Bien que fan du genre, Aja pense avoir fait son Maniac avec Haute Tension et délegue la réalisation à Franck Khalfoun, à qui l’on doit le décevant Deuxième sous-sol et le direct-to-video Engrenage Mortel. La production encadrant le projet n’est pas des moindres, réunissant ainsi Thomas Langman, Alexandre Aja, Grégory Levasseur et William Lustig !
On était donc en droit de se poser des questions concernant cette relecture de Maniac. Le remake soulève beaucoup de questions de nos jours… Alors, relecture purement pécuniaire ou grand hommage au cinéma de genre ?

Dès l’écriture du scénario, Alexandre Aja confie que le but de ce remake est de travailler les zones d’ombres de la version originale, à commencer par le personnage de Franck Zito, interprété ici par Elijah Wood (déjà aperçu en tueur sanguinaire dans Sin City). Le choix de ce comédien marque ainsi une volonté de se détacher de la version de Lustig, qui présentait un Franck Zito bourru et sanguinaire, campé par un inquiétant Joe Spinell. Dans le Maniac de Khalfoun, Franck Zito nous est davantage présenté comme un personnage solitaire, romantique, même si celui-ci reste totalement torturé, dans l’incapacité de contrôler sa violence extrême. Le personnage s’inscrit davantage dans la veine d’un Norman Bates que du Franck Zito original. Dans la version 2012, Franck Zito est un timide propriétaire d’une boutique de mannequins, qu’il affectionne plus que tout. Il agrafe sur chacun d’eux les scalps de ses victimes pour avoir cette illusion de leur donner vie et de ne pas rester seul.

L’illusion n’étant qu’un berceau, le protagoniste va peu à peu prendre conscience d’une terrible réalité qui l’habite au quotidien, et ce par la rencontre d’une jeune artiste, Anna (interprétée avec justesse par la ravissante Nora Arnezeder), pour qui le jeune homme éprouve des sentiments. Là où le Maniac de Lustig présentait une relation amoureuse peu évidente et pas véritablement crédible entre Joe Spinell et Caroline Munro, celle de Khalfoun s’avère bien plus réaliste et touchante, en partie grâce à la justesse des comédiens et au traitement scénaristique des personnages. Ici, la beauté sert de masque à l’horreur. Les mannequins de Zito sont à son image.

L’image est sans aucun doute l’un des points caractéristiques du film. C’est en choisissant d’utiliser la caméra subjective (près de 95% du film) que la version sauce Aja se démarque de l’originale et transcende les sensations du protagoniste, permettant un rapprochement à la fois physique et psychologique. Le spectateur est pour ainsi dire directement impliqué dans les actes du psychopathe. Les mouvements de caméra sont intelligents et maîtrisés.
La voix-off est un élément essentiel à travers ce choix de mise en scène, permettant au spectateur de pénétrer au cœur d’un esprit totalement torturé, dont nul ne sortira indemne.
La justesse du timbre de voix d’Elijah Wood est pour le moins très intéressante, à la fois doux et inquiétant. L’implication du comédien fut énorme, et même s’il apparaît peu à l’image (miroir/rétroviseur/rêves), sa présence se fait ressentir à chaque plan du film. L’influence du roman Un tueur sur la route de James Ellroy ainsi que du film Le Voyeur de Michael Powell (1960) est inéluctable.
Le tournage ne fut pas des plus simples avoue Aja, l’équipe ayant eu 23 jours pour tourner le film. Avec ce concept subjectif, chaque jour était un nouveau défi, aussi bien pour les techniciens que les comédiens.
Ici, la technique est davantage un élément de narration qu’un but, celui-ci n’étant autre que l’oublie de « la présence » d’une caméra. L’intention n’est autre que de se couper de la grammaire classique. On peut alors parler de concept novateur, digne d’un remake, surtout lorsqu’il s’agit d’un classique irremplaçable.

Là où le premier film présentait l’histoire au cœur d’un New York qui « pue la pisse » (critique ayant marqué le réalisateur Franck Khalfoun pour retranscrire cette sensation), cette nouvelle version de Maniac nous transporte au cœur d’un Los Angeles désert et planant. On est plus proche dans ce remake du chef d’œuvre du danois Winding Refn, Drive (Prix de la Mise en Scène à Cannes en 2011) que de l’original. Le film se tourna au cœur du Downtown de Los Angeles, bien connu d’Aja qui y tourna une partie de son Mirrors.
Aja parle de « cour des miracles » pour caractériser l’endroit. En effet, lorsque la nuit tombe dans le Downtown, l’ambiance change et devient désertique, fantomatique, laissant place à un profond chaos (clochards, toxicos…), cadre dans lequel est amené à se déplacer notre protagoniste.

La composition musicale de Rob (récompensé pour son travail sur Belle Epine) contribue à cette sensation onirique. Venant de l’univers rock électro, influencé par Giorgio Moroder (Scarface, Midnight Express) ou les Goblin (les films de Dario Argento), Rob parvient pour le plus grand plaisir de Khalfoun à retranscrire des émotions plutôt que de livrer de simples illustrations sonores. « Jouir des stéréotypes pour les transcender », telle est la devise de Rob. En effet, Khalfoun désirait donner à sa relecture de Maniac une profondeur, quasi romantique, chose que la musique électronique évoque pour lui. Il y avait cette volonté de retrouver les synthétiseurs et les guitares proches de l’esprit des années 80, ce qui apporte à cette nouvelle version un côté mélancolique, presque rétro, mettant l’intrigue en valeur. À travers le travail de Rob, le spectateur est amené à ressentir diverses émotions, que ce soit de l’angoisse lors des scènes de traques, ou de l’empathie malgré l’horreur commise sous nos yeux. On a envie de pleurer pour Franck Zito, bien que celui-ci soit un monstre commettant des assassinats plus atroces les uns que les autres. Rob confie avoir été le plus inspiré lors du travail sonore pour les scènes de scalps où l’on ne trouve aucune limite. Car cette tendresse, tout comme son personnage, est accompagnée par la folie.

Celle-ci à l’image est sauvage et barbare, le film n’hésitant pas à montrer les scalps en gros plans. Au-delà d’un traitement sonore purement efficace, l’aspect visuel n’en est pas moindre. Toutes les scènes violentes ont pratiquement été conservées au montage final. Le souci du réalisme est cher aux yeux d’Aja. S’appuyant sur des effets spéciaux partagés entre un travail de maquillage et des ajouts numériques, Maniac s’inscrit comme l’un des films les plus réalistes de son genre. Le but n’est autre que de rendre cela le plus transparent possible, et c’est chose parfaitement réussie ! Après la version de Lustig, la barre était haute, Tom Savini s’étant collé aux effets spéciaux à l’époque. Pour ce remake, l’équipe de Khalfoun a collaboré avec la société de maquillage KNB, au personnel formé par Tom Savini lui-même. Aja avait déjà eu recours à cette boîte pour les effets spéciaux de La Colline a des Yeux, Mirrors et Piranha 3D.

Cette relecture de Maniac sera sans aucun doute l’une des plus grandes surprises de l’année 2013, car au-delà d’être un simple film d’horreur, celui-ci use habilement des procédés stylistiques pour appuyer son histoire d’amour impossible. Ainsi, malgré toute la violence contenue dans le long-métrage, le spectateur ne peut s’empêcher d’éprouver de la tristesse pour le personnage de Franck Zito, un personnage au destin tragique comme on les aime…

Remerciements : Allocine

5 étoiles

 

Maniac

Film français
Réalisateur : Franck Khalfoun
Avec : Elijah Wood, Nora Arnezeder, America Olivo, Liane Balaban
Scénario de : Alexandre Aja, Gérgory Levasseur, C.A. Rosenberg d’après un scénario de Joe Spinell
Durée : 93 min
Genre : Thriller, Epouvante-horreur
Date de sortie en France : 2 janvier 2013
Distributeur : Warner Bros. France


Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Jean-Christophe

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Un commentaire

  1. Merci JC pour cet article très détaillé. J’ai manqué le remake à Cannes et j’ai découvert l’original cette semaine. Question effets spéciaux, il est très réussi mais toute la narration en voix off ne fonctionne pas pour moi, par contre je trouve le segment dans lequel il se rapproche de la photographe très intéressant car tu découvres une autre facette du personnage, charmeur, confiant, et ça donne un effet intéressant avec la violence contenue dans ces moments là. Dans le genre, je préfère un « Schizophrenia » de Gerard Kargl, sorti plus tard, moins gore, mais bien plus travaillé en terme de mise en scène.
    Du coup, ce remake peut facilement dépasser l’original pour moi, et tu me mets vraiment l’eau à la bouche, sachant que j’ai déjà adoré « Enter the void » de Gaspar Noé qui exploitait de façon géniale la caméra subjective sur toute la longueur du film. Alors j’ai craqué, j’ai découvert cet extrait des 6 premières minutes du film et j’ai hâte de découvrir la suite http://youtu.be/m7VoszJIgoo

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