Critique : La Voie royale

Se penchant sur le passage à l’âge adulte au travers des études supérieures, La Voie royale de Frédéric Mermoud interroge les classes sociales avec énormément de nuances et de justesse, évitant toute opposition facile. Dans le rôle principal, Suzanne Jouannet, découverte dans Les Choses humaines (2021), s’affirme comme une comédienne saisissante.

Changer le monde

Intégrer une grande école, mais pour quelles raisons ? Accéder à un poste clé au gouvernement ? Gagner un salaire indécent ? Deux options qui peuvent aller de pair, comme en France. Ces écoles peuvent paraître inaccessibles, pour des raisons de l’ordre intellectuel ou social. Sophie Vasseur (Suzanne Jouannet), nous la découvrons au milieu de porcs, dans l’exploitation agricole familiale. Elle met la main à la pâte sans broncher, tout comme son frère aîné dont la route semble toute tracée, avec un avenir maussade : difficile pour les petites exploitations de tenir face aux fermes-usines, à la mondialisation, tout un système destructeur que l’Etat n’a aucun intérêt à modifier – à l’échelle des opulents qui en vivent. Avec ses facilités en mathématiques et sous l’impulsion d’un professeur, Sophie quitte son patelin pour intégrer un prestigieux lycée lyonnais. Deux ans de classes préparatoires sans savoir vraiment où se diriger ensuite. Alors qu’on imagine le conflit familial prendre le dessus dans la narration, La Voie royale montre déjà qu’il ne jouera pas avec des équations basiques – et d’ailleurs, le film alignera des énoncés et formules des plus complexes et véridiques ! Le conflit sera principalement intérieur, même si les interactions avec les professeurs et camarades ont évidemment une influence considérable sur l’état émotionnel et les choix de Sophie. Plongeon dans un nouveau monde. Bizutage léger, une camarade destinée à devenir une amie, Aude (Marie Colomb), mais les premiers accros dès les premiers oraux : si Sophie avait des facilités avant, ici, tout est plus compliqué, et elle n’est pas la seule à se retrouver soudain la tête sous l’eau.

Suzanne Jouannet au tableau dans La Voie royale

Au fil des aléas de cette difficile année scolaire, La Voie royale pousse continuellement Sophie au questionnement, affrontant certains préjugés de part sa condition, la plupart des élèves venant de familles aisées. Écrit par Anton Likiernik, Salvatore Lista et Frédéric Mermoud, le film ne sort pas la carte de la lutte des classes, se positionnant sur un questionnement organique, propre aux expériences de Sophie. Bien sûr, son regard est influencé par son milieu et la question du déterminisme importe au cours du film, qui malgré l’utilisation du Scope, reste toujours près de ses personnages. Suzanne Jouannet incarne brillamment cette jeune femme, avec la versatilité demandée par le rôle. Son visage ouvert, souvent solaire, peut subitement exprimer le fardeau de la pression par des traits qui transforment son front et donnent une autre couleur à son regard. Et lorsque l’émotion la submerge, la bascule dans les larmes semble des plus naturelles. Maud Wyler impressionne aussi en enseignante glaciale, et qui derrière ses réflexions et notes assassines, témoigne d’un formatage lié à cette éducation élitiste. Sans tomber dans l’archétype non plus, elle conserve une vraie part d’humanité. On s’attache même aux personnages qui, le jour de la rentrée, semblaient un brin détestables, voire carrément antipathiques. Les rapports entre les étudiants sont très loin dans ce que l’on pouvait voir par exemple dans La Crème de la crème (2014) de Kim Chapiron.

Maud Wyler dans La Voie royale

Alors que certains jettent l’éponge, que ce soit à cause de leur niveau ou non, Sophie interpelle de plus en plus, car l’une de ses faiblesses réside dans l’incapacité à gérer la pression des examens. Ballottée entre ces aspirations naissantes et encore floues vers l’élite de la nation et un retour à la case départ, Sophie ramène forcément tout un chacun à des moments charnières de la vie scolaire. Porté par des valeurs positives, La Voie royale parachève dans ses dernières séquences un raisonnement qui consolide toutes les forces de ce long métrage. Dans une société sclérosée, et même en péril par les aspirations des classes dominantes, il est impératif de s’armer d’un courage hors-norme en osant emprunter sa propre route. Un long-métrage à la logique passionnante.

4 étoiles

 

Affiche du film La Voie royale

La Voie royale

Film français, suisse
Réalisateur : Frédéric Mermoud
Avec : Suzanne Jouannet, Marie Colomb, Maud Wyler, Maryline Canto, Lorenzo Lefebvre, Cyril Metzger, Alexandre Desrousseaux, Antoine Chappey
Scénario de : Anton Likiernik, Salvatore Lista et Frédéric Mermoud
Durée : 107 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 9 août 2023
Distributeur : Pyramide Distribution

 

Photos du film Copyright Emmanuelle Firman

Article rédigé par Dom

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