Critique : Sabotage

Adapté du manifeste écologique Comment saboter un pipeline d’Andreas Malm, Sabotage de Daniel Goldhaber nous plonge au cœur d’une opération menée par des activistes écœurés par le manque d’action gouvernementale. Un long-métrage prenant, rythmé, et qui, au cours de son d’action radicale, évalue judicieusement toutes les problématiques.

Déflagration écologique

Une jeune femme perce d’un couteau les pneus d’un SUV avant de laisser un message sur le pare-brise. C’est Xochitl (Ariela Barer), qui avec l’aide d’une bande de jeunes venant de différents états, se prépare à une action de bien plus grande envergure au Texas : détruire en plusieurs points un pipeline pour perturber le cours du pétrole. Avec sa mise en scène tout en mouvement, Daniel Goldhaber nous place au cœur d’une action préparée méticuleusement : chaque jeune que l’on découvre détruit son téléphone après avoir reçu un SMS de confirmation et prend la route vers une maison isolée qui sera le lieu de confection de leurs bombes artisanales. Un départ tonitruant qui évoque quelque peu Nocturama (2016) de Bertrand Bonello, avec sa jeunesse qui se confinait dans un centre commercial après avoir commis un attentat. Filmé dans un 16 mm qui donne une facture particulière au film, charnelle et rétro – et qui peut rappeler certains premiers films de Gregg Araki, un élément renforcé par l’âge des comédiens –, Sabotage est un film écologiste qui brille autant par son discours que ses arguments cinématographiques. Au-delà du montage, nerveux, qui nous présente chaque personnage à un moment clé ou de tension, afin de comprendre leur engagement tout en dessinant leur profil, le film bénéficie d’une bande originale fabuleuse signée Gavin Brivik. Les nappes de synthétiseur se succèdent sur un tempo qui nourrit la tension sur toute la durée du film, avec des sonorités électroniques créant un paysage industriel, à la fois stimulant et désespéré – on se situe au confluent d’un Vangelis période Blade Runner (1982) et de Trent Reznor et Atticus Ross période The Social Network (2010).

Ariela Barer dans Sabotage

Face à l’inaction gouvernementale, la radicalité des actions écologiques, après des années de manifestations pacifiques, constituera l’ultime recours. Peut-être pas pour sauver des meubles déjà partis à vau-l’eau, mais pour évacuer une colère noire contre un système abominable, ce capitalisme prêt à tout annihiler jusqu’à rendre notre planète invivable. Dans son ouvrage Petit traité de la décroissance sereine (2007), l’économiste Serge Latouche résume notre plus grand problème : « Il existe une « cosmocratie » mondiale qui, sans décision explicite, vide le politique de sa substance et impose « ses » volontés à travers la « dictature des marchés financiers ». Tous les gouvernements sont, qu’ils le veuillent ou non, les « fonctionnaires » du capital ». Sous la Ve République, aucun président avant Emmanuel Macron n’aura autant participé à cette tâche de vider le politique de sa substance – et même de déformer la langue française, en détournant l’emploi de certains mots. Il n’est donc pas étonnant que l’œuvre d’Andreas Malm à l’origine de ce film soit cité dans le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre suite à l’épisode abominable des méga-bassines de Sainte-Soline. Des « écoterroristes » pour reprendre un mot employé par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur. Si ce qui se déroule dans le film peut choquer certaines personnes, il y a une vraie finesse de regard : tout est réfléchi et analysé, le hasard n’a aucune place ici. Au cours d’une soirée, il y a une mise en perspective de la qualification des actes comme terroristes, avec un appui sur des figures historiques. Sabotage n’est pas une œuvre qui joue la carte de la provocation : il y a quelque chose de salvateur dans l’engagement méthodique et absolu d’une jeunesse sans horizon.

La fabrication d'une bombe dans Sabotage

Quelle incroyable tension lors des séquences dans lesquelles Michael (Forrest Goodluck) s’attelle à la fabrication minutieuse des explosifs et détonateurs. Une tension qui atteint son paroxysme lorsqu’il faut installer les bombes artisanales. Malgré un plan en apparence parfait, un grain de sable s’immisce dans la mécanique, remettant en question l’exécution complète de l’action, ce qui génère un suspense diffus. Rarement l’écologie n’aura donné lieu à un film aussi tendu et captivant, et si ce film indépendant ne bénéficie pas d’une distribution massive, on ne peut que conseiller de se jeter dans les cinémas le diffusant.

4 étoiles

 

Affiche du film Sabotage

Sabotage

Film américain
Réalisateur : Daniel Goldhaber
Avec : Ariela Barer, Forrest Goodluck, Sasha Lane, Jayme Lawson, Lukas Gage, Kristine Frøseth, Marcus Scribner, Jake Weary, Olive Jane Lorraine
Titre original : How to blow up a pipeline
Scénario de : Ariela Barer, Jordan Sjol, Daniel Goldhaber, d’après une œuvre d’Andreas Malm
Durée : 104 min
Genre : Thriller, Drame
Date de sortie en France : 26 juillet 2023
Distributeur : Tandem

 

Photos du film Copyright Tandem Films

Article rédigé par Dom

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