Critique du film Interstellar

interstellar

Seulement deux ans après la déception The Dark Knight Rises, Christopher Nolan livre un nouveau film de science-fiction loin du conceptuel Inception, tablant sur un geste plus classique de l’exploration spatiale, motivée par la survie de l’espèce humaine. Une œuvre sublime, dont les détails narratifs ne seront pas abordés dans cet article afin de préserver tout plaisir de découverte.

Epopée cosmique

En 1968 il y a eu 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, en 1997 Contact de Robert Zemeckis, et 2014 ajoute une nouvelle pierre à l’édifice des films d’exception portés sur les étoiles et au-delà. Malgré le manque de recul, il n’est pas présomptueux de déclarer d’ores et déjà qu’Interstellar fera date dans le monde de la science-fiction. Bien entendu, il y a eu d’autres grands films explorant l’espace ou la possibilité d’une vie extraterrestre. L’année dernière encore, Gravity d’Alfonso Cuarón offrait une expérience inédite et intense. Mais le nouveau film de Christopher Nolan joue au-delà de la cour des grands, proposant une expérience riche qui concentre densité de théories scientifiques et images extraordinaires, intimisme familiale et immensité spatiale. A la croisée des chefs d’œuvre de science-fiction de Kubrick et Zemeckis, Interstellar est le film le plus émouvant de son auteur – en dehors du Prestige, le cinéma de Nolan a souvent été froid. Une évolution qui s’explique dès l’origine du projet : c’est Steven Spielberg qui devait réaliser ce film avec pour scénariste Jonathan Nolan. Pour des raisons d’emploi du temps, le réalisateur de Rencontre du 3ème type et de E.T. abandonne le navire au profit de Christopher Nolan. La place chère aux relations filiales de Spielberg se retrouve au cœur de ce film qui se déroule dans un futur proche mais indéfini, où l’avenir de l’humanité est menacé par les difficultés croissantes à cultiver et des tempêtes de poussière de plus en plus nocives. Seule issue, trouver un nouveau monde viable au cours d’une mission spatiale menée par Cooper (Matthew McConaughey), ancien pilote et ingénieur reconverti à l’agriculture suite à un accident.

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Interstellar est le fruit d’un héritage de trois générations de cinéastes, de Kubrick à Nolan en passant par Spielberg. Guère étonnant d’y voir une représentation monolithique des robots assistant l’homme – bien que cet aspect « initial » présente de nombreuses surprises – mais surtout de voir ce récit se concentrer sur les liens entre ses protagonistes. Car Cooper laisse sur Terre sa jeune fille, Murphy et son fils Tom à la charge de son beau-père (John Lithgow). Passionnée de science et de phénomènes inexplicables, c’est Murphy qui souffre le plus du départ de son père qui lui a promis de revenir. Mais quand ? Sur Terre, l’éminent professeur Brand (Michael Caine) se voit séparé de sa fille Amelia (Anne Hathaway), également partie à la découverte d’un potentiel nouveau monde. Contrairement à la grande majorité des films catastrophe où l’humanité est en péril, il n’y a aucun héroïsme outrancier ni aucun soutien planétaire pour l’équipe partie au-delà de Saturne : la mission se déroule dans le plus grand secret, permettant à Interstellar de toujours travailler la fibre intimiste. L’absence d’un père, l’absence d’une fille, l’absence de certitude forment un trou noir émotif dans lequel sont aspirés Matthew McConaughey, poignant, et Jessica Chastain, magnifique de justesse. Il y a peut-être un symbole fort en début de mission, Cooper, assis aux côtés de Romilly (David Gyasi), se réchauffe avec une couverture rouge faisant presque office de cape. De là à y voir une métaphore du super-héros au travers du personnage de Superman, il n’y a qu’un pas. Sa kryptonite ? Le lien brisé avec Murphy. Sa force ? Son humanité et sa rigueur scientifique.

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A l’heure du tout numérique et de la 3D, Christopher Nolan continue d’asseoir sa position de fervent défenseur de la pellicule et d’adepte de l’IMAX. Tourné en 35 et 65 mm, ce film avoisinant les trois heures (passionnantes) affiche une sublime patte rétro, d’autant plus que la projection presse au Gaumont Marignan était en 35 mm – seule salle qui proposera le film en 70 mm en France, le Grand Mercure d’Elbeuf. Porté sur le réalisme et l’utilisation minimale d’effets numériques et de fond vert – certes, certaines séquences spatiales impliquent le recours aux nouvelles technologies –, Nolan offre une aventure au réalisme époustouflant, où le fascinant et tétanisant silence spatial côtoie une bande originale inspirée de Hans Zimmer – qui trouve pour sources la bande originale de 2001 : l’odyssée de l’espace et certaines compositions de Philip Glass. La narration du film évolue au gré de rebondissements superbes et de théories scientifiques où il est autant question de trou noir, de trou de ver que de singularité et de relativité. D’aucuns pourront pointer du doigt la complexité du langage scientifique parfois employé par le film, le physicien Kip Thorne ayant collaboré au scénario, mais pourtant, l’axe principal reste à la portée de tous, puisqu’il s’agit toujours de garder le noyau familial et l’amour au cœur de cette aventure riche en suspense et moments d’une intensité folle. Autant stimulante sur le plan intellectuel qu’émotionnel, cette épopée captivante au montage souple positionne le spectateur comme unique élément de liaison entre une planète agonisante et un groupe d’astronautes portant le destin de notre espèce. Fantastique et renversant, ingénieux et émouvant, on pourrait se livrer à un simple étalage de superlatifs pour qualifier Interstellar en attendant l’heure des passionnants débats, quand tous les aventuriers auront embarqué pour ce prodigieux voyage. Un voyage qui, sans nul doute, fera naître des vocations pour l’aérospatiale ou le cinéma, deux milieux qui nous rapprochent du scintillement merveilleux des étoiles.

5 étoiles

 

Interstellar

interstellar-afficheFilm américain
Réalisateur : Christopher Nolan
Avec : Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Wes Bentley, Michael Caine, Jessica Chastain, John Lithgow, David Gyasi, Casey Affleck
Scénario de :
Durée : 169 min
Genre : Science-fiction, Drame
Date de sortie en France : 5 novembre 2014
Distributeur : Warner Bros. France

Bande Annonce (VOST) :

Article rédigé par Dom

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13 commentaires

  1. Totalement en phase.
    Ca fait plaisir de lire enfin une critique qui ne s’amuse pas à démolir la sublime et vertigineuse ambition de ce film.
    C’est le syndrome Français. Un film est attendu pendant plusieurs mois et le grand bonheur des critiques et des courageux rottweilers du net (qui sont tous de grands réalisateurs) est de pilonner l’oeuvre.
    *A l’époque de sa sortie, 2001 était loin de faire l’unanimité. Aujourd’hui c’est un monument adulé par tous.
    Interstellar restera. Quoi qu’en pense aujourd’hui tous ces « petits génies » qui dès leur arrivée en projection-presse avait sorti l’artillerie… Parmi les détracteurs de cette merveille se trouve des types qui se sont régalés devant « Qu’est ce qu’pn a fait au Bon Dieu »…
    Il faut un certes un cerveau mais aussi un coeur pour mesurer l’incroyable « générosité » de cette prodigieuse « expérience » cinématographique qu’est Interstellar.
    Merci pour cette belle et « généreuse » critique qui a le mérite de briller bien au-dessus des autres.

    Francisco.

  2. J’entends d’excellents échos pour ce film.
    Effectivement l’ astrophysicien Kip thorne est un spécialiste des trous noirs entre autre. ça apporte surement beaucoup au film ^_^ J’ai hâte d’aller le voir!

  3. Francisco, c’est pour toi 🙂
    Je débarque sur ce site depuis un lien sur un forum.
    J’ai beau me frotter les yeux à plusieurs reprises et relire le titre : « critique du film » ???

    Je crois plutôt que ce texte est un extrait du dossier de presse :
    « Une œuvre sublime » « Nolan joue au-delà de la cour des grands » « des rebondissements superbes » « aventure riche en suspense et moments d’une intensité folle » « épopée captivante » … N’en jetez plus !
    C’est tout ce que vous avez comme « critique » ? Pas une seule réserve ?

    Si je n’avais pas vu le film, ça me laisserait pour le moins dubitatif. Mais je l’ai vu et il y a de quoi se tordre de rire. Interstellar est très, très loin du chef d’oeuvre décrit ici. C’est un mélo calamiteux qui ne s’assume pas, caché derrière le prétexte de la science-fiction.
    Nolan s’est en effet toujours pris pour Kubrick. Mais seuls les gamins incultes peuvent y croire. Comparer Kubrick et Nolan revient à comparer Michel-Ange et mon beau-frère sous prétexte que l’un comme l’autre repeignent des plafonds.
    Il y a au coeur de chaque film de Kubrick une profonde réflexion sur la nature humaine, totalement absente ici. Si ce n’est « l’amour c’est ce qu’il y a de plus beau ». LOL, non ?

    Budget de 165 millions. Il y a en effet de quoi faire quelque jolies prises de vues. Mais quel ennui ! Quel manque de lyrisme, d’imagination, de rythme, d’émotion, et de propos ! Et ce score plat et pourtant assourdissant de Zimmer pour tenter d’épicer le prêchi-prêcha scientifico-philosophico-familial…
    Non, ni ce film, ni aucun autre de Nolan, à part peut-être Memento, ne seront étudiés dans 20 ans dans les écoles de cinéma, Francisco. Je ne suis pas un « petit génie », mais toi tu manques singulièrement de recul. L’histoire jugera. A ce moment-là, nous en rirons tous les deux autour d’un bon verre.

  4. Franchement d’accord avec cet avis positif et circonstancié. Je suis allé voir le film au Pathé de Beaugrenelle, et même à 14 € l’entrée, j’ai vécu une véritable expérience cinématographique, je n’ai pas simplement été voir un film sur grand écran. L’écran de 18 mètres de large et l’installation sonore sont d’un niveau que je ne connaissais pas (le sol tremblait littéralement au début lorsque Cooper rêve de son crash, je me suis demandé s’il n’y avait pas des enceintes au sol).

    Cet aparté matériel mis à part, j’ai trouvé ce film proprement révolutionnaire. La lenteur du début me semble on ne peut plus justifiée et je ne me suis pas ennuyé une seconde. Dans la tradition des grands Spielberg qui prenait le temps de bien installer chaque personnage dans son milieu. Passée la première heure des allers retours entre la Terre et la mission spatiale apparaissent mais ne m’ont absolument pas gêné contrairement à ce que j’ai pu ressentir sur d’autres films où il n’y a pas d’unicité de lieu (la trilogie seigneur des anneaux me pèse rien que pour ces allers retours incessants).

    Le jeu d’acteur est excellent à tout point, Matthew McConaughey en tête. Sa performance m’a époustouflé, j’avais l’impression que l’acteur ressentait physiquement ce qu’il montrait à l’écran. Anne Hathaway confirme si besoin était qu’elle est capable de jouer autre chose qu’une écervelée et ça fait du bien tant elle sait être crédible également. La sensibilité qui transpire du film a failli m’arracher des larmes à deux reprises.

    Enfin, malgré une certaine allergie à Hans Zimmer, du moins je ne lui trouve guère le talent qu’on lui reconnaît tant je trouve qu’il se répète sans cesse, force est de constater que j’ai trouvé du neuf dans la BO qu’il nous a proposée. Elle accompagne très bien le film et marque indubitablement le spectateur.

    Au final, un film très ambitieux et parfaitement maîtrisé. J’avais grandement apprécié Gravity, mais Intersellar m’a carrément scotché, et force est de constater que Nolan joue dans la cour des très grands. Je pense que le prochain réalisateur qui voudra sortir un film de SF devra poser sa pair sur la table, parce que là, la barre est rudement haute. Autant la technique est parfaitement maîtrisée, autant le scénario est tellement bien ficelé que ce film durera à n’en point douter, même quand ses effets visuels paraîtront dépassés.
    Mon top film dans la catégorie (je précise que j’ai été incapable de regarder le 2001 de Kubrik plus d’une demi heure…).

  5. « je précise que j’ai été incapable de regarder le 2001 de Kubrik plus d’une demi heure… »

    KubriCk, s’il te plaît. Et tu t’en vantes. Tout est dit.

  6. Pas de soucis Pompomnazz, tu peux même qualifier ce film de grosse meringue si ça te chante. Venant d’un type qui ne tient pas plus d’une demi-heure devant 2001 ta « critique » est tout à fait cohérente.

  7. Je n’aime pas répondre à des commentaires car on est sur un forum, pas sur un « tchat », mais Pomponazzo : je ne me vante pas, je le précise pour que ceux qui sont dans mon cas se disent peut-être que ce film est pour eux.
    Et puis au vu des avis postés ça et là sur internet, il est fréquent d’opposer les deux films alors la précision ne me paraît pas inutile.

    Il est vrai que mon avis (je ne prétends écrire une critique) ne présente que du positif. Désolé mais même 36h après l’avoir vu, je ne parviens pas à mettre en avant de points négatifs. Il y a bien un petit détail ou deux qui me semblent en dessous des autres mais il s’agit d’aspects du scénario qu’il est difficile d’aborder sans dévoiler l’intrigue donc je m’abstiens pour ne pas spoiler.

  8. Francisco, tu es carrément à côté de la plaque. Ce n’est pas moi qui répugne à regarder 2001, c’est Guillaume. Quand on manque à ce point de curiosité, il est normal de s’extasier devant Gravity et autres Nolâneries.

  9. T’es mignon Pomponaz, tu sais.
    Voir un petit mec qui pense que le cinéma s’apprend à l’école être « tout colère » au pied d’un grand film est un spectacle qui m’a toujours amusé.
    Heureusement, les films restent. Les critiques disparaissent.
    Hélas, Interstellar fait effectivement parti de ces films passionnants que l’on étudiera jamais dans les écoles de cinéma en France. C’est bien pour cette raison que notre production est aujourd’hui aussi anémique et tristement référentielle.
    Je fais parti de ceux qui considèrent que le cinéma est entré dans une nouvelle dimension en 1999 avec Matrix et Fight Club. C’est ma Nouvelle Vague à moi.
    En France, à part quelques francs tireurs comme Jacques Audiard, Olivier Marchal ou Gaspard Noé quel sont les cinéastes qui ont une manière unique d’interroger le réel sans se la jouer Truffaut ou Godard? Ce prêchi-prêcha de maître à élève parasite 90 % de notre cinéma.
    Tes petites remarques d’étudiants échangent les avec tes camarades de jeu. Et s’il te plait, ne devient jamais réalisateur. Pour faire un film il faut certes un cerveau mais surtout du coeur.
    Merci.

  10. Bonsoir,
    Tout d’abord, merci pour vos commentaires, auxquels je ne pouvais pas répondre pour cause de tournage – ni le prochain Nolan, ni le prochaine Kubrick, eh oui.

    Je vais surtout répondre au premier message de Pomponazzo :
    Comme précisé, l’article ne creuse aucun aspect narratif du film, m’empêchant d’aborder de nombreux points du film – mais un nouvel article suivra dans les jours à venir. Oui, je me livre à un concert d’éloges, mais mes mots sont sincères et non extrait d’un dossier de presse – dossier que je n’ai d’ailleurs pas consulté !

    Je comprends qu’on peut aussi ne pas aimer « Interstellar », mais pourquoi vouloir chercher des intentions au réalisateur ? Indéniablement, des images convoquent « 2001 » dans ce film. Est-ce que ce film cherche à se livrer à une profonde réflexion sur la nature humaine ? J’en doute, et pourtant, il y en au travers de personnages clés (comme le Dr. Mann, sur la planète de glace).

    Peut-être qu’il y a peu de place au lyrisme ici, mais l’émotion (et même le sens du rythme) y sont. Il y a des scènes déchirantes : le décollage, la découverte des messages des enfants, la séparation vers le trou noir, …

    Oui « Interstellar » se porte sur un message d’amour, et c’est aussi ça qui le rend très beau – désolé si cela ne t’évoque qu’un « lol ».

    Guillaume, c’est tout de même dommage de ne pas donner sa chance à « 2001 » qui est un film immense et intemporel.

  11. Merci de tes conseils Francisco. Je vais de ce pas remettre toute ma vie en question, j’ai été sans coeur jusqu’à aujourd’hui et je le regrette amèrement. Je vais pouvoir revoir Fight Club et Matrix sous un nouveau jour grâce à toi.

    Je ne suis pas français, et j’ai passé l’âge d’être étudiant depuis des lustres. Je ne connais pas les écoles de cinéma chez vous, ni d’ici d’ailleurs. Ton mépris pour quelqu’un qui a une opinion différente de la tienne en revanche est bien français, mes compliments.

  12. Je t’invites alors à fumer le calumet de la paix mais seulement si tu daignes relire ta critique à tête reposée et y cueillir délicatement les raisins de la colère qui y fleurissent…
    Sans rancune
    Francisco.

  13. C’est beau ce que tu écris, Francisco. Moi je dévore littéralement les fruits de la passion du cinéma qui parsèment tes critiques.

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