Les Arcs 2019 : écho splendide

Troisième journée sur la montagne avec trois découvertes cinématographiques, de Norvège, Islande et des Pays-bas avec, respectivement, Disco de Jorunn Myklebust Syversen, Echo de Rúnar Rúnarsson et Instinct de Halina Reijn. Un beau programme exclusivement au Taillefer. Officiellement la soirée devait se dérouler chez Luigi, mais nous avons succombé à l’appel de la yourte Nomade !

C’est souvent au petit-déjeuner que les rencontres débutent aux Arcs, quand les festivaliers investissent le Manoir Savoie avant de gagner les salles, les ateliers de travail ou les pistes. Croiser Aure Atika entre les fromages et les fruits c’est se demander si l’on est coiffé convenablement, dans le doute, un sourire probablement niais doit arranger le tableau. Qu’importe quand on verse du café dans une théière, il faudra quelques heures pour vraiment rentrer dans cette journée qui débute par une conversation prenante avec Tom de Cinéma Defacto, dont quelques films sont passés aux Arcs, comme La Mauvaise réputation d’Iram Haq ou encore L’Autre continent de Romain Cogitore. On évoque l’expérience de la salle, de beaux projets disparus, et des films de la journée, dont Disco, dans la section Playtime, à découvrir à 13H au Taillefer.

Malgré son titre si évocateur et la pratique de la danse compétitive de sa protagoniste, Disco est loin de la saveur enivrante d’un tube d’Abba. La réalisatrice Jorunn Myklebust Syversen nous plonge dans l’univers insidieux de communautés chrétiennes en Norvège. Mirjam (Josephine Frida) vit dans une famille pratiquante et très active dans leur paroisse ultra contemporaine, baptisée « Liberté », une liberté dont est paradoxalement privée Mirjam qui doit se consacrer exclusivement à la foi lorsqu’elle n’est pas occupée par la danse, milieu où l’on ne sent même pas la jeune femme s’épanouir malgré les trophées. Mirjam est une prisonnière dans un milieu qui se montre parfois ridicule mais parfois terrifiant, comme lors de cette scène surréaliste où un jeune homme homosexuel doit être « guéri de son mal. » La réalisatrice norvégienne s’est longuement documentée afin de réaliser ce film à charge sur les travers de la religion, capable d’opprimer jusqu’à briser un être dans des sociétés qui semblent pourtant à l’abri de tels maux. On pourra regretter simplement le caractère stagnant de ce long métrage qui explore un milieu si néfaste sans chercher à y faire évoluer sa protagoniste. Certes, cela appuie le propos, mais le film aurait alors gagné à écourter certaines séquences.

Visage familier du festival, l’islandais Rúnar Rúnarsson a déjà remporté la Flèche de Cristal avec Sparrows en 2015. Echo, son nouveau long métrage, en compétition, saisit quelque chose d’absolument sublime grâce à un concept captivant, à savoir celui de capturer, en plan fixe, des fragments de vie sur le territoire islandais. Sans aucun acteur, avec une démarche qui tient parfois du documentaire, Rúnarsson compose une fresque où l’anodin du quotidien trouve parfois un caractère merveilleux. Il n’y a pas de volonté de constituer des saynètes ici, mais plutôt d’embrasser toute une société, tout en montrant le passage du temps dans cette démarche, le film se déroulant quelques jours avant Noël pour s’achever après le début de la nouvelle année. Echo trouve aussi son émotion par ses plans qui se répondent, qui se font écho, parfois à la suite, mais plus souvent avec une distance bien plus grande, renforçant la poésie de cette œuvre. La mort précède la vie, la convivialité se tempère avec la solitude, et les bribes de conversations apportent un éclairage sur cette île si particulière par son climat. Rares sont les œuvres à saisir quelque chose qui tient du réel tout en lui offrant un caractère profondément cinématographique avec une vraie forme de simplicité. Tout est une question de rythme de cadres soigneusement composés. Véritable bijou, Echo apparaît comme un sérieux prétendant à un prix majeur à la fin du festival.

Lors de l’échange avec le public, Rúnar Rúnarsson nous éclaire sur sa démarche et sa méthode de travail pour ce film particulier. Il nous confie avoir toujours pris des notes sur ce qu’il voit au quotidien depuis l’adolescence, élément déterminant pour la conception de ce long métrage, précise les conditions de tournage de certains plans ainsi que le processus de montage.

On termine le programme de films du jour avec Instinct de Halina Reijn, premier long métrage de cette artiste alors connue comme comédienne, notamment à l’affiche de Black Book de Paul Verhoeven où l’on trouve aussi son actrice principale, Carice Van Houten – les deux femmes sont amies depuis leur école de théâtre, chose que j’apprendrai un peu plus tard lors d’une interview que je retranscrirai pour la sortie du film (mise à jour : le film est disponible sur OCS depuis le 2 décembre 2020, voici l’interview d’Halina Reijn et Carice Van Houten). Inspiré de faits réels, ce film suit le terrible face à face d’une psychiatre face à un dangereux prédateur sexuel. Sa mission, déterminer s’il peut être libéré. Carice Van Houten campe un personnage fort mais qui, au fil des scènes, se montre de plus en plus vulnérable, gagnée par un doute venant jusqu’à troubler sa perception du réel. Le film développe une tension qui ne cesse de croître au fil des échanges entre Nicoline et Idris (Marwan Kenzari), d’autant plus que les patients de cet hôpital ont énormément de liberté de mouvement dans l’établissement ainsi que des permissions de plusieurs heures à passer à l’extérieur. Mêlant désir et répulsion, Instinct aborde autant les violences faites aux femmes que les terribles mécanismes de domination. Si l’on pense qu’Idris va faire de Nicoline une cible, on peut aussi penser comme les autres thérapeutes, qu’il est bientôt apte à rejoindre pleinement la société, que ses paroles et actions ambiguës ne sont que de mauvaises interprétations de Nicoline. Et tout comme cette femme célibataire, s’interrogeant aussi sur ce point, le doute gagne le spectateur et chaque interaction entre les deux protagonistes provoque un malaise profond. Une belle réussite, avec deux rôles extrêmement fort, et Carice Van Houten prend une belle option sur le prix d’interprétation.

Halina Reijn et Carice Van Houten

La séance s’achève par une session de questions et réponses et j’ai la chance de me retrouver ensuite dans une conversation entre Halina Reijn, Carice Van Houten et Isabelle Huppert, l’ambassadrice du Talent Village. S’en suit une passionnante interview avec les deux artistes néerlandaises où j’ai la joie d’être félicité par la pertinence de mes questions alors que l’entretien, axé sur le film tout juste vu, n’a pas pu être préparé. A suivre !

Au Village 1950, Fishbach et un DJ set occupent le sous-sol chez Luigi à partir de 22H30, mais l’appel de la yourte Nomade est trop fort. D’abord en petit comité, nous sommes rejoins par de nombreux festivaliers au cours de la nuit et croisons de nouveaux arrivés, comme Gaspard Ulliel et Finnegan Oldfield. A l’intérieur, c’est un véritable dancefloor surchauffé, à l’extérieur, une patinoire qui aide à réaliser certains mouvements parfois périlleux. La clôture nous repousse vers le centre du village pour gagner O’Chaud au rythme d’une bataille de boules de neige revigorante. Qu’il est bon de se sentir un peu gamin dans ce genre de soirée !

Article rédigé par Dom

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