Instinct : Entretien avec Halina Reijn et Carice Van Houten

Lors de la 11ème édition des Arcs Film Festivals, l’actrice et réalisatrice hollandaise Halina Reijn présentait en compétition son thriller Instinct, où brille Carice Van Houten, qui l’accompagnait d’ailleurs en Savoie. J’ai eu la chance de m’entretenir avec ces deux artistes à l’issue de la projection du film au Centre Bernard Taillefer aux Arcs 1800, pour parler de la genèse du projet, du tournage mais aussi de la place des femmes dans le cinéma. Un long métrage que vous pouvez découvrir sur OCS depuis le 2 décembre 2020.
En photo ci-dessus, Frédéric Boyer, directeur artistique des Arcs Films Festival, Halina Reijn, Carice Van Houten et la traductrice Massoumeh Lahidji.

« On fait ça parce qu’on veut que les gens se sentent moins seuls. »

Dans Instinct, Carice Van Houten campe une psychiatre en milieu carcéral, Nicoline, qui doit déterminer si un prédateur sexuel campé par Marwan Kenzari, Idris, est apte à retrouver une liberté complète. Il s’agit du premier long métrage réalisé par Halina Reijn.

Halina, Instinct est votre premier long métrage. Avez-vous réalisé autre chose auparavant ?

Halina Reijn : Non jamais. Je suis avant tout une comédienne de théâtre et j’y ai appris énormément. J’ai aussi joué dans des films et j’ai toujours souhaité réaliser. Sur les planches ou sur un plateau, j’ai toujours observé attentivement les metteurs en scène et pris des notes mentalement. On peut dire que c’est ça ma formation !

Est-ce que vous avez rencontré des difficultés pour produire ce film, puisque c’est votre premier projet ?

HR : Oui. En fait nous l’avons coproduit ensemble avec Carice, et nous avons dû faire nos preuves face au fonds cinématographique néerlandais (le Nederlands Filmfonds, N.D.L.R.), qui s’est montré à juste titre sceptique. J’ai dû démontrer pourquoi je souhaitais tourner ce film, de quelle manière, ce qui a été un processus assez long mais que je trouve très juste. J’ai aimé la façon dont nous avons été traitées mais j’ai aussi apprécié leurs réticences, qui nous ont poussé à nous battre encore plus pour nous retrouver encore plus préparées.

Où-vous êtes vous rencontrées ? Sur un plateau de cinéma ?

Carice Van Houten : Nous nous sommes rencontrées il y a 20 ans, nous nous étions inscrites à la même école de théâtre (l’Académie de théâtre de Maastricht, N.D.L.R.).
Halina Reijn : Et nous sommes meilleures amies !

Halina Reijn et Carice Van Houten lors de la présentation du film au Centre Bernard Taillefer

Lorsque je leur demande combien de projets elles ont partagé, les deux femmes peinent à s’accorder sur le chiffre, trois ou quatre, voire plus. Elles s’interrogent et Carice énumère alors posément, «  il y a une pièce de théâtre, un livre (Anti glamour, N.D.L.R.) et quatre films ». Halina continue : « Et donc Instinct, et une série télévisée qui sortira en 2020, Red Light. »

Carice, vous êtes donc coproductrice du film, est-ce que vous deviez interpréter le premier rôle féminin dès le départ ?

Carice Van Houten : Oui, heureusement je n’ai pas eu à passer de casting. J’étais très heureuse d’être attachée au rôle dès le départ. Egalement, étant coproductrice, c’était très agréable pour moi d’être impliquée dans ce projet plus que je ne l’avais jamais été auparavant. C’est vraiment bien d’avoir monté notre société de production ensemble (Man Up Film, N.D.L.R.). Aussi parce que cela permet de plaisanter, de prendre du plaisir, même si cela reste un travail sérieux.

Et c’est probablement plus simple de relâcher la pression après certaines scènes extrêmes ?

CVH : Oui exactement, nous avons beaucoup ri !

Est-ce que vous avez rencontré des psychiatres pour écrire le personnage de Nicoline et l’interpréter ?

CVH : Oui, nous avons fait un grand travail de recherche. Nous avons rencontré différents types de psychiatre qui travaillent en prison, et pour moi l’un d’entre eux m’a beaucoup aidé. Ils ont tous une approche différente de leur métier, il n’y a pas de règles strictes, de guide à suivre « voilà comment la psychiatrie fonctionne. » Il y a énormément de façons de mener une thérapie. Ce qui nous a donné de la liberté avec le personnage, qui a également ses propres méthodes.

Est-ce que vous avez filmé dans un véritable établissement pénitentiaire ?

Halina Reijn : Nous avons tourné dans une vraie prison désaffectée et nous avons tourné à l’étage où étaient traités les détenus avec des problèmes psychiatriques. C’était vraiment utile d’être dans ce cadre qui nous procurait une sorte d’énergie authentique.

Dans la première scène, quand nous découvrons Nicoline, nous la percevons comme une femme extrêmement forte, mais au fil du film, scène après scène, elle devient de plus en plus fragile. Est-ce que vous avez tourné le film dans l’ordre chronologique du scénario ?

CVH : Alors la première scène a été tournée le tout premier jour de tournage.

HR : A chaque fois que nous le pouvions, nous tournions les scènes dans l’ordre chronologique. La grande exception étant la dernière scène, quand elle entre dans la cellule d’Idris, car nous devions ensuite quitter la prison pour tourner les scènes au domicile de Nicoline. C’était assez complexe pour moi car il y a tellement de scènes importantes chez elle, et je me demandais dans la prison comment prévoir exactement ce que nous tournerions plus tard. Alors on tournait plusieurs prises avec des variations dans le jeu, et je croisais les doigts pour que tout cela puisse avoir du sens une fois terminé !

Carice Van Houten et Marwan Kenzari : un face à face complexe

Je félicite Carice Van Houten pour son jeu troublant, son personnage semble perdre pied avec la réalité et pour nous aussi en tant que spectateur, il devient de plus en plus difficile de lire dans les intentions de Nicoline et d’Idris au fil du film. La comédienne me remercie et lorsque je leur demande si une œuvre comme A la recherche de Mr. Goodbar de Richard Brooks a pu influencer Instinct, Halina et Carice m’en demandent un peu plus sur ce long métrage qu’elles aimeraient découvrir.

Carice, lorsque vous travaillez avec une réalisatrice comme Halina, qui est également comédienne, qu’est-ce qui diffère sur le plateau, et peut-être aussi dans l’approche du personnage ?

Carice Van Houten : C’est différent car elle connaît mon métier, mais aussi parce que nous nous connaissons tellement bien. J’ai vraiment confiance en elle, en son regard. Je l’adore aussi en tant qu’actrice. Mais les différences ne viennent pas seulement du fait que Halina soit aussi actrice, puisque cela ne vous donne pas forcément les qualités nécessaires pour réaliser ni pour diriger des comédiens. Elle a une capacité à créer une atmosphère où les acteurs sont à l’aise. Elle obtient ce qu’elle veut de vous mais elle vous y conduit en douceur. Et pour la plupart des acteurs, c’est important de se sentir en sécurité de la sorte. Et ça, elle le sait parfaitement.

Est-ce que la réalisation vous intéresserait aussi ?

CVH : J’en rêve un peu parfois mais tout en sachant intuitivement que je ne suis pas encore prête pour ça. Peut-être que cela viendra à l’avenir, mais c’est une pensée encore lointaine. Il faudrait que je sois parfaitement prête et organisée pour me lancer.

Halina, lorsque vous tourniez le film, aviez-vous un conseil de cinéaste en tête ou bien vous référiez-vous à une chose que vous avez vu sur un plateau comme actrice ?

HR : J’ai souvent pensé à un conseil qui m’a été donné par Paul Verhoeven, qui m’a dit « si tu veux faire un film, cela demande tellement d’énergie et c’est tellement difficile que tu dois t’accrocher à une question primordiale. » Et pour moi, cette question c’est « pourquoi est-ce que je fais des choses aussi autodestructrices ? » Et cette question que l’on partage avec Carice nous a aidé à nous connecter pleinement avec le projet du film, ce qui te pousse à avancer. Parce qu’à chaque fois que tu rencontres un refus, tu gardes cette problématique à explorer. Cela m’a vraiment aidé. Et sinon la patience, il faut énormément de patience et un bon conseil qui m’a été donné par un ami est de prendre des notes pendants le tournage des scènes, derrière l’écran de retour : écrire quelques idées sur un bout de papier, et ainsi, quand tu vas auprès de tes acteurs après la prise, tu sais exactement ce que tu veux leur dire. Ce qui permet de perdre moins de temps et de garder un certain rythme. Tu ne peux pas retenir tout ce que tu as à leur dire, surtout quand il y a des prises longues. Et même lorsqu’ils sont très bons, il faut rester active, défier ses acteurs, car on peut facilement se dire que la prise est parfaite et qu’on passe à la suite. On peut se perdre dans les yeux de Carice et de Marwan, car ils sont tous deux fantastiques. Ecrire au cours des prises m’a beaucoup aidé et c’est un conseil que je donnerais à tous les jeunes cinéastes. Et puis la préparation est capitale !

Il y a derrière Instinct une histoire vraie que vous avez découverte dans un journal. Quelle a été l’impulsion pour en faire un film ?

HR : C’était en fait un reportage dans un journal télévisé, et c’est ce qui a été mon impulsion mais je pense qu’avant cette découverte, à jouer dans des pièces de théâtre de Shakespeare ou Ibsen, je savais que j’avais une obsession pour le pouvoir et la sexualité. Oscar Wilde a dit : « Tout dans le monde concerne le sexe sauf le sexe. Le sexe, c’est le pouvoir. » Je voulais traiter de cela d’un point de vue féminin et aborder ma propre identité sexuelle.
(Il est difficile d’établir la relation entre cette citation et Oscar Wilde, N.D.L.R.)

Halina Reijn sur le plateau d’Instinct

Aujourd’hui, en France comme aux Etats-Unis, on souligne les inégalités entre les hommes et les femmes dans le milieu du cinéma. Qu’en est-il aux Pays-Bas ?

Halina Reijn : La situation est peut-être un peu meilleure, nous avons des femmes dans certains hauts lieux. Nous avions une femme à la tête du fonds du film (Doreen Boonekamp qui a laissé place à Bero Beyer le 1er mars 2020, N.D.L.R.) et aussi de quelques festivals. Mais la plupart des producteurs sont des hommes, il y a encore du travail en la matière.
Carice Van Houten : Oui, et puis ça ne concerne pas seulement les femmes. Ce sont toutes les minorités qui doivent pouvoir s’exprimer.

Auriez-vous un conseil pour les comédiennes qui peinent à décrocher des rôles intéressants ?

CVH : Eh bien, si tu as la possibilité de créer quelque chose pour toi, il faut le faire car cela t’aidera. Pour nous, créer notre société de production nous a vraiment donné du pouvoir, et la capacité de développer nos propres idées. C’est le fond qui prime. Il faut pouvoir mettre son énergie dans autre chose que les castings et la recherche de rôles, qui peuvent générer de la frustration. Créer est bénéfique.

HR : Et nous sommes à une époque propice pour la création. Tu peux apprendre énormément de choses sur YouTube. Ensuite avec un simple téléphone, tu peux réaliser un film ou répéter une pièce de théâtre. Pour ces choses là, c’est une période géniale. Il faut aussi croire en soi et ses capacités, ce qui vaut autant pour les actrices que les réalisatrices. Quand on poursuit ses rêves, on parvient à ses fins. Egalement, nous deux, avec notre société de production, on s’est interrogées sur nos intentions. Parce que tu peux avoir toutes les offres imaginables, si tu es dans ce milieu sans savoir où tu veux aller ni pourquoi, au bout d’un moment tu te feras avoir. Nous, on fait ça parce qu’on veut que les gens se sentent moins seuls. C’est une intention simple et on s’y réfère dans chaque décision que nous prenons. Quel est ton but est peut-être la seule problématique dans la vie !

Entretien réalisé le 16 décembre 2019 lors des Arcs Film Festivals. Merci à Claire et à Léa.
Instinct d’Halina Reijn, avec Carice Van Houten – lauréate du Prix d’interprétation aux Arcs 2019, avec Nichola Burley et Roxanne Scrimshaw dans Lynn + Lucy de Fyzal Boulifa –, Marwan Kenzari, Pieter Embrechts et Ariane Schluter. Disponible sur OCS.

Crédits photos : aux Arcs, Dominique Maury-Lasmartres ; Instinct, Kris Dewitte.

Article rédigé par Dom

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